
les attaquer par tant d’endroits que les fuccefleurs j
fi Ton n’a pas le temps de les finir, loient forcés de
.les fuivre & de les achever.
Je fuppofe que, par tous les motifs qui doivent
déterminer le choix d’une route , la conftruélion
générale en foit réfolue dans l’état a&uel où eft
la direéfion de ce département. On ordonnera aux
ingénieurs en chef de toutes les généralités, fur
lelquelles cette route devra paffer , d’en lever le
plan fur l’étendue de leurs diftriâs, en fuivant les
aboutiffants de chaque partie, qui leur auront été
indiqués ; & il leur fera prefcrit d’y comprendre
à droite & à gauche les terreins fur lefquels leur
avis fera, ou de conduire le redreffement de l’ancienne
route , fi l’on juge à propos de la conferver,
ou d’aligner la nouvelle , fi l’on veut abandonner
l’ancien chemin. Quand ces plans feront touts
levés , on les remettra à l’infpeétèiir général chargé
de ces provinces : il fe tranfportera fur les lieux
avec les ingéniers en chef, pour examiner fi les
lignes du nouveau plan ont été fagement tirées,
eu égard à la nature du f o l , à l’abondance & à
la facilité du tranfport des matériaux , à la fureté
des voyageurs , par rapport aux bois & lieux dé-
ferts qui pourroient fervir de retraite aux voleurs,
à l’exploitation des manufactures , à la quantité de
ponts, ponteaux, ou aqueducs qu’il faudra conf-
iruire , & enfin eu égard à toutes les autres considérations
que la prudence humaine peut fuggérer.
Si l’infpeéteur général approuve tout le projet, il
l ’adoptera. S’il opine qu’il faut en changer quelque
partie , il drelfera un mémoire de fes obfervations,
& fera un rapport du tout au commiffaire général.
Je fupplie qu’on veuille bien fe rappeller ici les précautions
que l’on prend pour ne rien laiffer échapper
de tout ce qui pourroit attirer une jufte cenfure
du public fur l’exécution des projets. ( V. P onts
e t c h a u s s é e s . ). On examinera celui qui eft pré-
fe'nté , non-feulement dans ces vues ; mais encore
dans celle d’éviter les moindres défauts dont les
lçavants feuls pourroient s’appercevoir. Suppofons
maintenant le plan général approuvé : les opérations
préliminaires vont devenir plus détaillées.
Le magiftrat ayant décidé avec l’agrément du
miniftre par quels intervalles il veut commencer
dans chaque généralité , il chargera les ingénieurs
en chef de lever fur une plus grande échelle les
plans particuliers de ces intervalles, & d’y joindre
les différents profils , tant des niveaux de pente
fur la longueur , que des glacis & des bermes fur
la largeur, afin de faire voir les emplacements des
déblais & remblais qui feront indiqués par le devis,
pour réduire ou pour réchauffer le terrein. Enfin ,
à ces plans & profils feront jdints en grand les
deffeins des ouvrages de maçonnerie ou de charpente
néceffaires à l’accompliffement du projet.
Voilà bien du travail, & cependant le plus difficile
refte à faire ; c’eft le devis & le détail efti-
rpatif de touts ces ouvrages, à exécuter tant à
prix d’argent feulement qu’en tout ou partie, par'
le fecours des communautés. Non-feulement ces
devis exigent beaucoup de lumières , d’ordre &
de netteté : mais les détails font d’une difcuflioh
pénible & difficile par la précifion avec laquelle
il faut évaluer l’extraéfion des matériaux , la fouille
des terres , & le tranfport des uns & des autres ;
ce qui exige un calcul exaéf de touts les folides ;
celui des diftances , & du nombre de journées
d’hommes , de voitures ou bêtes de fomme qu’il
faudra y employer ; de la main d’oeuvre des ouvrages
d’art ; du prix des outils à fournir, & de
touts les autres frais indifpenfableS. C ’eft néanmoins
par ce détail qu’il faut commencer , dans
l’incertitude où l’on eft que l’objet de la dépenfe
ou d’autres motifs ne faffent différer le travail,
& que tout le temps qu’on auroit employé à dreffer
un devis, qui fouvent compofe un volume , ne foit
perdu ou n’ait différé des occupations plus prefi-
fantes. Tout ce nouveau travail effuie encore les
mêmes, infpeéfions, examens , & contredits dont
j’ai fait ailleurs la defcription ; enfuite on fait part
de la décifion aux intendants, & le miniftre leur
enjoint d’y tenir la main.
