En conséquence, la barque fut gréée, et je fus cbargé du
commandement. Le lendemain matin je partis avec notre interprète
et un bomme de l’équipage. A minuit, nous jetâmes
l’ancre dans une petite baie qui est en avant de l’établissement.
Au point du jour, nous remontâmes la rivière, et, à un quart
de mille environ, nous nous trouvâmes en face du pâ ou
village. Ce pâ, comme tous ceux que j ’af vus dans la Nouvelle-
Zélande , est situé sur une montagne escarpée et de forme
conique. Sa force naturelle est encore augmentée par une espèce
de parapet en terre. On y arrive par un sentier tournant
et très-étroit que les Européens ne peuvent gravir sans danger
, tandis que l’habitant de la Nouvelle-Zélande court nu-
pieds sur les rocs les plus hérissés de pointes avec une extrême
légèreté.
Des insulaires rassemblés au lieu de notre débarquement
nous saluèrent de leur aire mai, parole d’amitié qui veut dire :
Venez ici. Notre interprète les ayant informes de l’objet de
notre visite, leur joie devint excessive ; ils dansèrent et chantèrent
autour de nous en faisant les gestes les plus bizarres, et
ils déclarèrent qu’ils nous rendraient tous les services qu’ils
pourraient. Ils nous conduisirent à l’habitation de leur chef
par le sentier dont j ’ai parlé. C’était une petite butte faite de
pieux enfoncés en terre ; les parois et le toit étaient de roseaux
arrangés de façon à ne pas laisser pénétrer la pluie. La seule
ouverture qui donnât du jour et de l’air était une petite porte
de roseaux à coulisse et à peine assez large pour laisser passer
un homme. La hauteur de cette hutte ne permettait pas que
Ton s’y tînt debout. Elle était entourée d’une espèce de galerie
ornée de sculptures grossières, peintes en rouge, ce qui
désignait le rang et la famille du chef. Les huttes des autres
membres de cette peuplade sont tout-.à-fait misérables, et ressemblent
à des toits à porc. Ils ont l’habitude de dormir en plein
air, et il faut que le temps soit bien rigoureux pour les forcer
à chercher un abri dans ces cahutes. Ils dorment assis les jambes
pliées sous eux, et ils sont couverts d’une natte de jonc ;
en sorte que pendant la nuit ils ont Tair de petites meules de
foin éparpillées sur le revers de la montagne.
Le ebef auprès duquel on nous introduisit sc nommait Nga-
rara ou le Lézard. Il était grand, bien fait, d’une forte stature
et d’un aspect imposant. Tout son corps était tatoué. Nous le
trouvâmes assis devant sa butte, ayant une belle natte sur les
épaules. Sa figure était barbouillée d’huile et d’ocre rouge. Ses
cheveux, arrangés à la mode du pays, étaient attachés sur le
sommet de la tête, et ornés de plumes de poe, oiseau très-
remarquable. Dès qu’il fut informé de ce que nous désirions,
il nous montra un assez grand nombre de beaux cocbons qu’il
consentait à nous céder. Je le priai de les envoyer par terre à
l’endroit où notre navire était stationné ; mais il répondit que
cela lui était impossible, attendu qu’il était en guerre avec
quelques-unes des tribus intermédiaires. Je ne vis d’autre
moyen que de retourner à notre bâtiment, la barque étant trop
petite pour transporter ces provisions. Malheureusement le
vent était contraire et la mer très-houleuse ; nous étions obligés
de courir des bordées et de nous tenir au large. La nuit
survint; le vent fraîchissant au nord-ouest, nous prîmes des
ris , et notre petite barque se soutint mieux que nous n’aurions
pu l’espérer; mais au point du jour nous nous trouvâmes tellement
sous le vent de la rivière, que nous fûmes forcés de retourner
à Walki-Tanna. Le vent s’étant calmé, nous prîmes
nos rames, et, à trois beures après midi, nous étions revenus
au même point que nous avions quitté la veille. Le capitaine
m’avait dit de lui envoyer, par terre, un bomme avec un
guide, si j’étais retenu par les vents ou par quelque autre circonstance.
Voyant que le vent se fixait au nord-ouest et qu’il
n’était guère probable que la barque pût rejoindre le bâtiment,
je priai notre interprète d’y aller par terre. Il refusa ainsi que
mon matelot, n’osant ni Tun ni l’autre se fier aux insulaires
qu’ils pourraient rencontrer. Je me décidai donc à y aller moi-
même ; j’engageai un des cbefs de cette tribu à venir avec moi,
et nous nous mîmes en route le lendemain à la pointe du jour.