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cré quelque temps à cette cérémonie, ils s’assirent tous par
terre pour se régaler avec les provisions même qu’ils avaient
apportées. Le lendemain matin les hommes seuls formèrent
un cercle autour du corps mort,-armés de lances, mousquets,
tomahawks et mere, puis le docteur se montra et se mit
à marcher en avant et en arrière au milieu de l’assemblée.
A cette époque, mon compagnon et moi nous avions déjà
beaucoup appris de leur langage ; comme nous prêtions To-
rcille à ce qu’on disait, nous vîmes que le docteur racontait
les circonstances relatives à la maladie et à la mort de la vieille
femme ; ensuite les chefs commencèrent à s’informer minutieusement
de ce qu’elle avait mangé dans les trois jours qui précédèrent
sa mort. A la fin, le docteur s’étant retiré du cercle,
un vieux cbef s’avança, avec trois ou quatre plumes blancbes
plantées dans les cbeveux. Quand il eut fait quelques tours
dans l’assemblée, il prit la parole et dit qu’à son avis la mort
de la vieille femme venait de ce qu’elle avait mangé des
patates pelées avec le couteau d’un blanc, après qu’on s’cn
était servi pour couper des joncs destinés à réparer une maison
; pour ce motif, il pensait que le blanc auquel le couteau
appartenait devait être immolé, ce qui serait un grand honneur
à la mémoire de la femme décédée. Plusieurs des autres
chefs donnèrent leur assentiment à cette proposition, et i!
parut qu’elle allait être adoptée par le conseil. Pendant ce
temps, mon compagnon tremblait de tout son corps, et la
peur lui ravit la parole. Alors je m’avançai au milieu du cercle
et je leur représentai que si l’homme blanc avait mal fait
de prêter son couteau à l’esclave, c’était uniquement par ignorance
des coutumes du pays. En même temps je m’approchai
d’Emaï pour lui adresser la parole et le supplier d’épargner
ies jours de mon compagnon , mais il ne bougea pas de l ’endroit
où il était assis, et continua de pleurer la perte de sa
mère, sans me répondre, ni paraître faire attention à cc que
je disais. Tandis que je lui parlais , le cbcf aux plumes blanches
s’avança vers mon camarade, et l’assomma d’un coup de
son mere sur la tête. Du reste, Emaï ne voulut pas permettre
qu’on le mangeât, bien que je n’aie pu connaître quel fut
pour cela son motif. En conséquence, les esclaves ayant creusé
un tombeau pour lu i, il fut enterré d’après mes instructions.
Quant au cadavre de la vieille femme, il fut enveloppé dans
plusieurs nattes et emporté par Emaï et le docteur, sans qu’il
fût permis à personne de les suivre. J’appris cependant qu’ils
l’avaient porté dans un bois du voisinage, et qu’ils l’y avaienl
enterré. Ensuite de cela, les étrangers quittèrent tous notre village
et s’en retournèrent chacun chez eux. Environ trois mois
après, le corps de la femme fut relevé et porté au bord de la rivière,
où les os furent nettoyés cl lavés, puis renfermés dans une
caisse préparée pour cet emploi. La caisse fut ensuite attachée
au sommet d’un poteau, à l’endroit où le corps avait d’abord
été déposé. Cet espace fut entouré d’une palissade Je trente
pieds de circonférence environ, et l’on y planta une figure de
bois pour annoncer qne ce terrain était taboué ou sacré, et
que l’accès'de cette enceinte était interdit à qui que ce fût. Tel
est, à la Nouvelle-Zélande, la manière régulière d’enterrer
tous ceux qui appartiennent à la famille d’un cbef. Quand un
esclave meurt, on creuse un trou et le corps y est jeté sans
aucune cérémonie. Dans la suite, jamais il n’est déterré, et l’on
n’y fait aucune attention. Ils ne mangent jamais ceux qui meurent
de maladie ou de mort naturelle. »
Ainsi, demeuré seul parmi ces sauvages, et sachant par le
meurtre de son camarade combien sa propre existence était
précaire, exposé comme il l’était à tout momept à sc trouver
en butte à leur fantasque cruauté. Rutherford, comme on peut
bien l’imaginer, dut trouver sa captivité de jour en jour plus
insupportable. Un des plus grands désagrémens qu’il eut à
éprouver, provint de l’usure de ses vêtemens : il les rapiéça
comme il put pendant quelque temps; mais au bout de trois
ans environ de séjour dans le pays, ils sc trouvèrent tout-à-
fait hors de service. Alors tout ce qu’il eut pour s’habiller se
borna à une natte blanche en lin , que le chef lui donna ; elle