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PIECES JUSTIFICATIVES. 703
Nous citerons toujours l’édition française de la narration
de M. Dillon, intitulée Voyage aux Iles de la
Merda Sud en 1827 et 18 2 8 , e tc ., par le capitaine
Peter Dillon. Paris, 1830.
M. Dillon raconte, ainsi qu’il suit, l’accueil que fit
à son arrivée à Korora-Reka, le 1" juillet 1827 , l’un des
chefs de ce village aux deux naturels de 1a rivière Tamise,
Bryan Borou et Morgan Mac-Marragh, qui l’avaient suivi
sur son navire à Calcutta. Nous ferons observer en même
temps que ces deux noms n’étaient point les véritables
noms de ces deux naturels, mais deux sobriquets ridicules
que M. Dillon leur avait imposés, à l’imitation des capitaines
baleiniers qui ne manquent jamais de remplacer les
noms ordinairement harmonieux des insulaires par les
désignations les plus triviales et les plus mal sonnantes.
{ T . I , pag. 182 et suiv. )
Notre conversation prit ensuite une tournure politique . Il
m’apprit qu’il était neveu de P om a r e c h e f puissant et propriétaire
de ce port, que mes amis de la rivière Tamise (rivière
du pays ) avaient tué, il y avait environ dix ans. Il ajouta qu’un
des fils de Pomare avait également été tué avec environ deux
cents guerriers, et qu’il se préparait contre les tribus de la Ta-
inise une expédition, composée de tous les cbefs du nord qui
s étaient coalisés pour exterminer tous les Borou et les Mac-
Marragb. Il me demanda ensuite où étaient les deux jeunes
gens du pays de la Tamise, que j’avais emmenés sur le Saint-
» M. Dillon a écrit ce nom très-incorrectement, Bou marraj. Pomare se
compose de deux mots,/,«, n u it,e t mare, rhume. On a dit quelque part que
ce chef zélandais prit ce nom d'après celui du souverain de Taïti alors ré-
gnant; il se nommait auparavant JVetdU
Patrick. Quand je lui eus appris qu^ils étaient avec moi, il me
dit : '■ Livrez-les nous pour être tués et mangés sur-le-champ. »
Il était revêtu de la natte de guerre, avec un manteau de peau
de chien, jeté négligemment sur ses épaules. En ce moment sa
physionomie prit un air de férocité impossible à décrire; ses
yeux sortaient de leurs orbites et exprimaient Je désir le plus
ardent de saisir des malheureux qui n’avaient commis d’autre
crime que d’appartenir à une tribu aveb laquelle il était en
guerre. Je n’ai pas besoin de dire que je déclarai à ce cannibale
que les jeunes gens en question étaient sous la protection
du pavillon et des canons anglais, et ne seraient pas molestés
tant qu’ils resteraient sur le vaisseau ; que là ils étaient tabou;
que quand ils seraient à terre, on pourrait les traiter conformément
aux lois de la Nouvelle-Zélande; mais que les intentions
qu’il avait manifestées à leur égard, me feraient apporter
du soin à choisir le lieu où je les mettrais à terre.
J’ordonnai alors qu’on fît monter sur le pont mes amis Bryan
Borou et Morgan Mac-Marragh. Ils se présentèrent à l’escalier
du vaisseau et entamèrent une conversation avec l’homme qui
venait de se montrer si avide de les dévorer. Le chef leur parla
avec autant de sang-froid que s’il n’eût pas témoigné le désir
de se régaler de leur chair, chose dont, à en juger par les préparatifs
qui avaient été faits dans sa pirogue, il paraissait avoir
eu l’idée avant de venir auprès du vaisseau. Il s’exprima avec
le plus grand respect sur le compte du père de Bryan, et dit
que deux des iils de Pomare avaient été faits prisonniers dans
une bataille avec d’autres personnages d’importance appartenant
à sa tribu et emmenés en esclavage ; que peu de temps
après le père de Bryan avait ordonné qu’on leur rendît la liberté
, et leur avait fourni une pirogue pour les ramener dans
leur pays; qu’en ce moment ils se trouvaient q deux journées
de marche dans l’intérieur, mais qu’ils viendraient rendre visite
à Bryan aussitôt qu’ils seraient informés de son arrivée.
Le vaisseau étant amarré, je permis à ce chef de venir à
bord. Bryan Borou et lui se prirent par la main et avancèrent
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