
batailles de Fleurus & de Staffarde. Les armées y
étoient en bataille lorfqu’elles ont commencé à
combattre , & fe font abordées par tout leur front,
avec des circonffances fi différentes qu’elles feront
juger que jamais deux batailles ne peuvent fe
reflembler en tout, & que ceux qui veulent fe
perfectionner à la guerre doivent chercher dans
les hiftoriens-, & dans les relations des batailles ,
des inftruéfions que le manque d’expérience n’a pu
leur fournir.
Je m’arrêterai feulement ici à ce qui regarde les
batailles, & je ferai voir que la feule fupériorité
du.génie de M . de Luxembourg fur M. deWal-
deck décida cette grande journée , ( du premier
juillet). Le fuccès n’en fut dû qu’au temps que prit
M. de Luxembourg pour faire faire à la cavalerie
de fon aile gauche un mouvement que l’ennemi
ne put connoître , parce qu’il fut fait hors de fa
v u e , quoique fort proche de lui.
Voici quel fut ce fçavant &. judicieux mouvément,
qui n’a pu être penfé que par un grand homme,
dont le coup d*oeil fut fi jufte qu’il fçut qu’il auroit
précisément le temps de faire ce mouvement ,
avant que fon enneini en pût avoir connoiflance :
i l auroit été trop hafardeux à faire., f l l’ennemi
eût pu connoître qu’il fe faifoit»
M. de Waldeck étoit en bataille fur un terrein
qui s’élevoit un peu à fa gauche ; par conféquent,
ce terrein un peu élevé formoit un petit revers
que l’extrémité de la gauche ne voyoit point,' ôc
qui diminuoit toujours vers la plaine, à mefure
qu’il s’approchoit du terrein par lequel M. de
Luxembourg marchoit à fon ennemi.
C e fut ce moment précieux de l’arrivée du. front
de l’armée, du roi à l’endroit oh ce terrein. étoit
affez élevé pour que M. de Waldeck ne pût plus
voir la continuation de la marche de l’aile gauche
de cavalerie. ; ce fu t , dis - je , ce moment précieux.
que M.. de Luxembourg faifit avec une
capacité furprehante , pour ordonner à M. de
Gournai, très bon officier, de cavalerie., de profiter
de ce revers , qui déroboit à l’ennemi la
connoiflance du mouvement qui fe faifoit, & pour
porter toute, la gauche de fa cavalerie fur le flanc
gauche de l’ennemi , avec l’attention , dans fa
marche , de fe trouver par la gauche de fa droite
rejoint à la droite de l’infanterie, dans le même
temps qu’elle feroit à portée de charger, le front
de l’infanterie ennemie.
C e mouvement hafardeux , s.’il avoit pu être i
vu par l’ennemi., mais décifif pour le gain de la
bataille ayant été auffi habilement exécuté qu!il
avoit été judicieufement penfé , toute l’aile gauche
de cavalerie de l'armée du. roi fe trouva en potence
fur le flanc de l’aile gauche de l’ennemi ,
quoique cette cavalerie, tint à notre ligne, d’infanterie.
L’ennemi fe trouva ainfi débordé, & pris en flanc
par une armée qu’il croyoit marcher à lui par un front
égal à celui qu’il occupoit y de forte quep fe trour
vattt chargé en flanc à fa gauche, eu même-tèmps
que fon centre & fa droite fe trouvoient abordés
par le centre & la gauche de l’armée du
r o i , il ne fut pas poflible à M. de Waldeck de
remédier au défordre de fa gauche. Ce défordre
fe communiqua aifément au centre & à la droite ÿ
ce qui caufa l’abandon du champ de bataille , la
perte de toute l’artillerie , & de prefque toute l’infanterie
; parce que M. de Waldeck , qui en avoit
trop placé dans le village de L ign y , ne la put
retirer, dès qu’elle fut abandonnée par la cavalerie.
Ce récit fait connoître qu’un champ de bataille ,
même choifi avec attention par le général qui veut
y attendre fon ennemi, ne peut, être fi u n i, fi
ouvert, ni fi éga l, pour les avantages de fa fitua*
tion, qu’un général plus capable ne puiffe trouver
les moyens de profiter de quelque petit avantage
du terrein , qui fouvent lui procure une décifion
gloxieufe & heureufe.