Des différents ouvrages qui concourent à la répara•*
tion des chemins.
C ’ëft ici que le fentiment de mon infuffifance
fait murmurer mon zèle & mon amour propre 9
par le plaifir que j ’aurois à décrire fçavamment
toutes les opérations qui procurent au public cette
heureufe facilité qu’il a de fe tranfporter à pied ,
à cheval, en pofte , en voiture particulière où
publique, du centre aux frontières de la monarchie
; les foins , les peines, les foucis, les veilles
& les travaux qu’il en coûte au gouvernement pour
nous faire jouir de tant de commodités ; le mérite
perfonnel des citoyens à qui nous les devons ;
& la reconnoiffance qui leur en eft fi légitimement
acquife. Je goûterois le plus parfait des contentements
à montrer, par une exaéle énumération &
une vive peinture de toutes les manoeuvres de
l’a rt, à combien de parties s’étend le talent de
ceux qui l’exercent, & combien de connoiffances
il faut avoir acquis pour critiquer fainement cette
profonde méchanique cachée au vulgaire & même
aux fçavants d’un autre genre. Mais pourquoi
m’affliger? N’a i - je pas droit d’efpérer , fi mon
travail eft utile par d’autres endroits, que quelque
ingénieur illuftre voudra fuppléer à mon défaut
pour faire paffer à la poftérité une inftruéfion com-
plette fur les, ponts & chauffées , enforte que les
principes puiffènt èn être perpétués d’âge en âge 9
& ne jamais périr par l’ignorance , la pareffe , ou
le caprice des fuccefleurs du gouvernement pré-
fent.
Cet événement eft trop à craindre dans toutes'
les adminiftrations , pour ne devoir pas être prévu.
Il eft fi rare qu’un homme en place veuille s’éclairer
des lumières de fon prédéceffeur ; il trou*
f ’êroit fi pénible de les tirer de l’obfcurité ou elles
font reléguées ; les fous - ordres qui ont la garde
des papiers affeéfent tant d’y entretenir la confu-
fion, pour en faire un dédale impénétrable &
un myftère aufli fecret que celui du culte de
Cérès, qu’il n’y a plus de reffource dans aucun
genre de détail pour en conferver le fil & l’idiôme,
que de les mettre fous la proteéfion du public.
Alors touts les citoyens laborieux feront libres de
les confulter, & le fervice de l’état dans chaque
partie ne fera plus une fcience cabaliftique , dont
on ignore fouvent les premiers principes, quand
on y eft appellé. Heureufe eft la finance d’avoir
été gouvernée par un Sully , homme de bien,
homme d’état, vrai génie, qui, bien éloigné de
craindre qu’il fe fufcitât des émules par fes leçons,
fembïoit les inviter à s’en inftruire. Seroit-ce un
blafphême de dire que , fans les précieux éléments
qu’il nous a laiffés , Colbert n’eût peut-être jamais
développé fon génie ? Si tant de fuccefleurs avoient
puifé dans la fource, la nation n’auroit pas fi fouvent
gémi des défordres de la finance, a qui ces riches
modèles ont tout récemment procuré de fi excellents
inftituts ! Pourquoi le patriotifme n’en feroit-
il pas éclore de pareils pour la guerre , pour la mutine
, pour la police intérieure de l ’état ?
La matière que j’ai entrepris de traiter tient un
rang affez honorable dans cette dernière partie du
gouvernement, pour n’être pas reftée dans la grof-
Jièreté du brut minéral, fi quelque citoyen avoit
déchiré le voile qui la couvroit, & détruit le pref-
tige du préjugé qui l’a fi longtemps retenue dans
les ténèbres. Mais , dira quelque politique du parterre
, c’eft porter la main à l’encenfoir : les inf-
tru&ions qui apprennent à gouverner l’état font de
droit dévolues au miniftère, & ne doivent être
remifes qu’à lui : il eft d’autant plus dangereux de
les rendre publiques que nos ennemis en peuvent
profiter. Crainte pufillanime 1 Ces ennemis en
lçavent autant que nous fur leurs intérêts & fur
les nôtres. Quand même ils les ignoreroient, les
principes de la fcience ne donnent pas le génie
qui fçait les appliquer ; & jamais les nations ne
parviendront à fe communiquer ce que la nature
oc 1 habitude leur fendent propre*1 Nous ne devons
point afpirer à la profonde méditation des An-
glois , ni à cette obftination prefque romaine , qui
les rend tenaces dans la pourfuite de leurs deffeins ,
au point de ne jamais les abandonner. Ils doivent
®eA^ ur coté , renoncer à la delicateffe de notre
goût & de notre fentiment, à la vivacité de nos
laillies, & a l’impétuofité de notre valeur. Au fur-
plus cette apologie' eft gratuite de ma part ; je n’ai
pas a craindre que le gouvernement me fçache
mauvais gré d’avoir divulgué le fecret des 'chemins,
très comparable à celui de la comédie.
