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ceux d’entr eux qui par un fçavoir fupérieur ana-
lyferoient la conjoncture, développeroient les obstacles
, démontreroient les reflources. Un grand
homme emporte en mourant .ôc l’utilité dont il
eft * Ôc l’utilité plus grande encore dont il auroit
été s’il eût vécu davantage ; mais Une académie
ne meurt point, 6c chacun des fçavants qui la
composent devient plus fçavant encore par le
Secours de cette Société, que s’il n’eut communiqué
qu’avec Soi-même.
Concluons que la Science de la guerre, étant le
bouclier lous lequel les loix, l’autorité du prince,
la religion, les moeurs, l’agriculture, les Sciences,
les arts , les muSes même produisent touts les fruits
qui Sont le bonheur d’un état, une académie militaire
, conSacrée au progrès ôc à la perfection de
cette Science Seroit le plus utile, le plus noble ,
le plus grand de touts les établiflements ».
( Pourquoi, dit un autre militaire , de touts les
états celui de la guerre eftril le Seul qui n’ait point
d'académie .. Si pour les arts de pur agrément il
y en a d’entretenues à grands frais, quel eft l’aveuglement
qui prive notrè nation d’un pareil établifte-
ment ? La profeffion des armes eft-elle,moins inté-
reffante que celle de la peinture ôc de la gravure ?
Eft-il moins néceffaire de Soutenir l’honneur d’un
peuple que d’en bien parler le langage ? J )
. Raflembler les Sentiments des militaires fur cet
objet, c’eft en quelque Sorte remplir l’office de
iecretaire d’académie, ôc fiippléer du moins en
partie aux avantages qu’auroit cet établissement.
S’il èft poffible de le perfuader, ç’eft en recueillant
les opinions, les jugements, les lumières ôc
les penfées de touts ceux qui en ont fait le Sujet
de leurs réflexions.
« L’inftitution d’une académie , compofée des
militaires les plus fçavants ôc les plus expérimentés
, dit M. de Maizeroy, Seroit le Seul moyen
de maintenir toujours en vigueur les- loix , les
constitutions, ôc les maximes qu’on auroit une
Fois établies ; de prévenir les abus, de rectifier
ce qui tendroit à dégénérer, ôc de poufler les
connoiffances de la guerre auffi loin qu’elles peuvent
aller. On raSSembleroit d’abord un allez grand
nombre d’obfervatio.ns ôc de mémoires pour former
des combinaifons Sur toutes les efpèees d’opérations
: on examineroit lés différens fyftêmes de
taétique : on peferoit, on çompareroit les opinions
des plus habiles généraux , ôc des meilleurs tacticiens.
LorSqu’on Seroit convenu des principes
élémentaires , on en for-meroit un code immuable,
qui Seroit une bafe Sur laquelle on éleveroit un
lyftême complet d’opérations. On marchefoit ainfi
dans la pratique à l’appui d’une théorie aflùrée :
ôc le flambeau de l’expérience éclairant fur la
variété infinie des circonftançes , il en réfulteroit
des remarques qui ferviroient à Se perfectionner.
Au moyen des cartes exaCtes ôc bien détaillées
de toutes les frontières ; même , autant qu’il Se
pourroit, du pays des puiflançes étrangères , fur
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la cônnoiflance de leurs forces, de leurs places,
de leurs reflources , des lieux propres à prendre
des camps avantageux, des paffages plus ou moins
difficiles , on formeroit des plans d’offenfive ÔC
de défenfive...... On examineroit ceux qui feroient
propofés ; on recevroit touts les mémoires qui
feroient préfentés par des officiers {tudieux ÔC
expérimentés. On les difcuteroit avec attention ,
ôc ce qu’on trouveroit utile au bien du Service ,
ou à la perfection de chaque branche de la guerre ,
Seroit communiqué au prince. Tant de projets
mal conçus , prélèntés Sous une forme féduilante ,
, Sc dont on ne connoît l’erreur qu’après l’execution ,
ne feroient plus adoptés. Tant d’autres qui'Sont
rejettés ou négligés, faute d’appuis aflez puiflants
pour les foutenir , feroient montrés dans tout
leur avantage, ôc ne pourroient manquer d’être
reçus. L’intérêt ^ la conSidération perfonnelle feroient
écartés ; on ne feroit: attention qu’à la
chofe. Souvent ce qu’on ne croit pas devoir être
agréé dans un temps, peut être d’une grande utilité
dans un autre. Tout étant-écrit Ôc dépofé dans
les archives, on s’en ferviroit dans l’occafion. Ce
Seroit le réfultat des travaux militaires, le dépôt
de leurs connoiffances, ôc. la Source abondante où
puiferoient ceux qui voudroient Se perfectionner
dans les grandes.parties.... Avec de pareils Secours,
ÔC' d’aufli grands motifs d’émulation on Seroit sûr
de voir d’excellents officiers Ôc d’habiles généraux
Se former dans touts les genres. Le goût du travail
ôc de l’application prendroit la place du désoeuvrement
ôc des occupations frivoles....i.
