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de s’occuper de vengeance ; dans l’état où nous étions, la perle
d’un seul liomme était irréparable, et, .si nous en avions perdu
plusieurs, les deux vaisseaux ne fussent jamais sortis de la Nouvelle
Zélande. Nous avions d’ailleurs un troisième poste , celui
de nos malades, qu’il fallait encore mettre en sûreté. J’arrêtai
donc l’ardeur de nos gens, et je leur défendis de tirer, leur
promettant de donner carrière à leur vengeance dans un mo-
ment plus favorable.
» Lorsque nous fûmes arrivés à notre chaloupe, les sauvages
semblaient nous presser de plus près. Je donnai ordre aux
matelots chargés de s embarquer les premiers ; puis, m’adressant
à un chef des sauvages , je plantai un piquet en terre à dix
pas de lu i, et je lui fis entendre que si un seul sauvage passait
la ligne de ce piquet, je le tuerais avec ma carabine, dont je
fis la démonstration de vouloir nie servir. Je leur dis d’un ton
menaçant qu’ils eussent tous à s’asseoir. Le chef répéta docilement
mon commandement aux siens , et aussitôt les sauvages ,
au nombre d’environ mille hommes, s’assirent tous.
>■ Je fis successivement embarquer tout le monde , ce qui fut
assez long , parce qu’il y avait beaucoup de bagage à mettre
dans la chaloupe; que ce bateau chargé tirant beaucoup d’eau
ne pouvait accoster la terre, et qu’il fallait entrer dans la mer
pour s’embarquer. Je m’embarquai enfin le dernier, et aussitôt
que je fus entré dans l’eau, les sauvages se levèrent tous ensemble
, forcèrent la consigne, jetèrent le cri de guerre , nous lancèrent
des javelots de bois et des pierres qui ne firent mal à
personne. Ils brûlèrent nos cabanes qui étaient sur le rivage,
et nous menaçaient avec leurs armes qu’ils frappèrent les unes
contre les autres en jetant des cris affreux.
» Aussitôt que je fus embarqué , je fis lever le grapin de la
chaloupe. Je fis ranger tous nos gens de manière lï ne pas
embarrasser les rameurs. La chaloupe était si chargée et si
pleine, que je fus obligé de me tenir debout à la poupe , la
barre du gouvernail entre mes jambes. Mon intention était de
ne pas faire tirer un coup de fusil, mais de rejoindre promptement
le vaisseau , pour envoyer ensuite la chaloupe sur lile
Motou-Aro relever le poste de nos malades, notre forge et
notre tonnellerie.
« A mesure que nous commençâmes à nous éloigner du
rivage, les cris, les menaces des sauvages augmentaient, de
sorte que notre retraite avait l’air d’une fuite. Les* sauvages
entraient dans l’eau, comme pour venir attaquer la chaloupe.
Je jugeai alors, avec le plus grand regret, qu’il était important
et nécessaire à notre propre sûreté de faire connaître à ces
malheureux la supériorité de nos armes. Je fis lever les rames;
je commandai à quatre fusiliers de tirer sur les chefs qui paraissaient
plus agités et animaient tous les autres; chaque coup
fit tomber uii de ces malheureux. La fusillade continua ainsi
pendant quelques minutes. Les sauvages voyaient tomber leurs
chefs et leurs camarades avec une stupidité incroyable ; ils ne
comprenaient pas comment ils pouvaient être tués par des
armes qui ne les touchaient pas, comme leurs casse-têtes et
leurs massues. A chaque coup de fusil, ils redoublaient leurs
cris et leurs menaces ; ils s’agitaient horriblement sans changer
de place; ils restaient sur le rivage comme un troupeau de
bêtes. Nous les eussions détruits jusqu’au dernier, si j’avais
voulu faire continuer la fusillade. Après en avoir fait tuer
malgré moi beaucoup trop , je fis ramer vers le vaisseau, et les
sauvages ne cessèrent de crier.
» Dès que je fus arrivé à bord du Mascarin, j’expédiai
aussitôt la chaloupe pour aller relever le poste de nos malades.
Je fis embarquer un détachement commandé par un officier,
avec ordre de renvoyer à bord tous les malades , les officiers de
santé et tous les ustensiles de notre hôpital, d’abattre les tentes,
de faire autour de notre forge un retranchement pour la nuit,
avec les pièces à l’eau ; de poser une sentinelle avancée du côté
du village qui était sur la même île; de veiller exactement et
de prendre garde surtout aux surprises; car je me défiais de
quelque entreprise de la part des sauvages sur l’établissement
de notre forge, où nous avions des fers très-propres à les