
raux qui Font donnée n’ont pas fuiviles maximes
qui doivent fervir de règle, pour examiner fi on
a de bonnes raifons de donner une bataille, 8c fi ,
en la voulant donner ou recevoir-, on fe met’•par
fa difpofition particulière en état de pouvoir rai-
fonnablement elpérer de battre fon ennemi.
Pour examiner ce fujet avec la méthode que je
me fuis propofée, qui eft celle de prouver toujours
la vérité des principes par des exemples , je commencerai
par des remarques fur les fautes faites par
rapport à la conftitution générale des affaires de
la guerre en Allemagne, dans le temps qui précéda
la bataille d’Hochftet ; ÔC je finirai par faire
remarquer les fautes faites dans les difpofitions
particulières, pour prouver que prefque toujours
les fautes générales entraînent après elles les particulières.
Il ne convenoit aucunement dans ce temps-là de
commettre la décifion de toute la guerre en Allemagne
au fort d’une feule bataille. Cette vérité
étoit d’autant plus confiante que l’on voyoit que
les Anglois & les Hollandois avoient dans cette
campagne comme abandonné la guerre en Flandres,
pour venir faire en Allemagne un effort décifif,
fans lequel l’empereur ne pouvoit plus s’y foutenir,
ni eux-mêmes en tirer des hommes. Il falloit donc
éviter de combattre , puifqu’il fuffifoit de fe maintenir
, pour forcer les Anglois 8c les Hollandois à
fe retirer , ou à abandonner entièrement la guerre
en Flandres.
Pour prouver cette propofition générale , il faut
faire connoître quelle étoirla-fituation particulière
des chofes. L ’éleéleur de Bavière , qui étoit dans
les intérêts des deux couronnes, étoit maître de
tout le cours du Danube , prefque depuis fa fource
jufqu’aux frontières de l’Autriche , où il auroit pu
pénétrer quand il l’auroit voulu. Par conféquent ,
l ’empereur , occupé d’ailleurs par les mécontents
de Hongrie, étoit encore forcé de veiller continuellement
à l’Autriche & au T y r o l, tant pour
la confervation dë ces deux provinces que pour
fe conferver une communication libre avec l’armée
qu’il avoit en Italie.
Le pont que l’éleéleur avoit fur le Danube lui i
laiffoit la' communication librë avec le haut Pala-
tinat ; par conféquent l’empereur avoit toujours à
craindre qu’il n’entrât un corps de troupes dans la
Bohême, dont les peuples étoient fort irrités de la
dureté de fon gouvernement, & ne lui étoient
fournis que par crainte ; ce qui obligeoit l’empereur
à tenir tin corps de troupes pour couvrir la Bohême
6c la Moravie.
Nuremberg, ville impériale fituée prefque dans
le centre de l’empire , eft la plus confidérable du
cercle de Franconie. 11 falloit aufli que l’empereur
la confervât dans les intérêts de la ligue , de crainfe
que l’éleéleur de Bavière ne s’en faisît, comme il
avoit fait d’Ulm ôc d’Augsbourg.
Nuremberg ne pouvoit donc fe conferver que
par la protewion de l’armée des alliés ; ainfi, elle
ne pouvoit pas s’éloigner beaucoup de cette vilTe*
dont la confervation étoit d’autant plus importante
à l’empereur que , par fa perte , il ne poü-
voit communiquer de fes états au Rhin que par
l’autre côté du Mein ; ce qui lui auroit été abfolu-
ment impoflible.
Par ce que je viens de dire de la fituation dé
Nuremberg , on voit que l’armée des alliés ne pouvoit
s’éloigner d’une ville où étoient fes principaux
dépôts de vivres & de munitions de guerre.
Quelques jours avant la bataille d’Hochftet, lés
alliés avoient forcé le camp retranché de Schalem-
berg 6c pris Donawert. Cette conquête leur avoit
donné un pont fur le Danube, 8c féparé nos places
du haut Danube d’avec celles qui étoient au-deffous.
Cependant, comme leurs vivres étoient dans1 Nuremberg
& dans Nordlinghen , ils n’avoient pas
ofé quitter la Franconie 8c la Souabe pour paffer
I en Bavière.
