
gouvernera l’autre ,. fans meurtres 6c fans effuftçn
de fang ». ( JL. 1 , c. 13 ).
L’hiftoire offre un grand nombre de combats
femblables. Les hiftoriens Romains , ôc parmi nous
le grand Corneille ont rendu célèbres les Horaces
ôç les Cunaees. Les Grecs e.nont plufieurs exemples;
Hyllus 6c Echémus combattent entre eux pour je
Péloponnèfe ; Hypérochus ôc Phémius pour les
rives de l’Ijiaçhus ; Pyrèçhme 6c Degmène pout
l’Elide ; Corbus 6c Orlua pour Ibe , ville d’Afrique.
Agathias loue cet ufage dans les Francs. « Lorfqu’il
s’élève , dit-il , quelque différent parmi leurs rois ,
ils fe préparent comme pour combattre , 6c décider
leur querelle par les armes , 6c marchent
les uns contre les autres , jufqu’à ce qu’ils foient
en préfence ; dès qu’ils fe voient, la colère celle ;
les fentiments de concorde en prennent la place ;
ils invitent leurs chefs à fe concilier fuivant l’équité,
ou bien à fe combattre, 6c à rifquer eux feuls le
fort des armes ; parce qu’il n’eft ni jufte ni conforme
aux coutumes de leurs ancêtres d’expofer ou de
ruiner leurs peuples pour fervir leurs inimitiés particulières.
Alors les phalanges rompent leurs rangs
6c quittent leurs armes; la paix , la concorde , le
commerce font rétablis ; les deux partis dépofant
tçute crainte fe mêlent enfemble ; les maux dont
ils étoient menacés difparoiffent : tant l’efprit de
juflice 6c d’amour du bien public a de puiffance
fur e u x , 6c tant leurs fouverains font modérés 6c
dociles ». ( L. / , c. 2. ).
Voilà ce qui a été fait. Mais ce qui a été fait
fe devoit-il faire ? Et dans quelles oçcafions la voie
du fort eft-ellè légitime ou non ? « On n’a plein
pouvoir, dit Grotius, de prendre cette voie , que
lorfqu’il s’agit de quelque çhofe fur quoi on a un
plein droit de propriété. Car l’obligation ou eft
l’état de défendre la vie ou l’honneur des citoyens,
6c autres chofes femblables , comme auffi l’obligation
ou eft le roi de maintenir le bien de l’état ;
ces obligations, dis-je , font trop fortes , pour que
l’état ou le roi puiffe renoncer à î’ufage des moyens
les plus naturels pour fa propre confervation 6c
pour celle des autres.
Cependant , fi celui qui a été in jufte ment attaqué
fe trouve fi fbible qu’il ne voie aucune efpé-
rance de réfifter, rien n’empêche, ce me femble ,
qu’il n’offre de vuider le différent par la voie du
fort ; pour éviter ainfi un péril certain , en s’expo-
fant à un danger incertain : car c’eft alors le moindre
de deux maux inévitables.^
Il me femble que, pour éclaircir cette queftion ,
il faut diftinguer plus précifément les conditions
du problème. La puiffance que l’on fuppofe dans
le cas de délibérer eft république, monarque , ou
defpote. Si elle eft république , il n’y ,a qu’elle..
feule de juge : elle doit confulter, pefer tous fes
intérêts , 6c prendre le .parti qui leur eft le plus
conforme, relativement au pouvoir 6c au caractère
de fon ennemi. Si elle eft hors d’état de lui
réfifter , 6t qu’il ne foit pas inftruit de fa foibleffe ;
Il eft évident qu’elle fera fort heur-eufe de remettre
la décifion au fort qui peut la favorifer , 6ç qui
■ du moins rétablit pour un moment entre elle 6c
, lui l’égalité qu’elle avoit perdue. Je fuppofe qu’il
I ne foit pas Inftruit : car il n’eft pas moins évident
que, s’il çônnoiffoit la foibleffe dè la puiffance
qu’il combat 3 fa propofition du fort lui pafoîtrdit
ridicule , 6c d’autant plus qu’il feroit agrejfeur. Je
dis donc que la république , étant maîtreffe abfolue
de toutes fes propriétés , peut les rifquer ou les
garantir, comme elle juge qu’il convient le plus
à fes intérêts.
