baleiniers, Toua i me dit un jour que ces aventuriers, non
contens de leur apporter des poudres avariées, y avaient souvent
mêlé des graines de chou, et que les insulaires étaient
restés aussi confondus qu’indignés en voyant qu’elles ne prenaient
point feu.
Ces bommes si cruels, si sanguinaires envers leurs ennemis,
sont susceptibles des sentimens les plus tendres, et Ton p ou rrait
citer une foule de traits touchant leur attachement et leur
dévouement à l ’égard de leurs parens et de leurs amis.
Quoiqu’il y eût près de neuf mois écoulés depuis que la veuve
de K o ro-K oro avait perdu son mari, lorsque quelques officiers
de la Coy«;?/« allèrent lui rendre visite, ils trouvèrent
cette femme dans sa cabane, livrée .à la d ouleur , aux larmes,
et dans un état de désespoir semblable à celui qu’a souvent
décrit M . Marsden. Ces officiers ont assuré que c’était un spectacle
vraiment digne de p itié , d’autant plus qu’il ne paraissait
pas y avoir d’affectation dans la conduite de cette malheureuse
femme.
Ta ï-Wanga se trouvait dans le même canot que moi lorsque
nous rencontrâmes les pirogues de S h ong u i, et qu’il revit ses
parens et amis après une absence de quinze à dix-huit mois.
Je tenterais en vain de décrire les preuves d’affection et de sensibilité
que donna en cette occasion ce pauvre garçon. Durant
plus d’une beure son coeur resta gonflé d’émotion, et des larmes
d’attendrissement coulaient de ses yeux.
Tona l m’a cité l ’exemple de quelques chefs qui s’étaient
tués de désespoir à la mort d’une femme tendrement chérie,
et de la part de la femme la chose est encore plus fréquente.
Il suffit qu un ornement ou un objet quelconque leur vienne
d’un ami ou d’un parent pour qu’ils y attachent le plus grand
prix. Il m’est souvent arrivé de marchander des dents de requin
qu’ils possédaient à ee titre, et quelque séduisantes que
fussent mes offres pour eu x, jamais je n’ai pu les déterminer
à s en dessaisir. Ce peuple singulier est outré dans tous ses
sentlmens, et porte tout à l ’excès, son amour et son dévouement
eomme sa haine et sa vengeance.
Lorsque le navire le Cossack fit naufrage à l ’emboucbure
de la rivière S h ouki-An ga, loin de profiter de leur avantage
pour opprimer les Européens, les habitans de la rivière eurent
pour eux toutes sortes d’attentions, et leur procurèrent
des pirogues et des esclaves pour transporter leurs provisions
lorsqu’ils voulurent se rendre à la baie des Iles. En retour les
cbefs se contentèrent de tous les objets que le capitaine du
navire voulut bien leur abandonner.
Sb on gu i, qu’on doit plutôt prononcer Chongui, était le
cbef suprême de la tribu de K id i -K id i , plus connue sous le
nom de Ngapouïs, et le rangatira le plus puissant de ceux qui
habitent la baie des Iles. Malgré ses longues communications
avec les missionnaires, malgré un voyage en Angle te rre, il
ne renonça à aucune de ses cruelles pratiques, et se montra
toujours également v ind ica tif, également féroce. Du reste
c’était un fort bel bomme, plein de d ign ité , mais dont le regard
annonçait la fausseté et la méchanceté : son nom devrait
s’écrire E ’ ongui-lka , qui signifie littéralement salut poisson,
par allusion sans doute au poisson qu’adorent les Nouveaux-
Zélandals.
Instruit par les traitemens que les baleiniers avaient souvent
fait éprouver à d’autres cbefs, Shongui, plein de défiance
pour ces étrangers, ne se rendait ordinairement à bord de
leurs navires qu’accompagné par une suite imposante. C ’est
ainsi qu’il vintnous rendre visite sur?« Coquille; il était monté
sur une de ses plus grandes pirogues de gu e r re , entouré de ses
principaux officiers et de ses plus braves guerriers, tous armés
et prêts à le secourir en cas de danger. On lu i offrit un
logement commode pour la n u it, mais il n’en voulut pas, et
préféra camper en plein air avec sa suite sur la plage v o isine.
Bien que le père de Shongui fût aussi rangatira, il n ’appartenait
pas cependant aux premiers rangs de sa tribu , et
4 3 ’