Si jamais on a eu lieu d’efpérer cet établifiement,
c’eft dans un temps où lès lumières font le plus
répandues , la difcipline militaire' plus affermie ,
le monarque.-plus bienfaifant, ôc les miniftres plus
éclairés. L’inftitution de l’académie françoife portera
aux fiècles les plus reculés le nom.de Son
fondateur. Celle d’une académie militaire n’immor-
taliferoit pas moins celui qui: en poferoit la première
pierre ».
Le plan , qui fuit m’a été communiqué par M. de
C e f l a c . -
( En parcourant les annales de l’Europe , depuis
1635 jnïqn’à nos jours, j’ai vu les fociétés Sçayantes
fe multiplier , fuf-tout dans ma patrie. Perfuadé
de leur'influence fur l’açcroi{Tement des lumières ,
ôc de l’effet de, celles-ci Sur, le bonheur public , je
me Suis eftimé heureux d’être né dans un fiècle
où les arts ôc les Sciences avoient des,temples , des
prêtres ÔC des autels. Mais quel a été mon étonnement
, lorfqne je n’ai lu fur le frontifpice d’aucun
d’eux academie militaire ! Pourquoi l’art de la
guerre, qui protège ôc défend touts les autres,
n’a-t-il pas les mêmes honneurs ? Une Science qui
fait la gloire ôc la sûreté de ce royaume, fera-t- elle
la plus négligée chez un peuple environné, d’ennemis
puiflants Ôc avides à l’excès de la gloire
acquife par les armes ? Dans les fiècles où l’on a
méprifé les connçiflançes, où l’on a fait confifter
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tout le mérite - du guerrier dans une bravoure
aveugle,, où regardant moins la guerre comme
une. Icience que comme un métier , on a préféré
l’expérience qu’on acquiert néeeffairement avec le
temps , à la théorie qu’on n’obtient que par un
travail affidu jdans les temps où l’on s’eft refufé
jufqu’à de petites, dépenfes utiles , pour être en
état de Satisfaire à de grandes prodigalités, où
peut-être des miniftres ou des généraux jaloux ,
defpotes fainéants , ont craint d’accroître le faifeeau
des lumières , qui auroit trop éclairé leur conduite,
leurs plans, ôc leurs fyftêmes: on n’a pu même
parler d’académie militaire.
Ces erreurs, ces vains préjugés , ces faux jugements
doivent difparoître. Vers la fin du dix-
huitième Siècle , l’ignorance ne peut avoir que des
partiians obfcurs ou iritérefles. Et quand il Seroit
Vrai, autant qu’il ne l’eft pas, qu’un militaire aujourd’hui
peut Se former fans étude , on ne peut
nier du moins que la paffion la plus violente pour
une Science quelconque eft moins nuifible au guerrier
, à l’état militaire , à la Société , qu’un- loifir
fainéant ôc lâche. Tout homme oififeft un homme
fans moeurs ; tout homme Sans moeurs, un poifon
Social , dont les effets Sont auffi rapides que
fùneftes.
De nos jours on ne croit plus que Ton naifle
général. On eft .convaincu que la guèrre eft une
Icience ; qu’elle a Ses règles ,. (Ses .principes ; qu’il
faut les connoître, les approfondir pour être digne
de commander. On eft: perfuadé que l’expérience
ne peut fournir ni autant de reflources ni les
memes que l’etude ; qu’il eft plus Sage de s’inftruire
par les fautes des autres que par les Siennes ; que
la Science militaire théorique, eft utile ôc non dan-
gereufe. On éprouve Souvent que ce n’eft pas
ie vrai fçavoir , mais: la plus profonde ignorance
qui cenlure avec le plus d’amertume ôc de hauteur.
