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tracés par la conduite des grands maîtres , mettent
<les moyens d’inftruéiion aux mains de ceux qui
font appelles à remplir les premiers emplois;
Entre ceux - c i , quelques hommes extraordinaires
fe font élevés , & ont découvert les
routes, les fentiers cachés , les fecrets-, les profondeurs
, & quelques-unes des limites dé Yart ;
rien ne demeure caché au vafte coup-d’çeil du
génie. Quelques-uns ont laiffé leurs feules a&ions
pour exemple : d’autres ont écrit leurs découvertes
pour inftruire les généraux qui, moins favo-
rii|s de la nature, & n’étant pas capables des
mêmes découvertes, pouvoient cependant les
connoître & en faire ufage avec habileté. Mais,
comme entre l’apparition de ces .phénomènes il y
a toujours plufieurs ftècles qui ne produisent que
•des hommes incapables! de fuivre ces grandes leçons
, l’art militaire ne fait que.des pas lents vers
ia perfeéiion. Cette médiocrité, partage du plus
grand nombre * n’eft pas le feul obftacle au progrès
de Y art. Ceux à qui la naiifance & la fortune
affurent les- premiers emplois, ne fe livrent que
foiblement aux travaux & aux études qui les en
rendroient capables. Ils abandonnent aux paf-
fions la plus précieufe. partie de leur • jeuneffe , ;
arrivent à: ces emplois*, faiis,expérience, & fans
l’inflruélion qui rend l’expérience utile. Il y a des
exceptions ; il y a des hommes îheureufèment nés
dans qui l’amour du jufte & de l’honnête eft la
paffion la plus forte : quoiqu’un haiard favorable
leur ait alluré des emplois importants ; ils ont le
fentiment intime que. leur premier devoir eft de
les mériter, & qu'il eft injüfte & déshonorant
d’être inférieur par fa négligence à laf place qu’on
occupe : -mais ces exceptions.lbnt rares* . *;,.
Ainfi, le foldat n’étant, pour ainfi dire,: qu’uné
efpèce d’arme entre les mains de les officiers , les
militaires. fubalternes ne pouvant avoir qu’un
avancement peu confidérable, ries généraux qui
peuvent donner de grands exemples, paroiffant à
peine de fiècle en1 û è d e , lesi.officiers Supérieurs
étant plus ; appellés aux premiers emplois par ie
fort que par les talents , & les hommes;; en'général
fe livrant moins au travail & à l’étude par penchant
que par befoin, il eft rigoureufeinent nécef-
faire que dans la conftitution politique- où ces
circonfiances fe trouvent réunies p les progrès de
Yan militaire foient lents & tardifs.
a Obfervons : que les principes qui viennent
d ’être expofés ne peuvent être vrais que généralement
& qu’ils ont la même extenfton que
‘les principes politiques defquels ils dérivent. Par
l e concours d’un nombre infini de circonftançes
diverfes, les républiques anciennes fe font rapprochées
, plus ou. moins, de la république par- .
faite,-ou de la monarchie; les monarchies, des !
anciennes républiques, on du defpotifme : celui-ci
même , des monarchies. .Ces rapprochements ont
eu pour caufe principale les caraéfëres particu-
-liées des peuples , Ôl de leurs, fouvêraifis, Si poqr
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chaque état on entroit dans l’examen détaillé de
ces vérités politiques , on pourroit trouver que
les progrès. de Y art militaire font proportionnels
aux différences de ces variétés, & à leurs eau lé s ,
rapides dans les républiques , rallentis fous un
fenat tendant à la monarchie, tardifs fous des
rois, en décadence.fous les fouverains qui affectent
le defpotiime,, &. qu’ils lerofent relativement
les plus grands poffibles; dans la République
la plus libre ; fous un roi républicain, & lous
un defpote monarque.
L’importance de Y art militaire mérite qu’on
recherche & qu’on emploie touts les moyens qui
peuvent le perfèéfionner. Je ne joindrai point ma
voix à celle de quelques militaires, qui l’ont
nommé le premier des arts t Y art par excellence ,
lart des princes & des rois. Non, il n’eft point
le premier des. arts que les rois doivent exercer.
