
lorfqu’on n’eft pas certain que tout fera tranquille
a Y arrière- garde , il faut fe préparer'aux événements
, & la compofer d’une partie de fes meilleures
troupes. Aucune précaution ne doit être négligée
devant un ennemi a&if ôc entreprenant. On en a
vu attaquer & enlever des détachements jufques
derrière les colonnes de l’armée qui marchoit à
eux. Si le général qu’on a en tête n’eft pas capable
en général de cette réfolution, il faut fuppofer
qu’elle peut lui venir en quelque circonftance particulière
ou lui être communiquée. Il y a de l’imprudence
à tenter, braver, ou méprifer un ennemi,
tel qu’il foit.
La force d’une arrière-garde fe règle fur celle du
corps dont elle eft détachée. Loriqu’elle eft peu
nombreufe , elle marche à peu de diftance Ôc
toujours à vue du corps principal ; parce qu’il ne
faut que peu de temps pour battre $ difperfer, ou
enlever un détachement foible , & - qu’il eft aufli
plus facile de le lurprendre. Mais lorlque Y arrière-
garde eft affez forte pour fubfifter quelque temps
par fes propres forces, ôc foutenir l’attaque d’un
ennemi, même fupérieur ; elle peut fuivre à une
diftance un peu plus grande , telle cependant qu’elle
puiffe recevoir ôc donner promptement les avis
ôc fecours néceflaires. Dans/tous lès cas, excepté
ceux où elle eft très-foible, elle doit avoir elle-
même fon arrière - garde, & prendre toutes les
précautions requifes dans les marches. Si elle eft
attaquée ; elle fera les difpofitions que l’art de la
guerre prefcrit, pour remplir fon objet qui eft de
couvrir ôc protéger la colonne qti’elle fuit. Si la
_£plonne eft de bagages , de vivre s, ou de munitions;
l’objet principal eft de lui donner le temps
de continuer fâ route. En ce cas, l’officier qui
commande Y arrière - garde la formera en bataille
dans un pofte avantageux, s’il ne peut pas lui-
• même continuer fa marche fans danger. Cependant
il fera inftruire le commandant de I’efcorte du parti
qu’il a pris & des forces de l’ennemi. S i , par une
bonne difpofition, & une contenance hardie , il
en impofe aux troupes qui font en préfence ; il fe
retirera en bon ordre vers la colonne. Attaqué
foiblement il combattra en retraite , en prenant les
pofitions avantageufes que lui offrira la nature des
lieux. Si l’attaque eft vive , il la foutiendra en attendant
du fecours ; lorfqu’il fera parvenu à la
rallentir , il fera fa retraite : ôc , s’il avoit l’avantage
le plus décidé , il doit fe reffouvenir que fon
objet n’eft pas de pourfuivre l’ennemi vaincu ,
mais de protéger la colonne contre de nouveaux
ennemis s’il s’en préfente. Lorfque cette colonne
eft compofée de troupes , le danger eft moindre ;
parce que le fecours peut être grand, plus prompt,
& que la colonne a fa défenfe en elle-même.
. Ces principes font communs à toute arrière- \
garde, foit de colonne feule, foit d’armée. Il eft .
rare qu’elles foient inquiétées dans une marche vers
l ’ennemi , ôc qu'alors elles foient expofées à de
grandes entreprifes & de-vives attaques. Au con- ;
traire , dans une retraite elles le font prefque
toujours.
On réglera fur - la nature du; terrein qu’elles
doivent traverser , l’efpèce des troupes dont elles
feront compofees : infanterie dans les montagnes ,
cavalerie en plaine ; l’une ôc l’autre dans les pays
mêlés de plaines , de hauteurs , Ôc de défilés.^Dans
le cas de retraite dont je parle à préfent, les précautions
deviennent bien plus nombreules. L’ennemi
étant alors ardent à pourfuivre , il faut employer
tous lés moyens poflibles pour retarder fa
marche, ÔC lui oppolertouts les obftacles. U arrière*
garde fera couper les ponts qu’elle aura paffés ,
détruire , brûler , ou couler bas les bateaux fur les,
grandes rivières , gâter les gués, rompre les défilés.
Si on a le temps , on mine les ponts, pour les faire
lauter, quand les troupes font en-deçà. On peut
les abattre aufli avec le canon : ôc s’ils font d$
bois, on y met le feu.