Cette feule réflation, aifée à faire, fuffifoit pour
perfuader à «os généraux qu’il n’y avoit aucune
bonne raifôn pour combattre ; qu’ il falloit au contraire
éviter uneaélion générale, puifqu’en prenant
ce parti on étoit fur de forcer l’ennemi d’abandonner
le voiftnage du Danube , dès qu’il auroit achevé de
confommer les fourages qui étoient près de cette
rivière.
M. le maréchal de Villeroi étoit avec une armée
confidérable devant les lignes de Bihel, dont M. le
prince Eugène étoit forti avec la plus grande partie
des troupes réglées qui y étoient, fans que ce général
s’en fut apperçu.
La jonélion de M. le prince Eugène à M. de
Marlborough étoit trop connue pour pouvoir être
ignorée ; & M. le maréchal de Villeroi pouvoit
lortir de fon inaélion , forcer ces lignes , qui
n’étoient plus gardées que par quelques milices, &
s’avancer enfuite avec fon armée par le duché de
"Wirtemberg jufques fur le Neckre : alorsTennemi >
n’auroit pu conferver la communication avec le
bas Ne ckre, pour les vivres qui luf venoient à
Nortlinghen du Rhin & du Mein.
Ce mouvement feul auroit donc réduit l’ennemi
à ne plus vivre que par Nuremberg, 8c par conféquent
à ne pouvoir s’éloigner de cette ville. Il
auroit même fuffi, pour obliger les ennemis à revenir
en partie au Rhin, 8c laiffer agir librement l’éleéleur
de Bavière au milieu de l'Allemagne , que le maréchal
de Villeroi , -après avoir forcé les lignes de
Bihel, eut defcendu le Rhin avec fon armée 6c fe
fut approché de Philisbourg.
Ce mouvement feul auroit forcé les ennemis à
fe féparer pour venir protéger Philisbourg 8c le
bas Neckre : il n’y avoit aucun danger à faire cette
marche ; parce que , ces lignes étant forcées , le
maréchal de Villeroi étoit maître de faire un pont
fur le Rhin, où il auroit voulu, & de repaffer cette
rivière en cas que les ennemis fefuffent approchés
de lui avec toutes leurs forces ; ce qu’ils n’auroient
pu faire qu’en abandonnant à l’éle&eur l’Autriche
& Vienne même.
Dans cette difpofition générale de la guerre
d’Allemagne en l’année 1704, il eft aifé de fentir
qu il n y avoit aucune bonne raifon de vouloir
combattre un ennemi qui ne pouvoit plus refter
longtemps raffemblé dans le voifinage du Danube ;
& qui, après s’être éloigné de cette rivière, ne
pouvoit trouver entre le Mein & le Danube une
pofition qui garantît l’Autriche de l’autre côté du
Danube, 8c le Neckre en même temps.
Voilà quelles ont été les fautes faites par rapport
n la difpofition générale de la guerre d’Allemagne :
les autres fautes font celles qui regardent la difpofition
particulière & l’ordre de bataille.
La première a été d’avoir campé les deux armées ,
comme fi elles avoient dû combattre féparément.
La fécondé, de les avoir mifes en bataille le jour
du combat dans l’ordre de leur campement, 8c
feulement à la tête du camp.
La troilième, de ne s’être pas choifi un champ
de bataille allez proche du ruiffeau, pour que l’ennemi
ne put le paffer , 6c avoir du terrein pour fe
former entre le ruiffeau 6c le front de notre ligne.
La quatrième , de n’avoir point ébranlé la droite
6c le centrepour marcher à l’ennemi, dès que l’on
vit qu’il pafloit le ruiffeau, 6c qu’il fe formoit devant
nous.
La cinquième, de n’avoir point reconnu le ruiffeau
èn arrivant dans ce camp , 6c de n’avoir pas
eu des poftes d’infanterie le long de ce ruiffeau,
tant pour la fûreté du camp que pour être informé
des mouvements de l’ennemi.
La fixième, d’avoir fait des ailes droite 6c gauche
de cavalerie de deux armées le centre de la bataille,
au lieu d’avoir eu un centre formidable d’infanterie.
La feptième , d’avoir enfermé la plus grande 6c
la meilleure partie de l’infanterie de l’armée de
M. de Tallard dans le village de Bleinheim , où
•elle étoit fans aucun ordre de bataille , hors d’état
de faire ’aucun mouvement, 6c même fans avoir
pris des précautions pour fe procurer des communications
d’une brigade ou d’un régiment à l’autre.