Cette journée doit être mife avec raifon au-
nombre des plus belles de M. de Luxembourg ,
par fa grande capacité dans la fcience de la guerre ^
la juflelTe de jugement, & là vivacité d’execution
qu’il y fit paroïtre. Ce grand capitaine eut au
moment de fa marche à l’ennemi une grande 6L
profonde penfée. Il jugea avec une jufteffe infinie*
du temps qu’il lui falloit,_ pour le mettre en état
d’exécuter ce qu’il avoit penfé, & il exécuta avec
une vivacité qui n’a pas laiffé à fon ennemi le temps
de. remédier au coup fatal qji’iL lui portoit.
B A T A I L L E D E S T A F F A R D E .
Dans la même année 169a, & prefque dans le -
même temps. M. dè Savoie perdit ( le 18 août )
la Bataille de Staffarde contre l’armée du roi commandée
par M. de Catinat. Ce prince dans cette
occafion fit un affez grand nombre de fautes dans
fa difpofition pour leur pouvoir attribuer la perte-
de la bataille : voici qu’elles elles furent.
Quoique le deffein de M. de Savoie fut de combattre
l’armée dit roi , Ibrfqu’ëlle pafferoit le Po*
près de Saluffes, il reçut cependant la bataille &
ne la donna pas : il la reçut,.parce qu’il f$ crut
bien poflé & fon champ de. bataille avantageux ;
quoiqu’il ne le.fïït pas autant qu’il auroit. pu l’être y.
fi ce pofte avoit été plus judicieufement occupé.
La droite étoit couverte & appuyée par le ruif- v
fëau qui paffë à' l’àbbaye de Staffarde. Il y avoit
fur le bord d’efpace en efpace des caffines affez-
grandes pour mettre de l’infanterie ; elle auroit pu
appuyer & protéger là droite de fes deux lignes.
Mais, au fieu de porter, fes ailes à ces caffines, il“
les laiflfa à- quelque diftance de fa ligne, &ymi t
de l’infanterie ; q u i,, n’étant pas protégée, de la
ligne, au moins d’affez. près, y fut fucceffiveinent
forcée par l’armée du. roi , avant même qu’elle
attaquât le front dè l’ennemi.
Cette première faute fît perdre à M. de Savoie,
beaucoup d’infantetie.y avant, que la bataille cornmençât
fur le front des deux armées. Sa gauche
pouvoir être couverte d’une vieille digue du Po ,
au de-là de laquelle le terrein jufqu’au Po étcat
fort marécageux ; mais ce prince négligea un coude
que faifoit cette digue, & ne l’occupa point.
S’il avoit -appuyé fa gauche à ce coude, qui fe
trouvoit à hauteur des caffines de la droite dont
je viens de parler , la droite & la gauche de fon
armée auroient été également bien protégées, avec
cet avantage à la gauche que le terrein en dedans
de ce coude étant beaucoup plus étendu que celui
du déhors, par lequel il falloit que nous abordaf-
fions ce front appuyé, une partie de la cavalerie
de la gauche de M. de Savoie auroit pu charger
en flanc celle du roi , dès qu’elle auroit voulu
s’étendre au-delà du coude , en cas qu on en eut
pu déplacer l’infanterie ennemie.
Par le récit de cette mauvaife difpofition de
l’armée de M. de Savoie pour la droite & pour
la gauche , on voit que le front de la premier^,
ligne étoit également hors- de portée de foutenir a
la droite l’infanterie qui étoit dans les caffines , &
d’empêcher à la gauche que l’infanterie de l’armée
du roi ne fe portât jufqu’àu coude.
En y arrivant, elle fut allongée le long du coude
de cette digue, où elle trouva fous fon feu l’aile
gauche de cavalerie de l’ennemi , qu’elle- força
bientôt à quitter fon terrein, pour fe placer plus
en arrière que n’étoit te front de fon infanterie :
ce qui donna à la cavalerie de la droite de l’armée
du roi qui,. jufqu’à ce temps-là, fut tenue derrière
l’infanterie, le moyen d’occuper prefque le même
terrein fur lequel étoit l’aile gauche- de la cavalerie
. de l’ennemi. /
Après quoi l’infanterie , devenue inutile à cette
digue, puifqu’elle y avoit opéré ce quelle avoit
voulu , qui étoit de déplacer l’aile gauche de cavalerie
de l’ennemi ; cette infanterie , dis-je , s’étendant
fur fa gauche , rejoignit le front de l’infanterie
de l’armée dans fon ordre de bataille, Ôl
marcha au front de l’infanterie ennemie , qui fut
bientôt emportée & battue.