Si au lieu d’un pont, il y a entre les deux armées
un défilé , que les ennemis doivent néceffairement
paffer pour vous fuivre dans votre retraite, faites
rompre ce défilé par votre arrière - garde ,* parce
qu alors les ennemis feront obligés de faire un
détour , ou-de perdre beaucoup de temps pour
raccommoder le paffage ; fur - tout s’il eft fur le
penchant d’une roche efcarpée ; il fuffit de couper
fix pieds du roc , pour qu’il faille employer plu-
fieurs heures à rendre le chemin pratiquable ; ou
bien l’on y paffera avec tant d’incommodité, que
la marche fera très retardée.
^ Lorfqu’en 1708, fon al telle royale M. le duc
d’Orléans alloît faire le'fiége deT o r tofe , les ennemis
rompirent le pas appelle de YAJJe : Ôc ,
quoique les ennemis n’euffent laiffé aucunes troupes
pour le défendre, l’armée des deux couronnes fut
obligée de s’arrêter une demi-journée , pour rac*
commoder le chemin : ce ne fut qu’avec beaucoup
d embarras qu’on y paffa, ôc il y eut plufieurs
chevaux ôc mulets , qui y forent eftropiés.
On obje&era que , fi la montagne eft de terre,
on aura biéntôt ouvërt un chemin au-deffus de
celui qui a été détrüit ; où l’on fera un nouveau
paffage au-deffous, en fouinant les terres avec des
madriers ou des pieux-; que, fi au contraire la montagne
eft de roche, l’armée qui fait retraite, ôc
que l’on fuppofe à préfent n’avoir pas un grand
avantage de chemin ,. n’aura pas le temps de s’arrêter
pour rompre le roc. On peut répondre,.que
fouvent un peu de terre, qui s’éboule facilement,
donne lieu à un travail immenfe , pour former
un chemin fur le roc qui étoit deffous, Ôc qu’elle
vient de laiffer à découvert. Quand même le
penchant de la montagne feroit de terre, il faut
plufieurs heures pour ouvrir un nouveau paffage,
quelques minutes pour rompre un chemin en
divers endroits. D ’ailleurs, fi toute la montagne
eft de roche vive , vous pouvez y pratiquer d’avance
quelques fourneaux, ôc les faire enfuite
jouer après que votre arrière-garde aura pafle.
S i , dans votre retraite, vous marchez par un
bois, ou à caufe des coupures du terrein , du tuf,
ou de la ténacité de la terre glaife, il n’y ait
que certains chemins abfolument néceflaires ; faites
marcher en queue de votre arrière-garde une centaine
d’hommes , qui fçachent bien manier les
grandes coignées, ôc qui abattront ôc feront tomber
fur le s . chemins étroits les arbres qui en font les
plus proches. Par cette précaution vous arrêterez
îûrement la marche de l’ennemi, ôc principalement
celle de la cavalerie , des chariots, Ôc de l’artillerie.
Gafpar Fluhx, général des troupes de Bohème ,
en faifant abattre des arbres pour embarraffer les
chemins, retarda la jon&ion des troupes du roi
Ferdinand Ôc du duc Maurice avec celles de l’empereur
Charles Y . Végèce avoit aufli propofé cet
expédient.
Lorfqu’il y a dans les bois de la brouffaille sèche ,
faîtes-y mettre le feu par divers partis, après que
votre arrière-garde fe fera un peu éloignée : par-là
vous empêcherez l’erinemi de traverfer le bois ;
ou ,v s’il fe réfout à le faire , il fera extrêmement
incommodé par la fumée , qui le mettra en défendre
, ôc l’empêchera de voir vers quel coté vous
continuez, votre retraite. Vos partis ne mettront
point le feu âu bois , que votre armée n’en foit
entièrement fortie , fur - tout fi le vent vient par
derrière ; parce que les flammes, qui vont plus vite
que les troupes , pourroient les mettre en défordre
ôc leur nuire : ôc , f i , pour éviter cet inconvénient,
vous prenez votre route par un des côtés , vous
donnez plus de facilité à l’ennemi pour vous
joindre.
Si vous avez divers défilés à paffer dans votre
retraite, ayez à votre arrière-garde un détachement
de foldats d’élite ; q u i, après avoir pafle le
défilé, fera volte-face, fe rangera en bataille, ôc
fe mettra en difpofition d’arrêter l’avant-garde de
de l’armée ennemie» Vous donnerez lè temps à
votre arrière-garde de paffer le défilé fuivant, vers
lequel le détachement marchera enfuite pour faire la
même chofe ; ôc ainfi d’un défilé à l’autre , afin
que le gros de votre arrière-garde ne foit jamais
obligé de s’arrêter pour combattre.