Né de fin juftice & du reffentiment , il conferve
toujours la tache de fon origine, & accompagne
de grands maux le peu de bien qu’il procure. Mais
ces arts confervateurs de la nature humaine , Y art
de la législation, qui fait régner l’ordre dafis nos
Sociétés, celui de.l’agriculture, qui, en fatisfaifant
touts les befoins de l’homme , embellit fa demeure,
celui1 de l’économie;, qui inftitue & dirige tout ce
qui peut contribuer au bonheur public, voilà les
premiers arts dès princes. Qu’ils les protègent &
les exercent dans la Sincérité de leurs coeurs ; rois
ÔL peuples feront heureux, & Y art militaire inutile î
Mais, s’il entre dans l’effence de la nature humaine
d’être violent injufte ; fi les rois donnés
par le fort aux nations ne font pas touts capables
de le dégager de ees v ic e s s ’il faut que dans touts
les temps la foif ardente .de la gloire &. de l’or en
égare quelques-uns, & que les, peuples en (ouf-
frent ; Yarttqui défend quelquefois nos propriétés
& nos jouifîances contre l’oppreflion de la tyrannie
mente un rang dans notre eftime, après ceux qui
les repro.duifent ,les multiplient, les ordonnent, & #
le>. affurent dans tputs les inftahts.
s i Quanta aux difficultés & à l’étendue; Y art mili-t
taire eft fans doute le premier de touts les arts. Il
combine farts celle un tçès grand nombre d’objets,
& la plus,légère faute dans cette combinaifon peut
avoir des effets funeftes. Touts les autres arts dif-
pofent feurs. matériaux à loifir & en sûreté ,. dans
la, paix, & dans le filence : mais fouvent dans
„celui-ci, les voir d’un, çoup-d’ceil, les, ordonner *
;& prévoir touts leurs effets , doit être l’oeuvre
d’un inftant, & un éclair du génie. L’exercice des
autres arts ne demande que du fçavoir &, de l’habi-
leté ^ celui de Yart militaire veut quelque chofe
déplus. Un général qui n’eft qu’habile fera certaines
difpofitions avec prudence & induftrie. Il combinera
fçavamment toutes les parties du grand corps
qu’il fait mouvoir ; il prévoira ingénieulenient touts
les efforts, qui lui feront oppofés^mais , au. moment
de l’exécution, où la froide & lente combinaifon
.n’eft plus.fuffifante, il fe trouvera fouvent accablé
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par des circonstances imprévues ; c’eft alors que le 1
fçavoir & l’habileté feule font des,moyens foibies
un feul moment perdroit tout ; il faut l’invention ,
les reffources, la rapidité, la iupériorité du génie.
Le général qui pofsède ces qualités fublimes peut
feul atteindre à la perfection dans l’application de
Yart militaire.
A R Z E G A IE , bâton long de dix à douze pieds,
dont les deux bouts étoient garnis d’un fer pointu.
C ’étoit l’arme des Eftradiots. Ils s’en feryojerrt trçg ;
adroitement, & irappoient, tantôt av,ec une pointe,-
tantôt avec l’autre. Suivant M. de Langey , ils
étoient en état de faire, avec cette arme , la fonction
depiquiers contre la cavalerie. On conçoit
qu’en enfonçant une pointe en terre, &, préfen-
tant l’autre au cheval, il étoit poflible de 1 arrêter.
Cette arme pouvoit aufli avoir fon utilité dans, les
attaques & déienfes de pofte & de brèche. La
pointe de fer , étantfimple & aigue, valoit bien
le fer de la lance ôc de la pique. ( Foyc^fig. 132..).
ASSASSIN. ( Droit de la guerre. ).
« On demande, dit Grotius, fi le droit des gens
permet de faire affaffiner un ennemi. Ici il faut certainement
distinguer deux fortes d’affaftm ; les uns
qui trahiffent par-là leurs engagements , exprès ou
tacites , comme font les fujets par rapport à leur
Souverain , des vaffaux par rapport à leur feigneür,
des foldats par rapport à celui pour qui ils portent
les armes, ceux qui ont été reçus ou comme fup-
pliants ,ou comme réfugiés , ou comme étrangers,
ou comme transfuges par rapport à celui qui les
a reçus ; les autres qui ne font dans aucun engagement
avec celui qu’ils affaffinent, comme , par
exemple , Pépin , père de Charlemagne ; lequel, à
ce qu’on dit -, ayant paffé le Rhin avec un feul
garde , alla tuer fon ennemi dans fa chambre.
