qu’ils n’avaient eu recours à ce moyen, qu’à cause du besoin
pressant qu’ils en avaient, et après avoir inutilement tenté tout
autre expédient pour se procurer ces articles. Quand ils avaient
le moyen de les acheter, ils étaient toujours prêts à le faire, et
ils avançaient que nous pourrions à peine citer un seul exemple
où nous eussions été importunés pour un de ces objets par
ün naturel qui eût été dans le cas de les acheter.
Puis ils firent observer que le moyen de rendre les cbefs généralement
satisfaits, serait d’envoyer deux missionnaires résider
dans chaque district; cela dissiperait toutes les jalousies,
el contribuerait à rendre la situation des missionnaires eux-
mêmes plus agréable et plus sûre. Quant à leurs enfans, ils n’avaient
aucune répugnance à ce qu’on leur apprit à lire et à
écrire.
D’après les renseignemens que nous pûmes recueillir dans
notre tournée, nous fûmes pleinement convaincus que des
missionnaires seraient accueillis avec bienveillance dans ce
canton, et que le mécontentement des cbefs n’est venu que de
ce qu’ils n’ont pu en obtenir jusqu’à ce jour.
23 octobre 1819. Nous nous sommes levés de bonne heure
pour faire nos préparatifs de départ ; car nous devions, s’il
était possible, être de retour à l’établissement avant le dimanche.
Sur les six heures du matin , tandis que je déjeunais, tout-
à-coup j ’entendis de profondes lamentations. Ayant dirigé mes
pas vers l’endroit d’où elles venaient, je vis plusieurs femmes
qui poussaient de grands cris, el dont la figure était couverte
de ruisseaux de sang. Sur les questions que je fis, j ’appris que
la femme du chef qui nous avait accompagnés, avait enterré un
enfant peu de temps auparavant, et les autres femmes étaient
venues pour gémir et pleurer avec elle à cette occasion. Elles
tenaient toutes leurs visages rapprochés les uns des antres, mêlaient
leurs larmes avec leur sang, et poussaient de grands cris,
en se déchirant en même temps avec des cailloux tranchans.
Je fus vivement peiné de ce .spectacle. Le chef s’avança vers
moi, et me demanda si j’avais peur. Je lui répondis que je
n’avais point peur, mais que je souffrais beaucoup de voilées
femmes se déchirer ainsi ; que cette coutume n’existait en
aucun pays de l’Europe, et qu’elle était très-mauvaise. Il répliqua
que les Nouveaux-Zélandals chérissaient tendrement
leurs enfans; et qu’ils ne pouvaient témoigner leur affection
d’une manière suffisante , sans verser leur sang. Je lui fis remarquer
qu’il était convenable de verser des larmes, mais
nullement de se déchirer soi - même. Cette coutume barbare
règne universellement parmi les babitans de cette île.
Retour à Rangui-Hou.
Aussitôt que nous eûmes fini notre déjeuner, on nous fit
présent d’un gros cochon et de quelques boisseaux de patates,
puis nous prîmes congé du bon vieux chef. Rien de remarquable
ne se passa durant notre retour : après un voyage ennuyeux
par terre et par eau, nous arrivâmes à l’établissement
vers minuit, extrêmement fatigués. Les chefs et leurs serviteurs
nous reconduisirent jusque chez nous, et le lendemain
nous payâmes les hommes qui avalent porté nos bagages : puis
ils s’en retournèrent chez eux fort contens. Nous fûmes aussi
très-satisfaits de leur conduite envers nons, et nous nous
félicitâmes d’avoir atteint beureusement le but de notre voyage,
c’est-à-dire de nous être concilié la bienveillance des chefs
rivaux de ces divers districts, et de leur avoir persuadé que
nos bonnes intentions n’étaient nullement partielles, mais
bien générales pour eux et leurs compatriotes.
Tae-Ame est un pays très-fertile, qui ne demande qu’une
population plus considérable pour développer cette fertilité
naturelle; car aujourd’hui le sol n’est en grande partie occupé
que par une foule d’herbes inutiles, de pins , et d’autres bois
de divers genres. Les cbefs me racontèrent qu’à une journée
de marche plus loin , se trouvait un peuple nombreux qui cultivait
de fertiles terrains plantés en patates douces et en pommes
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