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Voici les observations recueillies, en février 1777,
par le chirurgien Anderson sur le même sujet :
Les diverses tribus sont souvent en querelle, ou plutôt
elles y sont toujours; car la multitude de leurs armes et leur
dextérité à s’en servir annoncent que la guerre les occupe principalement;
ces armes sont des piques , des palous , des hallebardes
et quelquefois des pierres. Les piques sont d’un bois
très-dur; leur longueur varie de cinq à vingt et même trente
pieds; ils lancent les plus courtes comme des dards. Le patou
ou le mere a la forme d’une ellipse , sa longueur est d’environ
dix-huit pouces; il a un manche de bois, de pierre, d’os ou de
jaspe vert, et c est l’arme sur laquelle ils comptent le plus dans
les batailles. La hallebarde ou la longue massue a cinq ou six
pieds de longueur ; l’une de ses extrémités se termine en pointe
et offre une tète sculptée; l’autre est large ou aplatie, et elle
présente des Lords tranchans.
Avant de commencer l’action, ils entonnent une chanson
guerrière; et ils observent tous la mesure la plus exacte; leur
colère arrive bientôt au dernier degré de la fureur et de la frénésie
; ils font des contorsions horribles de l’oeil, de la bouche
et de la langue, afin d’inspirer de la terreur à leurs ennemis;
on les prendrait pour des démons plutôt que pour des hommes,
et cet affreux spectacle glacerait presque d’effroi d’intrépides
guerriers qui n’y seraient pas accoutumés. Ils ont une autre
habitude plus horrible et plus déshonorante pour la nature
humaine; ils coupent en morceaux un ennemi vaincu lors
même qu’il n’est pas encore mort, e t , après l’avoir rô ti, ils le
mangent, non avec répugnance, mais avec une satisfaction
extrême.
On est tenté de croire que des hommes capables de pareils
excès n’ont aucune commisération ou aucun attachement pour
ceux de leur tribu ; cependant on les voit déplorer la perte de
leurs amis d’une manière qui suppose de la sensibilité. Les
hommes et les femmes poussent des cris attcndrissans, lorsque
leurs parens ou leürs amis ont été tués dans les batailles, ou
sont morts d’une autre manière : ils sc découpent le front et les
joues avec des coquilles etdes morceaux de pierre; ils se font
de larges blessures d’où le sang sort à gros bouillons et se mêle
à leurs larmes : ils taillent ensuite des pierres vertes auxquelles
ils donnent une figure humaine; ils mettent à cette figure des
yeux de nacre de perle, et ils la portent à leur cou pour se souvenir
de ceux qui leur étaient chers. Leurs affections paraissent
si fortes, qu’au retour de leurs amis, dont l’absence n’a pas été
quelquefois bien longue, ils se découpent également le visage
et poussent, dans leur transport de joie, des cris frénétiques.
Les enfans sont accoutumés de bonne heure à toutes les
pratiques bonnes ou mauvaises de leurs pères : un petit garçon,
ou une petite fille de neuf à dix ans, fait les inouvemens, les
contorsions et les gestes par lesquels les Zélandais plus âgés inspirent
de la terreur à leurs ennemis : ils chantent la chanson
de guerre, et ils observent très-exactement la mesure.
Les Zélandais chantent, sur des airs qui ont une sorte de
mélodie, les traditions de leurs aïeux, leurs batailles, leurs
victoires, et même des sujets assez indifférens. Ils sont passionnés
pour cet amusement, et la plus grande partie de leur
temps y est employée : ils passent aussi plusieurs heures de la
journée à jouer de la flûte.
Quoique leur prononciation soit souvent gutturale, leur
langue est loin d’être dure ou désagréable, et si nous pouvons
établir ici une opinion d’après la mélodie de quelques-uns de
leurs chants, l’idiome de la Nouvelle-Zélande a certainement
une grande partie des qualités qui rendent les langues harmonieuses
: il est assez étendu ; on imagine bien toutefois qu’on
le trouvera pauvre, si on le compare à nos langues d’Europe ,
qui doivent leur perfection à une longue suite de travaux , etc.
( Tom. / , pag. 2o5 et suiv.^