La huitième, de n’avoir point reconnu/le terrein
de la droite de l’armée jufqu’au ruiffeau 6c au Danube
; de manière que l’on y plaça des dragons , au
lieu d’y mettre de l’infanterie.
La neuvième, de n’avoir pas détaché , en arrivant'
dans ce camp, un corps de cavalerie au-delà de la
gauche des deux armées , pour être informé de la
lituation du camp de l’ennemi : ce qu’on ignora
toujours de telle manière qu’on ne fçavoit pas que
leprince Eugène eût joint M. de Marlborough avec
fon corps d’armée, 6c qu’on croyoit M le prince
de Baden occupé au liège d’Ingoldftat avec un
corps confidérable.
La dixième, d’avoir paifiblement laiffé former
l'ennemi en deçà du ruiffeau', & faire fa difpofition
«lie qu il lui convenoit de la faire, pour attaquer
notre grand centre de cavalerie avec fon infanterie
fur deux lignes, foutenues de plufieurs lignes de
cavalerie, lans avoir pendant tout ce temps fongé à
changer notre ordre de bataille fur la difpofition
que ion voyoit prendre à l’ennemi.
La onzième, en ce qu’après le premier défordre
de notre grand centre de cavalerie, 6c lorfqu’il
eut abandonné le terrein qui le mettoit à hauteur
de l’infanterie enfermée dans le village de Bleinheim
, l’armée de l’élecleur ne s’eft pas ferrée fur
fa droite , pour charger en flanc l’ennemi, qui
avoit paffé dans l’intervalle des villages. Par ce
mouvement elle auroit foutenu ou retiré notre
infanterie de Bleinheim , 6c elle auroit donné à la
cavalerie qui avoit été mife en défordre par le feu
de l’infanterie ennemie le temps de fe remettre en
bataille. Au lieu de ce mouvement aifé à imaginer ,
cette armée ne fongea qu’à fe retirer toute entière
à U lm , 6c abandonna l’infanterie de l’armée de
M. de Tallard, dont la cavalerie ne fongea plus
ni à fe reformer , ni à faire un effort pour dégager
fon infanterie , dès qu’ellè vit que l’armée de l’é-
leéleur abandonnoit volontairement fon champ de
bataille 6c fe retiroit.
La douzième, que pas un des officiers généraux
de l’armée de M. de Tallard, après laprife de ce
général 6c le défordre du centre de cavalerie , ne
fongea à retirer l’infanterie du village de Bleinheim
, pendant qu’il en étoit encore temps , en la
faifant marcher du côté du Danube, jufqu’à ce
qu’elle eût rejoint la .cavalerie : au contraire ceux
qui étoient chargés en particulier du commandement
de cette infanterie, ou l ’abandonnèrent même
avant qu’elle fut attaquée , dès qu’ils virent la cavalerie
battue, 6c allèrent fe noyer dans le Danube ,
en le voulant paffer à la nage ; ou relièrent dans
le village , n’ofant en fortir, fans fonger à faire
aucun mouvement pour s’en retirer , ni même à
fe pratiquer des communications entre les troupes,
6c nefemblèrentyêtre reliés que pour fe charger de
la honte de faire mettre les armes bas aux régiments
malgré eux , ôc de livrer aux ennemis vingt - fept
bataillons 6c douze efcadrons des meilleures troupes
du roi : aâion dont l’infamie eft fi grande que je
fuis perfuadé quelle ne fera pas crue de la pollé-
rité , quand elle apprendra en même temps qu’à
la réferve d’un feul brigadier d’infanterie , qui a été
caffé, touts les autres auteurs ou témoins dev cette
lâcheté ont été récompenfés ou élevés en dignité.
B A T A I L L E D E R AM I L L Ï E S .
La bataille de Ramillies, perdue par M. le
maréchal de Villeroi, le 23 mai 1706, a été fi
funefte aux deux couronnes, 8c les fuites en ont été
fi extraordinaires que, pour bien faire comprendre
ce que je .vais dire de cette bataille, il me paroit
néceffaire d’en faire précéder le récit par celui des
affaires générales de la guerre ; afin de montrer
qu’il n’y a eu pour fe commettre à une aélion géné->