. Si on fuppofe ün monarque dans la même fitua-
tion ; comme il n’eft pas indépendant ; comme il
y a des obligations ôc des devoirs entre lui 8c
l'on peuple , il ne peut rifquer de la forte que
des biens qui lui foient propres , ainfi que le dit
Grotius. Cependant il faut y ajouter fes intérêts
que le peuple a confiés au r o i , tels que- ceux
de tous les biens aliénables de leur nature, comme
l’argent, les avantages du commerce , 6c autres
femblables; Il me paroît, évident qu’à ces deux
égards le roi peut 6c doit décider ce qui eft le
plus conforme aux intérêtsode la nation, 8c facrifier
une partie de ces intérêts pour conferver l’autre.
II peut donc à cet égard offrir la voix du fort
dans le cas fuppofé de l’impuiffance de réfifter.
Mais, à l’égard des biens inaliénables , comme la
liberté 6c la volonté dè fon peuple , il n’en eft
pas maître. Il ne remettra donc point à la voie
du tort la poffeflion de fon royaume ; parce que
le peuple peut le vouloir pour fouverain, 6c n’en
pas vouloir un autre. Il n’y remettra point la forme
d’adminiftration ; parce que le peuple peut la vouloir
telle qu’elle eft , 6c n’y defirer aucun changement.
L’accord des deux volontés eft donc né-
ceffaire en ces circonftances , à moins que le
peuple ne foit indifférent fur le choix d’un maître
ou d’une forme de gouvernement : ce qui arrive
quelquefois pour le premier , 6c bien rarement
pour l’autre. Il en eft de même du dèfpote : le
peuple peut en vouloir un , 6c n’en pas fouffrir un
autre.
On demande enfuite fi , pour mettre fin. à la
guerre , on peut s’en rapporter au fuccès d'un
combat entre un certain nombre de gens défit
on eft convenu, par exemple, un contre un de
part 6c d’autre, ou deux contre deux, ou trois
contre trois , - ou trois cents contre trois certts :
ici le nombre ne fait rien à l’affaire. Mais ce qui
importe beaucoup , c’eft de diftinguer les temps.
Lorfque la guerre fe fait entre deux petites peuplades
, comme il eft arrivé autrefois pendant phi-
fieurs fiècles ; un combat décidoit la querelle ,
6c le vaincu étoit affujetti. Alors, il étoit fans doute
plus fage de remettre la décifion au fort des armes
d’un petit nombre, dans ces temps oh , les forces
étant à peu près égales,, 6c l’art ignoré , lé rifque
étoit prefque le meme d’une manière ou d’autre.
Mais, lorfque deux nations ont une puiffance 6c
des reffources inégales , qui cependant peuvent
fe balancer ; lorfque l une a des généraux fupérieurs
en habileté ou en génie ; lorfque cette complication
de force 6c de moyens fait qu’une ou deux batailles
perdues ne décident rien , 6c qu’une victoire peut
en réparer le dommage; il feroit auffi infenfé que
ridicule de propofer la voie du fort , quand il
s’agit de la liberté 6c du falut de l’état. On ne
ponrroit y recourir que pour un intérêt médiocre,
inférieur aux pertes néceffaires d’argent ôc d’hommes
qu’une guerre entraîne néceffairement , & lorfqu’il
n’y a point de fuites facheufes à craindre de la
part de la puiffance avec laquelle on eft en litige.
Si elle eft turbulente, arrogante , dominatrice ,
difpofée à faire un mauvais emploi d’un petit avantage
que lui donneroit le fort ; on peut éviter plufieurs
guerres, en lui en faifant une forte, dont
elle ait lieu de fe repentir.
Mais un roi p eu t-il expofer fa vie'dans un
combat fingulier , pour décider un different ? Il
faudroit fans doute ici le confentement du peuple
ôc des perfonnes à qui les loix donnent droit à
la fucceflion , même dans le cas 011 le prince ne
propoferoit le défi que pour défendre un intérêt
qui lui feroit propre ÔC particulier. Un bon prince
eft fi précieux que tout peuple préféreroit la guerre
au malheur de le perdre. Ainfi touts les cas qui
viennent d’être difcutés- fe réduifent en dernière
analyfe aux probabilités morales dont la combi-
naifon doit donner le plus grand avantage.
1' - Grotius blâme le combat fingulier fans aucune
1 reftriéHon, Ôc prétend que c’eft un péché contre
la raifon, la loi divine, l’écriture fainte, 6c la chanté.
Il eft affurément fingulier de dire que pour un
intérêt médiocre on peut expofer la vie de cent
mille hommes , ôc que pour le même intérêt ,
il • foit criminel d’expofer la vie d’un feul. C'eft
péché , dit-il , que de tuer un homme pour ne
pas perdre des chofes dont on peut fe paffer, ÔC
c’eft pécher auffi contre foi-même 6c contre Dieu ,
que de prodiguer à fi bon marché la vie que l’on a
reçue comme un grand préfent de la libéralité
divine. Je conviens de tout cela. C ’eft mal fait
d expofer pour peu de chofe la vie d’un feul homme.