Les derniers ne pèchent point contre le droit
des gens. Ce droit , aufli bien que celui de la nature
, permet de tuer un ennemi par-tout où on
peut >le trouver, & il n’importe que. ceux qui
tuent, ou ceux qui font tués, foient en grand ou
4sn petit nombre. Six cents Lacédémoniens, étant
entrés avec Léonidas dans le camp de l’ennemi ,
allèrent droit à la tente du roi de Perfe : ils auroient
pu fans doute le faire , s’ils ëûffent été en plus petit
nombre. Le Conful Marcellus fut tué par quelque
pep de gens qui le furprirent, & Pétilius Cérialis
faillit à être aflafliné dans fon l i t , par un aufli petit
nombre d’ennemis. L’entreprife fhmeufe de Mutius
Scævola eft louée non-feulement par les hiftorièns
qui la racontent ; mais encore par Cicéron &. par
galère Maxime., Porfenna même, celui à qui il
avoit voulu ôter la vie , né trouva rien que de
beau dans ce deffein. Polybe appelle un aéle de
bravoure l’entreprife de Théodote , ætolien, qui
avoiteflayé de tuer le roi Ptolémée dans fa chambre.
Saint-Ambroife loue fort Eléafar , frère de Judas
Machabée , de ce qu’il tira contre un1 éléphant de
plus haute taille que les âutres, croyant que c’étoit
£plui qui p or toit le roi Antiochus.
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Ceux qui ont pouffé quelqu’un à faire une pa-
i reille aéiion , font réputés innocents par le droit
1 des gens, aufli bien que celui qui l a laite lui-même.
'f Ce lurent les fénateurs de l’ancienne Rome, ces
perfonnages ft graves , iï religieux obfervateurs des
loix de la guerre, qui encouragèrent Mutius Scævola
à exécuter l’entreprife hardie, de tuer le roi
■ Porfenna.
En vain objeâeroit-ron que quand, on attrappe
| de ees fortes d'aJTaJJins , on les p.unit ordinairement
| de fupplices très rigoureux : cette difficulté ne doit
pas faire de la peine ; car la rigueur dont on ufe
alors ne vient point de ce qu’on croit que ceux
contre qui on l’exerce ayent violé le droit des gens ;
mais c’eft que ,, par le même droit des gens , tout
eft permis contre un ennemi ; de forte que chacun
fait plus de mal à fon ennemi, félon qu’il le juge à
propos pour fon intérêt. Il e ft, fans doute permis
d’envoyer des efpions : Moïfe en envoya , & Jofué
lui-même le fut. Cependant, lorfqu’un efpion eft
découvert, on le traite ordinairement avec beaucoup
de rigueur ; &. cela juftement, fi on fait la
guerre pour un fujet manifeftement légitime , toujours
impunément, & par droit de guerre ». .
Cette d'écifion m’a fait frémir. Elle m’étonneroit
dans une affemblée de .fauvages : ou i, qu’elle fois
propofée du nord au midi de l’Amérique» & je
doute pas qu’on ne l’y rejette^!)ans toutes les nations
civilifées , elle le feroit avec horreur, & cet
affentiment général eft la loi fuprême. Il n’y a qu’uft
homme placé hors de toute fociété , vivant feul
dans les forêts comme un tigre , qui eut le droit
de tuer un autre homme dont il auroit reçu quelque
mal : pour un pareil animal, s’il y en avoit , il
n’exifteroit d’autre droit que celui de la force. Mais,
dans toute fociété , tout aflaffinat eft un'crime ;
tout homme qui aflafliné celui qu’il croit être fon
ennemi particulier, eft un lâche : tout homme qui
aflafliné celui dont il n’a reçu perfonnellement aucun
mal, eft un homme atroce.
La fociété eft un état de paix univerfelle, & d’équité
publique ;& l’objet d’une guerre jufte.eft de ramener
à cette paix, & à cetteéquité , les fo.uyerains
& les peuples qui ont le malheur de s’en éloigner.
La guerre jufte & légitime fe fait, non de particulier
à particulier, ou de fouverain à fouverain ,
mais de nation à nation : elle fe fait en commun,
& ceux qui la font ne font pas hors de la fociété générale
, & rentrés dans l’état de brutes , où tout
leur feroit permis. Si cela é to it, il n’exifteroit plus
pour eux ni droit des gens , ni droit de la guerre.
Puifque ceux qui fe font la guerre, font encore
dans la fociété,. ils font fournis à fon droit, &,
toute agreffion particulière y eft un crime. Si un
foldat paflè du camp de fa nation dans celui de
la nation ennemie, à deffein de tuer traitreufement
j un homme, dont il veut fe venger , parce qu’il en.
! a reçu quelque dommage ; c’eft un infâme & lâche
J ajpijjîn ; l ’état aéluel de guerre entre les deux na-
1 rions, n’ayant rien de commun avec fa vengeance