
indilcipliné , & crurent que c’étoient quelques-uns
des leurs. Une autre erreur entretint celle-ci ; les en-
feignes françoifes n’étoient point encore déployées.
Ils crurent que le corps dont ils entendoient le
bruit n’en avoit pas, & ils le jugèrent peu conii-
derable. De plus, ils fçavoient que le camp fran-
çois étoit à plus de dix lieues. Cependant ils en
donnèrent avis à leurs chefs , logés dans le village
& ceux-ci envoyèrent à la découverte. Pendant
ces démarches, laites avec lenteur, toute l’avant-
garde arrive, fe forme , déploie les enleignes , &
du Guefclin , qui connoiffoit le prix des moments,
marche à l'ennemi.
Tandis que la terreur emportoit la plupart des
Anglois , cinq ou fix cents dés plus aguerris fe
forment feuls en bataille & foutiennent l’attaque.
Ils furent bientôt enfoncés , prefque touts tués,
leur camp renverfé. Cependant Grandtlon fe
réveille, raffémble les troupes,& les conduit en
bon ordre contre les François. Ceux - c i , très-
inférieurs en nombre, mais foutenus par une confiance
entière en leur général, & par l’efpérance
d’un lecours prochain , le préfentèrent avec affu-
rance , combattirent toujours en ordre , fans
défavantage. ils en auroient eu peut-être; mais
le corps d’armée étant arrivé chargea les Anglois
en flanc. Malgré cette pofition critique ,
ceux-ci foutinrent le combat pendant deux heures
avec la valeur ordinaire à leur, nation.
Grandtlon avoit fait avertir les capitaines les
plus proches de fon quartier. Deux mille hommes
arrivèrent, & les Anglois fe trouvèrent une fois
plus nombreux que leurs ennemis. Mais dans le
même inftant arrivent Cliffon & i’arrièregarde. Il
rencontre face-à-face le renfort anglois, l’attaque,
le p lie , & tombe en queue fur la troupe de
Grandcfon, qui fut entièrement défait, terraffé par
du Guefclin même., & forcé de lui rendre fon
épée. t
Touts les chefs de l’armée angloife, & prefque
touts les loldats , furent tués ou pris. Hue de
Caurelée, qui venoit avec fa troupe au rendez-
vous indiqué par Grandtfon , fut inftruit par
quelques fuyards de l’échec que ce général venoit
de recevoir , & prit le parti de la retraite.
Soit terreur , foit diffention parmi les chefs
ennemis, ou qu’ils cruffent que du Guefclin,
peu content de cet avantage, ne eontinuerôit
pas la guerre pendant l’hiver, ils ne tentèrent
pas de le raffémble r. Knolles fe rendit en Bretagne
à fa terre de Derval. Hue de Caurelée &
les autres fe retirèrent, les uns dans leurs terres,
les autres dans leurs places de guerre.
Les viies du connétable s’étendoient plus loin
qu’à la défaite d’un corps. Quelques-uns de ceux
qui avoient échappé à la journée de Pont-Vilain ,
s’étoient réfugiés dans le château de Vas. Il s’y
rendit & le prit d’affaut. D ’autres s’étoient retirés
à l’abbaye de Saint -Maur; il les y fui v i t ,
prit en chemin quelques autres places moins ,
importantes , & voyant celle-ci bien fortifiée, la
failon très rigoureufe , il perfuada au commandant
de fe rendre, fi le prince de Galles ne fe
préfentoit pas avant un certain temps, avec des
torces lufhfantes pour le délivrer. Creffonailles
( c’étoit le nom de ce commandant ) , n’efpéroit
pas de lecours. 11 fortit de fa place & y mit
le feu. Le connétable, informé de cette efpèce de
perfidie , pourfuivit les fuyards, les atteignit à
Breivire, les fit charger & prefque touts mallacrer,
avec leur chef, à la vue de la garnilon. La ville
fut prife d’affaut & mife au pillage.
D u Guefclin, inftruit par les coureurs qu’il avoit
fans celle en campagne , apprit que les chefs
anglois confternés ne s’occupoient que de leur
retraite. L’armée de Knolles congédiée alloit re-
paller en Angleterre. Les vaiffeaux de tranfport
l’attendoient lur les côtes de’ Bretagne. Pour augmenter
la fécurité de ces troupes fugitives, il
ordonne à Cliffon & autres Bretons de fe retirer
chez eux ; au vicomte de Rohan, de feindre d’aller
vifiter là principauté de Léon , & les autres
qu’il avoit fur la côte, & de tenir des troupes prêtes
à charger, les Anglois, lors de leur embarquement.
