et cette eau, en coulant sur les pierres, produisit une épaisse
fumée; puis le tout fut à Tinstant couvert de terre.
» Ils nous donnèrent ensuite un peu de poisson rôti à manger,
et trois femmes furent employées ;i nous faire griller de la racine
de fougère. Quand elle fut rôtie, ces femmes la mirent sur
une pierre et la battirent avec un morceau de bois, jusqu’à ce
qu’elle fût devenue molle comme de la pâte. Du reste, en se
refroidissant, elle se durcit et prend la consistance du pain
d’épice. Nous ne mangeâmes que fort peu des mets qu’on nous
donna ; ensuite les femmes nous conduisirent dans une cabane
et nous donnèrent à cbacun une natte et de l’berbe sècbe pour
nous servir de lit. Nous y passâmes la nuit, et deux des cbefs
dormirent avec nous.
” Aussitôt qu il fit jour, le lendemain matin , nous nous relevâmes
ainsi que les deux chefs, et nous allâmes nous asseoir
en-debors de la maison. Nous y trouvâmes une quantité de
femmes occupées à fabriquer des corbeilles en feuilles de lin
vertes; quand elles furent terminées, quelques-unes furent
destinées à recevoir les corps de nos camarades, qui avaient
cuit toute la n u it, tandis que d’autres furent remplies de patates
préparées par un procédé semblable. Je remarquai quelques
enfans qui arrachaient là cbair des os de ces cadavres,
avant qu’on les retirât du feu. Peu après, les chefs s’assemblèrent
et s’assirent par terre; les corbeilles furent placées
devant la multitude, et ils les partagèrent sur-le-cbamp
aux assistans, à raison d’une corbeille pour un certain nombre
de personnes. Ils nous envoyèrent aussi une corbeille de patates
et un morceau de viande qui ressemblait à du porc ; mais
au heu d’en manger, nous frémîmes à la seule idée d’une coutume
aussi barbare , aussi horrible , et nous abandonnâmes ces
mets à Tun des naturels.
Rutherford et ses camarades passèrent une seconde nuit de
la même manière ; puis le matin suivant ils .se mirent en
route, accompagnés par cinq chefs, pour l’intérieur du pays.
Quand ils quittèrent la côte, il fit la remarque que le navire
brûlait encore. Ils étaient escortés par environ quarante naturels
chargés du butin du malheureux bâtimcnl. Il calcula que
ce jourils marchèrent l’espace de dix milles environ ; la marche
était très-fatigante par le défaut de routes régulières et la
nécessité de se frayer un cbemin au travers d’une suite de
bois et de marais. Le village où ils s’arrêtèrent était la résidence
d’un des cbefs, dont le nom était Rangadi et qui à son
arrivée fut reçu par environ deux cents des babitans. Ils arrivèrent
en masse, e t , s’agenouillant autour de lu i , ils commencèrent
à pousser des cris et à se déchirer les bras, le visage
et d’autres parties du corps avec des morceaux de cailloux
tranchans, qu’ils portaient autour du cou, jusqu’à ce que le
sang coulât en abondance de leurs plaies.
La maison du cbef où Rutherford et ses compagnons furent
logés était la plus vaste du village; quoique très-basse, elle
était longue et large, et elle n’avait pas d’autre issue qu’une
ouverture qui fermait au moyen d’une porte à coulisse, et qui
était elle-même si basse que pour y passer il fallait ramper
sur les genoux et les mains. Deux forts cochons et une quantité
de patates furent préparés de la manière qu’on vient de
décrire : quand ces vivres furent prêts, une portion en fut
assignée aux esclaves qui ne peuvent jamais manger avec les
chefs, et les derniers s’assirent par terre pour prendre leur
repas, avec les blancs placés devant eux. Le banquet n’eut
pas lieu dans l’intérieur de la maison , mais en plein air; et
l’on suspendit à des poteaux pour un autre repas ce qui ne
fut pas consommé alors. Un des plus grands préjugés des
Nouveaux-Zèlandais, est l’aversion qu’ils éprouvent à voir suspendre
au-dessus de leurs têtes quelque sorte de mets que cc
soit; c’est pour cela qu’ils ne peuvent souffrir qu’on apporte
aucune espèce de vivres dans leurs maisons ; mais ils placent
constamment ces objets dans un certain espace proche leurs
cabanes, que quelques écrivains ont nommé la cuisine, en cc
qu’il leur sert à la fois pour faire cuire leurs vivres et pour les
y manger.