Quand ce font des bois ou des montagnes ef-
earpées, le détachement fera d’infanterie; mais,
fi ce font des plaines entrecoupées par de petites
montagnes , le détachement fera de dragons ; parce
qu’ils fe fervent de leurs fofils pour difputer aux
ennemis le paffage d’un chemin étroit ; Ôc de leurs-
chevaux, pour fe retirer promptement d’un défilé
à l’autre; ou au corps de l’armée , lorfqu’il n’y a
plus de défilés , ou qu’ils font obligés de céder à
la force fupérieure de l’ennemi.
Ce fut avec ces précautions, que le duc de
Mayenne , ôc le comte de Mansfeld, firent vers
la Fè.re cette fameufe retraite ,,juftement louée.par
tant d’écrivains ; puifque fans engager le gros de
leurs troupes contre-celles d’Henri I V , roi de
France, ils mirent leur armée en fureté à la faveur
d’un détachement compofé de beaucoup d’officiers
ôc de braves foldats, qui fous les ordres même
du duc de Mayenne ôc de don Auguftin de Mexia ,•
meftre - de - camp efpagnol, difputa le paffage k
i l’armée du ro i, jufqu’à ce que celle de la ligne fe
fût affez éloignée. ( Bentivogl. hiß. di Fiand. ).
Le cardinal archiduc Albert , en décampant
d’auprès d’Amiens , tira grand avantage d’un corps-
de deux mille hommes d’élite ; q u i, fous la conduite
de dom Diégo Pimentel, faifoit face aux-
François , toutes les fois qu’il étoit néceflaire ,
afin de donner le temps au gros -de l’armée E s pagnole
de continuer fa marche fans inquiétude.'
' Votre détachement pourroit conferver quelques
légères pièces de campagne tirées par un double-
train de chevaux ; afin de mieux arrêter avec cetter
petite artillerie l’avant-garde des ennemis, pendant-
que votre arrière - garde gagne du chemin. En
commençant à tirer avec ces p iè c e s a v a n t que’
les ennemis s’approchent à diftance de reconnoître
votre armée, vous pourrez peut-être les induire-
a croire que c’eft votre gros, ôc non un détachement.
Alors les troupes de-l’avant-garde ennemie'
feront halte, pour attendre le refte de leur année ;
ainfi qu’on le verra bientôt par l’exemple du comte'
de Las Minas.
S’il n’)k a pas une grande diftance entre le dé-'
tacheraient ôc l’armée, les ennemis n’oferont pas
faire avancer des troupes pour le couper ; parce'
que , fi votre arrière-garde revenoit fur fes pas ,
& fi le détachement préfentoit deux fronts , l’un
pour contenir l’avant-garde ennemie , l’autre pour'
attaquer la troupe qui veut le couper ; cette*'
troupe ,^mife ainfi entre deux feux ôc chargée de-
deux côtés, ne pourroit guère éviter d’être dé-*-
J faite. Lorfqu au contraire votre arrière-garde s’é-r"
loigne beaucoup du détachement ; parce que la
diftance d’un défilé à l’autre eft grande, ôc que'
le détachement veut conferver le défilé dont i f
difpute le^ paffage aux ennemis , jufqu’à ce que'
votre arrière-garde ait pafle le défilé plus avancé <•
alors le commandant du détachement doit jetter-
des partis fur les flancs, pour obferver fi quelque-
troupe fuperieure des ennemis vient pour le couper.
Dans ce cas il fe retirera , à moins que les avenues1
de Y arrière-garde ôc du flanc ne fofferit fi étroites»
que le commandant fe crût en état de lès' dé--
fendre en même temps, jufqu’à ce que les ennemis»
euflent fait avancer quelques nouvelles troupes-
pour remplacer celles qu’ils avoient envoyées pour-
couper votre détachement. Dans ces circonftances>
on peut prendre lès précautions fuivantes.-
,, J,e,ndant ffue ,les ennemis s’avancent vers- le^
deùle , votre détachement tâchera d’embàrraffer'
le paffage , en abattant des arbres, en coupant des-
ponts en efcarpant les- chemins, ou-en brûlant
la firouffaille, ainfi qu’on l’a dit ci-deflùs. Il feroit*
meme bon de laiffer dans les paffâges étroits ôc
profonds , un ou deux dievaux,. à- qui l’on autels