C ’eft encore plus mal fait d’expofer la vie de dix
mille ; mais le citoyen qui les fauve en donnant
la fienne ne me paroît pécher ni contre Dieu ni
contre les hommes. Grotius ajoute , « prendre le
parti de s’en rapporter à un combat arrêté, comme
fi le fuccès devoit être une preuve de la bonne
caufe, ou une punition de la juftice divine , c’eft
folie 6c fuperftition ». Mais il ne s’agit point ici
de tout cela; Il s’agit d’une guerre imminente qui
va faire périr cent mille citoyens. Un feu l, en
expofant fa v ie , garantit la leur. Eh ! qu’importé
1 opinion qu’ils auront de fon combat ? Qu’ils la
regardent comme une preuve de la juftice de leur 4
caufe , ou feulement comme une aâion qui va "
décider leur intérêt comme le mouvement d’un
de décidé celui d’un-joueur ; celai qui- brave le
1 'danger pour eux en aura-t-il moins rempli fon devoir
, 6c fervi fa patrie ?
Dans cette efpèce d’arbitrage par le fort des
armes,. on drfpute .fouvent à qui appartient la
viôoire. S’il n’y a que deux combattans, la décifion
eft facile. Celui qui tue fon adverfaire , ou
qui le contraint d’avouer fa défaite, eft fans doute
le vainqueur. S’il y a plufieurs combattants de part
ôç d’autre, les premiers qui auront tués ceux de
l’autre parti, ou qui les auront mis en fuite 6c
hors d’état de fe défendre, feront réputés vainqueurs.
Mais différentes circonftances peuvent faire
naître ici des conteftations. Telle eft celle qui
s’éleva entre les Argiens 6c les Spartiates. Ceux-
ci avoient occupé Thirée , ville appartenante aux
Argiens. Les deux peuples prirent les armes ; 6c,
pour éviter une guerre, ils convinrent que trois
cents hommes combattroient de part 6c d’autre ,
que la ville refteroit au vainqueur 3 6c que les
deux armées fe retireroient pendant le combat à
quelque diftance ; de peur que la troupe la plus
foible ne fût imprudemment fecourue par les fiens,
s’ils étoient préfents. Des fix cents hommes qui
combattirent, il ne reftoit que les deux Argiens
Alcinor 6c Cronius, & le Lacédémonien Othryades,
lorique la nuit finit le combat. Les deux Argiens fe
croyant vainqueurs coururent l’annoncer à leurs
concitoyens; ; tandis qu’Othryades, ayant dépouillé
les Argiens morts, porta leurs armes dans- le camp
des Spartiates, 6c revint au lieu du combat. Le
lendemain lesdeux armées marchèrent l’une à l’autre,
6c s’attribuèrent la viâoire. Les Argiens difoient
qu’il étoit refté deux de leurs combattants , ôc un
feul Lacédémonien les Spartiates foutenoient que
- les deux Argiens avoient pris la fuite , 6c qu’O-
thryades au contraire , après avoir dépouillé les
morts & emporté leurs armes , étoit refté au champ
de bataille.
Si la décifion dépend du combat de deux
armées , elle eft encore plus fujette à des litiges :
il n’y a qu’une fuite complette qui ne laiffe aucun
doute. Deux armées peuvent refter fur le champ
de bataille, ou fe retirer toutes deux à quelque
diftance, ôc prétendre de part 6c d’autre que ce
mouvement rétrograde eft une retraite. Avoir
préfenté de nouveau le combat, eft encore une
preuve incertaine : il peut l’être après un défavan-
tage. Le parti qui fe croit vi&orieux peu convenir
qu’il lui a été préfenté de nouveau , fans qu’il
ait voulu l’accepter. Dans touts ces doutes, les
chofes demeurent au même état qu’avant la bataille,
6c il faut en revenir à la guerre ou convenir d’un
autre arbitrage.
Un arbitre entre deux puiffances fouveraines eft:
un juge fans appel, parce qu’il n’y a aucun tribunal
iiipérieur. Cependant il ne doit pas prononcer exactement
fuivant la rigueur des lo ix , mais donner
à fon jugement l’étendue que demandent la raifon ,
l’équité , ÔC la mefure morale. « On le prend , dit
Puffendorf, parce que l’amour-propre, (ou plutôt