Ces mefures furent concertées avec tant de pru-
dence & de feçret que l’ennemi fut lurpris au
moment où il s’embarquoit. Neuf cents furent
tués, trois cents mis en fuite , leur commandant,
, Robert de Neuville , fait prifonnier. Aucun ne fe
rembarqua ; les vaiffeaux vuides mirent à la voile,
&. ne portèrent en Angleterre que la nouvelle
de cette défaite.
Cependant le connétable n’étoit pas dans l’inaction.
Les Anglois fuyoient devant lui ; leurs place?
fe rendoient à fon approche. La laifon rigou-
reufe ne l’empêchoit pas de preffer fon ennemi. Il
fallut un ordre du ro i, pour l’obliger à congédier
fon armée.
Ce glorieux évènement rappelle la célèbre campagne
de Turenne en i 674 , quoiqu’elle en diffère
beaucoup , & par des circonftances remarquables.
( Voye^EJfai fur l'Hifi. Gén^par M. de V . tom. I I ,
page 2,44.) L’entreprife deTurenne étoit bien plus
difficile. L’objet étoit le même , quant à la fur-
prife & à l’enlèvement des quartiers. Mais prefque
tout le pays occupé par Robert Knolles étoit
contre lui pour du Guefclin ; celui qu’occupoit
l’éleéleur de Brandebourg étoit pour lui ; celui
que Turenne traverfafcdefiroit fon prince & les
ennemis des François. Il étoit donc facile à l’électeur
d’avoir connoiffancè des mouvements de fort
adverfaire. Turenne étoit obligé de dérober fa
marche & fon projet aux Lorrains comme aux
Allemands, & une marché, non pas d’une nuit,
mais d’un mois entier. Il n’avoit pas trouvé les
Impériaux déjà féparés ; mais il avoit prévu qu’ils
feroient cette faute. Il les. y amena par fes mouvements
, & remplit une autre raifon de chercher
XaElion , celle d’empêcher les ennemis d’entrer dans
fon pays , de le ruiner, d’y confumer les vivres,
l’argent, d’y enlever les chevaux &. les hommes,
& d’employer pour eux - mêmes toutes ces ri-
cheffesi
Louis X IV l’avoit chargé de défendre TAlface
avec vingt mille hommes, contre une armée de
foixante mille, compofée des Impériaux, & des
troupes de Brandebourg. Après avoir’ défait deux
fois les troupes de l’Empire avant leur joniftion avec
celles de l’éleéleur, il ne put empêcher que les deux
armées ennemies ne fe joigniffent par le pont de
Strasbourg. Alors il fe retira peu loin d’elles, &
fe plaça de manière qu’il couvroit Haguenau &
Saverne. Lorfque les ennemis s’approchèrent, il
fe retira derrière le Soor , ayant là droite à Det-
tweiler, fa gauche à Hochfeld. Les deux ailes
étoient couvertes par deux ruiffeaux qui tombent
dans le Soor. Il fit rompre les gués & les ponts
de cette rivière, établit des polies d’infanterie &
de cavalerie le long de la rive gauche, afin d’être
inftruit des mouvements de l’ennemi, &. réfolut
de l’attaquer , s’il tentoit de la paffer pour venir à
lut, ou pour marcher fur Haguenau.
Soit que les Impériaux efpéraffent qu’il fe reti-
reroit plus loin de lui- m ême, & qu’il valoit mieux
prendre ce parti que de rifquer un combat contre
Turenne,ils ne tardèrent- pas à fe rapprocher de
Strasbourg. Ils avoient fait de grandes fautes ; &
ils en firent encore. L’éle&eur étoit arrivé trop
.tard. Il auroit dû profiter de la fituation fâcheufe
où fe trouvoit la France par l’abandon de la
plupart de fes alliés , & fe porter à Strasbourg dès
le commencement de la. campagne : il n’arriva,
pour-ainfi-dire ,. que pour prendre des quartiers
d’hiver. Il pouvoit encore agir après fa jonétion
Avec les Impériaux. Ses troupes étoient fraîches
& en bon état. Une route longue, mais faite
commodément & à petites journées , ne les
avoit pas beaucoup fatiguées. Il pouvoit s’approcher
du camp des François, affez près pour qu’ils
ne puffent faire aucun mouvement fans être
obligés de combatte avec des forces inégales,
( fauf cependant celles du chef) , & envoyer fur
Haguenau un gros corps de troupes. Il pouvoit,
laiffiint Turenne couvrir Saverne & Haguenau',
l’obferver avec un corps à-peu-près de même
force que fon armée , & prenant le refte de fes
troupes, entrer en Lorraine , où on l’attendoit
avec impatience. Il èft difficile de concevoir
d’après quelles vues & quel plan une armée ,
deux ou trois fois plus forte que l’ennemi, fe
tient enfemble devant l’armée plus foible-, comme
nous l’avons fait aufli dans la dernière guerre
en Allemagne. L’éleéteur, ayant obl'ervé pendant
quelques jours le camp des François, ne fçu t,
ou n’imagina rien, fi ce n’eft de revenir à Strasbourg.
