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les agrès avaient été enlevés, je vis les insulaires l’abandonner
en toute bâte et la goélette ebercber à le remorquer
bors de la baie. Je suppliai ces misérables de me mener à
bord, leur promettant ma rançon et des indemnités ; ils furent
sourds à mes prières. On concevra mieux que je ne pourrais
l’exprimer ce que j’éprouvai en voyant s’éloigner ces deux
vaisseaux qui pouvaient seuls m’assurer quelque cbance de
salut. Je tâcbai donc de me résigner à mon sort puisqu’il
était inévitable ; mais Tamour de la vie et cette pensée que jo
venais d’écbapper .à un plus grand danger firent rentrer dans
mon ame un rayon d’espoir. Ce qui m’arriva le lendemain
n’était cependant pas de nature à diminuer mes mortelles
anxiétés. Un des indigènes m’apporta la tête d’un de mes infortunés
compagnons : c’était celle du Taïtien qu’ils avaient
préparée avec beaucoup de soin et tatouée. Ils conservent
ainsi un grand nombre de têtes, et c’est même une de leurs
blancbes de commerce ; je frissonnai à l’idée que la mienne ne
tarderait pas à en faire partie.
Le matin du quatrième jour de ma captivité, je fus vivement
alarmé en voyant les insulaires se réunir autour de moi.
J’en demandai la raison : .c’était, me dirent-ils , le peuple de
Tauranga, tribu voisine, qui venait les attaquer avec des forces
supérieures aux leurs.
Peu après, Ngarara parut tenant le sextant du capitaine ; il
me le donna en me disant d’observer le soleil p t de l’instruire
si véritablement la tribu de Tauranga s’avançait vers la sienne.
Le refuser m’eût été fatal ; il ne Tétait pas moins de mal prophétiser.
Toutefois réfléchissant, d’après le caractère bien
connu de ces insulaires, que la nouvelle du pillage de notre
bâtiment devait avoir excité la cupidité des peuplades voisines
, j’obéis aux ordres de Ngarara, j’observai la hauteur du
soleil et demandai un livre , que j’eus Tair de consulter attentivement.
« O u i, lui dis-je , la tribu de Tauranga s’avancera
vers ton peuple avec des intentions hostiles. — Et quand?»
me dcmanda-t-il. Mon agitation était extrême, je savais à peine
cc que je disais et lui répondis : « Demain. » Il parut content
de moi et se prépara .à une défense vigoureuse. Los naturels
construisirent, du côté de la rivière et au pied du pâ, une c.s-
pèce de rempart en terre de quatre pieds de hauteur, .sur
lequel ils placèrent nos caronades et nos pierriers, et ils attendirent
avec impatience et sans crainte Taurorc du jour
suivant. Elle paraissait à peine que j’cntciidis une décharge de
mousqueterie. Ngarara, se précipitant dans ma hutte, m’annonça
que l’attaque de ceux de Tauranga avait Heu ainsi que
je l’avais annoncé. Sa confiance en mes prédictions ne connaissait
plus de bornes ; il me supplia de lui dire s’il serait
vainqueur. Je lui répondis que oui, cc qui inspira une nouvelle
ardeur à son peuple, parmi lequel ma première prédiction
s’était promptement répandue. L ’ennemi était alors de
l’autre côté de la rivière ; il avait commencé un feu très-vif,
auquel ceux de Walki-Tanna répondaient vigoureusement.
Un d’eux me conduisit derrière l’établissement, pensant que
j’y serais moins en danger ; ma vie était devenue un objet de
sollicitude. J’entendis bientôt après le bruit d’un de nos canons,
puis ensuite des chants de victoire ; cctle décharge avait
produit une telle frayeur parmi les assaillans, qu'ils s’élaieiit
enfuis dès qu’ils l’avaient entendue. Ngarara vint à moi suivi
de plusieurs cbefs, m’appelant Atoua (Dieu). Ou coupa la tête
des blessés ennemis restés prisonniers ; on enleva et nettoya
l’intérieur des corps; on les fit cuire , et Tavidité que montrèrent
CCS sauvages, hommes et femmes , à cet borrible repas ,
me persuada qu’ils préfèrent la chair bumaine à toute autre
nourriture.
Comme leur manière de conserver les têtes pendant plusieurs
années, sans que les traits subissent la moindre altération,
peut exciter quelque curiosité, j’en rendrai compte ici.
Lorsque la tête a été séparée du tronc et toutes les parties intérieures
enlevées, on Tcnvcloppc de feuilles et on la met dans
un four en pierre , que Ton a assez fortement obauflé cl que
Ton enfonce dans la lorro en le recouvrant de gazon. La clia-
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