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contre le mystérieux vautour qui les ronge insensiblement au
gré de son appétit.
( Tome I I , page lyJ. ) Lo 22 février, en revenant à la ville,
je vis une foule de naturels assis en cercle autour de quelques
corbeilles de patates rôties. Dans le nombre je remarquai un
bomme qui était obligé de se baisser contre terre pour ramasser
avec sa boucbe chaque morceau, et qui évitait scrupuleusement
de toucbcr avec ses mains les vivres qu’il prenait. Cela
me fit sur-le-champ connaître qu’il était taboué ; je lui en demandai
la raison , attendu qu’il semblait jouir d’une bonne
santé, et qu’il n’était atteint d’aucun mal qui pût le placer à
l’écart des autres personnes. J’appris qu’il était taboué parce
qu’il construisait une maison et qu’il ne pouvait être affranchi
des entraves du tabou que quand il aurait fini. Comme cet
homme n’était qu’un kouki, il n’avait personne pour l’assister,
ce qui l’obligeait à se soumettre à une manoeuvre aussi pénible
pour se nourrir et ne point enfreindre les règles superstitieuses
du tabou. Le tohounga ou prêtre lui avait signifié que, s’il
osait seulement porter un doigt à sa boucbe avant d’avoir fini
l’ouvrage qu’il avait entrepris, Vatoua punirait infailliblement
son impiété en s’insinuant avant le temps marqué dans son estomac
et en le dévorant pour le chasser de ce monde. Cc
malheureux semblait tellement redouter cette fin prématurée,
qu’il tenait ses mains à l’écart, comme si elles n’avaient jamais
dû servir à toucher la nourriture; il ne souffrait pas même
qu’aucun mouvement de leur part les rapprochât le moins du
monde de sa boucbe, de sorte que cet organe était obligé de
remplir une double fonction en agissant pour les membres que
la superstition avait paralysés.
Ayant quitté ce groupe quand il eut terminé son banquet,
je passai près de la cabane où demeurait Ware , le frère d’O -
kouna, et je le trouvai fort occupé à couper les cbevcux de sa
fèinme. Il exécutait celte opération avec un morceau de pierre
Irancbantc que les minéralogistes nomment obsidienne ou
verre volcanique; il coupait les cheveux de devant presque
ras et laissait ceux de derrière la tète de toute leur longueur.
Quand il eut terminé sa tâche qui lui demanda un certain temps,
eu égard à la précision qu’il observa , il ramassa tous les cheveux
coupés avec le plus grand soin, et les porta bors des limites
de la ville pour les jeter au vent. Comme je lui demandais
la raison de cette précaution , il me dit que les cheveux étaient
taboués et ne pouvaient rester dans la ville sans provoquer
la colère de VAtoua qui, dans un pareil cas, détruirait la personne
à la tête de laquelle ces cheveux avaient appartenu. J’allais
ramasser une des pierres dont il s’était servi ; mais il me
somma de ne pas y toueber, en ajoutant qu’elle était aussi tabouée,
et qde la divinité furieuse de la Nouvelle-Zélande ne
manquerait pas de faire tomber sa vengeance sur ma tête coupable,
si j’osais seulement porter un doigt sur cet instrument
sacré. Riant de sa superstition, je commençai à me récrier
contre son absurdité; mais, comme avait fait Touai en semblable
occasion, il prit sa revanche en tournant en ridicule
nos karakia (prédications), et en même temps il me pria de
prêcher sur la tête de sa femme, comme s’il eût voulu l’exorciser.
Sur mon refus, il se mit à le faire lui-même, mais il ne
put se défendre de quelques éclats de rire involontaires. J’obtins
de lu i, sans aucune difficulté, une des pierres qui ne lui
avaient point servi ; car aucun tabou ne pouvait s’opposer à ce
qu’elle passât entre les mains d’une personne étrangère.
( Tome I I , page 182.) Quand M. Kendall voulut remporter
le flacon qui contenait le v in , tous les assistans s’y opposèrent
avec indignation ; Doua-Tara lui-même pria qu’on le laissât,
déclarant que ce vase était taboué, et que VAtoua qui était
dans son corps allait le tuer plus vite si l’on emportait le flacon.
Pour le délivrer de cette frayeur absurde, le missionnaire
complaisant consentit à laisser le vase ; il fit une nouvelle
visite au malade deux beures après, et lui apporta un peu de
riz auquel il ne fit que goûter, car il était trop mal pour pouvoir
prendre la moindre nourriture. M. Kendall en offrit un
peu à la femme principale du chef, ainsi qu’à l’enfant quelle
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