On fçait que, fi l’excès de l’étude diminue un peu
les forces du corps, elle augmente celles de l’âme ,
ôc que le repos du cabinet énerve beaucoup moins
ôc pour moins de temps que l’ufage des voluptés.
On ne peut pas douter enfin , d’après les exemples
multipliés des autres . Sociétés ’ fçavantes , que la
reunion de plufieurs militaires inftruits , qui travailleraient
conjointement , ajoûtefoit beaucoup
ôc promptement -aux connoiffances acquifes fur
a ^ €rre.; que de cette réunion , ôc de
1 efpoir de s’y voir admis , naîtroient l’émulation
ôc le defir de s’inftruire ; que cette affociation
pourroit donner à la conftitution du militaire Fran-
çois une forme Solide ôc durable , ainfi qu’une
luperiorité décidée Sur le militaire étranger, comme
nous l’ont donnée nos écoles de génie ôc d’artillerie
dans ces deux parties , quoique la plûpart de. leurs
travaux ôc dé leurs expériences Soient publics :
enfin qu’une académie militaire , très peu couteufe
?OU; ÎJ®* * immortalilè roit, comme Richelieu Ôc
Louis A1V , le miniftre qui l’auroit propefée , ôc
le monarque qui la fonderoit. On lit dans Sully .
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que Henri le Grand en avoit formé le projet, ôc
qu’il deftinoit deux falles du Louvre au dépôt
des modèles en tout genre.
Pénétré de ces vérités , je vais donner une
légère-’éfquifle deTa compofition d’une académie
militaire ÔC de Ses travaux : heureux fi elle peut
faire naître des idées plus utiles! ..
L’académie Seroit immédiatement Sous la protection
du r o i , ôc recevroit Ses. ordres par le
miniftre ôc Secrétaire d’état ayant le département de
la guerre.'Elle feroit ' compofée de vingt académiciens
penfionnés, l’un defqüels feroit pré.fident
annuel, nommé par le Sort, d’un Secrétaire, Ôc d’un
tréSorier perpétuels. Il y auroit vingt adjoints,
vingt aflbciés libres , ôc vingt correspondants.
Les Seuls maréchaux de France feroient académiciens
honoraires.
Les académiciens penfionnaires auroient Seuls
voix délibérative , quand il s’agiroit d’éleétion ,
ou d’affaires concernant 17académie. Les adjoints
auroient voix délibérative, en matière de Science,
Les aflbciés libres ne pourroient parler q'ue lorsqu’ils
y feroient invités par le préfident. Les correspondants
auroient feulement la liberté d’affifter
aux Séances, ÔC d’y lire, ou faire lire leurs mémoires.
Lors.de la création, Sa majefté nommeroit les
cinq premiers penfionnaires. Les cinq académiciens
en nommeroient cinq autres , à la pluralité des
yo.ix. Ces .dix en nommeroient encore cinq, ôc
les quinze éliroient les cinq derniers.
Les- vingt académiciens penfibnnaires nommeroient
, toujours à la pluralité des v o ix , les adjoints
, aflbciés, ôc correspondants.
Lorfqu’il y auroit une place vacante dans une
des clafles, il y- Seroit nommé avec lés mêmes
formalités qu’à la première éleéiion.
Les, .éle&ons feroient faites par le Scrutin : un
cafque antique remplaceront les urnes.
Les academiciéns jouiroient d’une penfion de
ï-ooo liv. ; les adjoints, de 500 liv .; les aflbciés
auroient droit aux jetons. A chaque Séance , on en
diftribueroit de la valeur de 3 liv. aux académiciens,
adjoints , ôc aflbciés préfents.
L’académie tiendroit une Séance chaque lundi,
mercredi, ôc Samedi, depuis le 13 novembre jusqu’au
15 avril : chaque Séance dureroit au moins
deux heures.
Tout académicien qui n’auroit pas reçu cinquante
jetons, ne toucher,oit que les quatre cinquièmes de
Sa penfion ; ôc ainfi progreflivement de dix en dix
on feroit une retenue d’un cinquième.
. Sa: majefté affigneroît Soixante mille livres par
an pour 1 entretien, les penfions , prix, ôc autres
depenfes de Xacadémie. Les retenues en diminution
fur les penfions feroient reverfées dans la caifîe, ôc
employées àl’avancement de la Science de la guerre*
L’académie tiendroit deux Séances publiques chaque
année ; une le jour de la rentrée, l’autre le jour
de la clôture.