Après les opérations préliminaires dont j’ai fait
une courte defcription , les premiers coups de la
main d oeuvre tombent fur les retranchements, &
les rapports de terre , conféquemment aux profils
qui en ont été tirés. C ’eft un article très important,
foit qu’il ait été adjugé à prix d’argent, foit
qu’il doive être fait par corvées. Au premier cas ,
la dépenfe feroit inutilement augmentée , fi le
déblai étoit plus fort que ne l’exigeroit le remblai ;
ou qu’il ne l’eût demandé, fi les niveaux avoient
été mieux pris. Dans le fécond, on fouleroit mal-
à-propos les communautés par un travail fuperflu.
L’homme d’art, profondément verfé dans la trigonométrie
& les nivellements, rendra cette proposition
très fenfible par des profils appliqués à différentes
efpèces fuppofées ; & ces profils, adaptés
aux parties du plan qui leur appartiendront, accoutumeront
infenfiblement l’efprit de l’homme
d’é tat, qui voudra les apprendre , à juger par le
deffein de l’état du terrein fur lequel on fait
travailler, & de celui où il fera mis par le tra-»
vail.
Quand le chemin a été réglé par des piquets fur
les pentes qu’on veut lui donner , il faut y conf-
truire les ponts néceffaires à l’écoulement des eaux
des petites rivières, ruiffeaux, & ravins qui le
couperoient, fi on ne leur ménageoit un paffage
fuffifant. Ces ponts ont dû être prévus , lorfqu’on
a fait les nivellements, enforte que leurs rampes
prévenues de loin ayent été aflujetties aux niveaux.
Ils doivent même , autant qu’on le peut ,
être conftruits avant la chauffée, parce qu’ils lui
fervent comme de repaires auxquels elle doit né-
ceffairement fe rendre &. aboutir.
L’auteur du projet donnera dans fon ouvrage les
plans , les élévations , & les coupes de ces moyens
& petits ponts : il diftinguera ceux qui peuvent
être fondés fur le fol naturel, lorfqu’on y trouve
le tuf ou le roc : il indiquera pour d’autres un fimple
quillage dont il décrira & fera voir l'affemblage
de charpente : enfin il cara&érifera les terreins où
les ponts ne peuvent être folidement fondés que
fur pilotis. Il détaillera la manoeuvre pour les
battre, les receper, les coëffer, & c . ; & il déduira
fi clairement toutes ces opérations , qu’en les comparant
aux deffeins qu’il y joindra, un homme
fenfé puiffe les entendre au point, s’il le falloit^
de les faire exécuter. Souvent, pour dériver les
eaux, il fuflit de conftruire à la profondeur d’un
ravin ou d’une fource vive , un petit aqueduc
voûté, ou feulement recouvert de pierres plattes
qu’on nomme dates.
La chauffée fera faite en pavé ou en cailloutis*
La première n’a rien de difficile , & fa folidité dépend
de trois conditions , dont l’une eft la fermeté
du fol ;la fécondé, l’épaiffeur & la bonne qualité du
fable fur lequel on l’affeoit, & qu’on appelle forme;
la troifième, la dureté de la pierre : le grès l’emporte
fur toutes les autres. Il faudra donc, pour pofer
ce pavé, attendre que les terres du remblai foient
affaiffées : encore arrivera-t-il, fi elles font légères ou
graffes , qu’il faudra le relever au bout d’un an. Il
n’eft pas à beaucoup près également aifé de conftruire
une bonne chauffée de cailloutis. L’ancienne
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