Rutherford dit que les figures grossières placées sur la porte
des cabanes des cbefs ont pour objet d’interdire aux esclaves
l’accès de ces cabanes en l’absence de leurs propriétaires , et
qu’une mort immédiate serait le châtiment d’une pareille offense.
Ce sont ces effigies que quelques voyageurs ont prises pour des
idoles.
Rutherford prétend que les corbeilles dans lesquelles les
provisions sont placées ne servent jamais deux fois. Les calebasses
sont le seul vase qu’ils emploient pour contenir leurs
liquides ; quand ils boivent avec ces vases , ils ont soin que
leurs lèvres n’y touqbent point, niais ils lèvent la tête en Tair
et font couler la liqueur dans leur bouche.^ Après dîner, ils se
placent sur un rang pour boire, un esclave va présenter la calebasse
de l’un à l’autre, et chacun tient sa main sous son menton,
tandis que l’esclave lui verse la liqueur dans la boucbe. Ils
ne boivent rien de chaud ni de tiède. Leur unique boisson
paraît être l’eau ; et leur aversion prononcée pour le vin et les
spiritueux a été remarquée par presque tous ceux qui ont observé
leurs coutumes.
Le dîner fini. Rutherford et ses compagnons passèrent la
soirée assis autour d’un grand feu ; pendant ce temps, plusieurs
des femmes, qu’il décrit comme agréables, s’amusaient à jouer
avec les doigts des étrangers, tantôt ouvrant leurs chemises
pour considérer leur poitrine, tantôt leur tâtant le gras des
jambes. « Cela nous fit penser, dit Rutherford, qu’elles nous
examinaient pour s’assurer si nous étions assez gras pour être
mangés. Le grand feu qui avait été allumé pour chauffer la
maison ayant été retiré, nous nous étendîmes pour dormir
suivant leur manière ordinaire. Mais, bien que le feu eût été
éteint, la maison resta pleine de fumée, attendu que la porte
était fermée et qu’il n’y avait ni cheminée ni fenêtre pour lui
donner issue. Lé matin, quand nous nous levâmes, le chef
nous rendit nos couteaux et nos boîtes à tabac qu’on nous avait
pris dans la pirogue lors de notre captivité; puis nous déjeunâmes
avec des patates et des coquillages qu’on avait fait
cuire pendant que nous étions au bord de la ruer, et qu’on
avait apportés dans des corbeilles. La femme et les deux
filles d’Emaï arrivèrent, cc qui occasiona une nouvelle cérémonie
de gémissemens; quand elle fut terminée, les trois
dames vinrent me voir ainsi que mes compagnons. Bientôt elles
curent envie de quelques petits boutons dorés que j’avais à
ma veste ; Emaï me fit signe de les couper, je lui obéis sur-le-
champ et les présentai aux femmes. Elles les reçurent avec joie,
et, me toucbant les mains, elles s’écrièrent: L ’homme blanc est
très-bon. Tous les naturels s’étant assis par terre en cercle,
nous fûmes conduits au centre, dépouillés de uos vêtemens et
couchés sur le dos j^uis chacun de nous fut retenu par cinq ou
six naturels, tandis que deux autres commencèrent l’opération
du tatouage sur nos personnes. Après avoir pris un morceau
de charbon et l’avoir écrasé sur une pierre avec un peu d’eau,
de manière à former un liquide épais, ils y trempèrent un instrument
fabriqué avec un os à bord tranchant comme un ciseau,
et façonné en forme de piocbe ; puis ils l’appliquaient
•sur-le-cbamp contre la peau, en frappant dessus deux ou trois
fois avec un petit morceau de bois. De cette manière, il entrait
dans la chair comme aurait fait nn ciseau, et faisait couler
une quantité de sang qu’ils avaient soin d’essuyer à mesure
avec le revers de la main, pour examiner si l’impression élait a.s-
sez nette.Dans le cas contraire, ils appliquaient une seconde fois
le ciseau à la même place. Du reste, ils employaient divers
instrumens dans le cours de l’opération ; quelquefois ils se servaient
d’un oiseau fait avec la dent d’un requin, quelquefois
d’un autre qui avait des dents comme une scie. Ils en avaient
aussi de différentes grandeurs, suivant les diverses parties du
travail. Tandis que je subissais cette opération, je ne bougeai
nullement et ne poussai aucun cri; mes camarades au contraire
criaient horriblement. Quoique les opérateurs fussent
adroits et expéditifs, je restai quatre heures entre leurs
mains. Pendant l’opération, la fille aînée d’Emaï essuya plusieurs
fois le sang de ma figure avec du lin préparé. Quand