Si la difpofition de M. de Sa voie avoit été exempte
des fautes dont je viens de parler , il efl: apparent
que l’armée de ce prince n’auroitpas été fi facilement
battue, parce que l’armée du roi étoit tombée dans
.un inconvénient qui ne put être réparé qu’après
la bataille gagnée : voici quel il fut.
M. deQuinfon, maréchal de camp, commandoit:
l’aile gauche de cavalerie, lorfque l’armée fe mit en
mouvement pour marcher à l’ennemi. Il voulut s’ouvrir
fur la gauche, afin de laiffer fuffifamment de terrein
au centre & à la droite pour marcher de front,
& par ce mouvement il fe trouva, fans s’en apper-
cevoir, au-delà de là four ce du ruiffeau de Staffarde,
& ne connut-qu’il étoit féparé de l’infanterie
que lorfque le. ruiffeau ne put plus être paffé par
la cavalerie. .
Pendant tout le.temps de la bataille > c’eft-à-dire
nlus-de fix heures, il cotoya le ruiffeau pour trouverun
endroit où il pût le pafler, & n’en trouva un-
qu?à l’abbaye de Staffarde, derrière l’armée ennemie
, où il y avoit un pont fur le ruiffeau ; Ôc
ce ne fut même qu’après la bataille gagnée : ainfi ,
cette bataille fe donna & fe gagna fans l’aile gauche.
Dans cet exemple , je trouve la punition d’un
général qui fait battre fon armée , pour n’avoir
pas eu la capacité de connoître les avantages
qu’il pouvoit tirer du terrein fur lequel il avoit
réfolu de recevoir là bataille que fon ennemi venoit'
lui donner. Cette capacité eft pourtant bien au-
deffous de-celle du général qui fçait fur le champ
fe décider fur le parti le plus avantageux , lorfqu’if
n’a pas le temps de réfléchir , & dans lequel la-
première penfée doit être la plus judicfeufe, & la
feulé qui îbit fure pour parvenir à battre fon ennemi.
B A T A I L L E D E S T E I N K E R Q U E .
L’année 1692 me fournit-dans la journée d&
Steinkerque (du 3.août) un exemple remarquable
fur lequel il y a plufieurs réflexions à faire.
Après la prife de Namur , le roi ayant quitté-
l’armée en laiffa le commandement à M. de'
Luxembourg , qui fut feulement chargé de la'
confervation des- conquêtes &. du pays. Ainfi ce-
général fe contentoit d’obferver foigneufement'
M. le princed’Orange ; celui-ci, chagrin de n’avoir
pu empêcher la perte de Namur, cherchoit dans*
les mouvements qu’il faifoit faire à fon armée les*
occafions d’entreprendre fur celle du roi, ou du;
moins de fubfifter aux dépens d’un pays dont les*
Efpagnols n’étoient plus les maîtres.
M. de Luxembourg étoit campé, fa droite â>
Steinkerque , & fa gauche à Enghien ; M. le prince:
d’Orange entre Tubife & Saint-Arnelle , pays fort*
couvert & rempli de défilés qui féparoient les<
deux armées.
Il paroiffoit impoffible qu’il’ pût fe pafler une-
à&ion générale entre elles. Cependant M. le prince'
d’Orange , ayant découvert que M. de Luxem-'
bourg étoit en commerce avec un homme de fa*-
fecrétairerie, qui inftruifoit régulièrement ce géné--
ral de tout ce qui venoit à fa connoiflance , réfolut»
de fe prévaloir de cette découverte pour cacher^
là marche de fon armée fur celle du roi.
Pour cet effet il arrêta fecrétement eet-homme
dans fon cabinet, le força d’écrire en fa préfence-
à M. de Luxembourg, & de lui mander que 1er
lendemain l’armée de M>. le prince d’Orange feroit
un grand fourrage de l’autre côté du ruiffeau de-
Steinkerque, devant la droite de l’armée du roi *
& que pour couvrir ce fourrage , • il' marcheroir
cette nuit un corps confidérable d’infanterie avec
du canon, pour occuper les-défilés qui féparoient
les armées, afin que le fourrage ne fût point trou*’*
blé à fon retour.
C e faux avis porté- à M. de Luxembourg comme
bon de la part-d’un efpjon- qu’il croyoit fidèle