, Ç e. de ce - camp de Dettvveiler que Turenne
écrivit au roi le projet qu’il avoit formé pour
mettre les ennemis hors de l’Alfacç. Il ne pou-
v ç i t , fan? témérité, les attaquer à force ouverte,
Un feul moyen lui reftoit ; c’étoit de les engager
à fe féparer , de les furprendre , & de les
battre en détail. La conduite de l’eleéleur annon-
çoit un homme le n t , fans deffeins, fans plan ,
fans projet, faifant la guerre au hafard en marchant
devant lui. Sa retraite vers Strasbourg prouvent
qu’il ne defiroit que des quartiers d’h iver,
pour fe repofer de fes fatigues. Turenne le connoiffoit
d é jà , & le jugea encore mieux d’après
fa marche rétrograde. Il répandit aufli-tot, dans
la baffe Alface , fa cavalerie, qui avoit beaucoup
fouffert. Peu de temps après il y mit .en quartier
fon infanterie , ayant pluffeurs rivières entre
lui & les ennemis. Ceux-ci voyant l’armée fran-
çoife prendre fes quartiers , fe difpersèrent dans
la haute Alface, depuis Strasbourg jufqu’à Béfort,
en cette fertile partie fituée entre le Rhin & les
montagnes. L’éleâeur établit fa cour à Colmar,
capitale & centre du pays. Il y fit venir l’élec-
trice avec toutes les dames de fa fuite, qui di-
foient par-tout qu’elles venoient faire connoiffancè
avec les dames françoifes.
Turenne voulant augmenter la fécurité des
ennemis,-parut s’éloigner encore : mais en même
temps il fe rapprochoit du but de fon entreprife.
Il ne pouvoit pas efpérer de les furprendre & de
les battre en détail en attaquant la tête de leurs
quartiers du côté de Strasbourg. C ’étoit celui par
lequel ils auroient pu craindre quelque infulte ;
ils y étoient plus en force &. dévoient y être plus
furveillants. Le général François avoit mis de ce
côté plufieurs grandes rivières entre eux & lui ;
ce n’étoit pas fans deflein : dans fa pofition &
dans fes mouvements tout avoit une raifon. Si
la barrière naturelle, formée par. les rivières , les
couvroit dans cette partie , elle défendoit fes
quartiers, & auroit empêché l’ennemi de les attaquer
, du moins affez à temps , fi l ’entreprife n’eût
pas réufli. Il falloit donc que Turenne allât prendre
le côté de Béfort, qu’il leur dérobât fa marche
pendant près d’un mois , dans un pays qui leur
étoit affeélionné, qu’il cachât également fon defi-
fein à l’ennemi & à l’habitant. Le fecret, toujours
important à la guerre , l’étoit fur - tout dans ce
projet : Turenne n’avoit confié le fien qu’au roi
leul.
Après avoir jetté quelques troupes dans Haguenau
& dans Saverne, il fait défiler fon armée à
la fin dé novembre, pour entrer en Lorraine- par
la Petite -Pierre , conduit lui - même fon arrière-
garde , & laiffe à cet endroit une gamifon, pour
le conferver un paffage*, (ùppofé que fon entre-
prife ne réufsît pas. 11 s’avance jufqu’à Lixheim,
où le comte de Saux commandoit quatorze mille
hommes, qu’il fe garda bien de prendre, quoique
le comte le lui proposât. Il ne vouloit pas qu’aucune
idée inquiétante troublât les plaifirs de H
cour de TéleÔeur , & la profonde fécurité qui
règnoit dans la haute Alface.
Le 4’ décembre il alla plus loin .vers Lorkeipv