
même de toutes les fautes militaires les plus légères
: fuppôfons que le genre & la gravité de
la peine foient clairement énoncés dans cet état ;
que le commiflaire des guerres en talle une leélure
publique toutes les fois qu’il paffe une revue ;
que chaque régiment, pour mieux entendre cette
leéture, forme quatre petites colonnes ferrées en
mafie & très rapprochées l’une de l'autre ; que le
même commiflaire life cet état à touts les hommes
de recrue qu’il enrégiftre ; que le capitaine le lile
encore à fa compagnie touts les dimanches à i’iflue
de la méfié : fuppofitions aflez importantes pour
devenir des réalités, alors la loi dont nous nous
occupons ne fera plus ignorée ; mais en lera-t-eile
plus jufte &. plus néceflaire ?
Pourquoi me punilïez-vous lorfque je me fuis
marié pendant la durée de mes fervices ? Ce n’eft
certainement pas parce que j’ai uni mon fort à
celui d’une femme que j’ai crue néceflaire à mon
bonheur ; c’eft parce que je vous ai délobéi : ma
■ faute, toute grave qu’elie e f t , mérite-t-elle une
peine aufli grande que celle que vous m’infligez ? ;
une peine qui fe renouvellera chaque jour, pendant
huit années confécutives I une peine qui ne peut
tourner ni à l’avantage de la patrie en général,
ni au bien du fervice en particulier ! Ai-je aflez
xnélufé de ma liberté pour mériter de la perdre ?
Je n’ai troublé ni l’ordre, ni la tranquillité publique ;
je n’ai attenténiau bonheur de la lociété ,ni;a celui
d’aucun de fes membres : vous n’avez donc point
le droit de me punir, ou fi vous l’avez, vous ne le
tenez que de la force &. de la néceflité. Pardonnez ,
je m’égare, c’eft l’image de ma famille défolée
par mon abfènce qui trouble ma raifon ! Que deviendront
ma femme , mes enfants pendant les
huit ans que durera ma nouvelle détention ? Qui
les nourrira ? qui les foutiendra ? qui les éloignera
■ du vice ? qui les conduira à là vertu ? Si pour voler
au fecours de ces êtres chéris à mon coeur, je
profite du premier moment où vous n’obferverez
point mes pas , olerez-vous me punir comme vous
puniffez les transfuges ? Infligez-moi.la même peine
que vous faites fubir aux brigands qui forcent leurs
prifons, mais non pas celle que vous impofez aux
ioldatsqui violent leur ferment, je n’ai rien promis:
Jorfque j’ai embrafle le parti des armes , je croyois
que le fervice militaire étoit un état honorable ;
je penfois même qu’on pouvoit le regarder comme
une réeompenfé, & dans vos mains il devient une
punition cruelle. Ne craignez-vous pas que j’en
donne à touts mes concitoyens la même idée que
vous me forcez d’en concevoir ? Que je le peigne
avec les couleurs dont le forçat fe-fert pour peindre
le banc auquel le crime l’a enchaîné ? Lorique je
■ pie Conviendrai que je fuis retenufous vos drapeaux
pour avoir -commis une faute que tout rend ex-
cufable ; prêterai-je l’oreille à la voix de l’honneur
; ouvrirai-je mon coeur aux charmes de la
gloire , & mon ame aigrie par votre injuftice fer;a-
t’ell.e émue par l’image de fa patrie en danger ? Je
ne trouverai plus de bras pour frapper l’ennemi :
trop heureux ii je ne tourne pas contre vous les
armes que vous .m’avez imprudemment confiées
pour votre difenfe. Auflitôt que je retrouverai
1 occafion de reprendre ma liberté , je briferai mes
fers ; j aiderai mes camarades à fe dégager des
leurs , je les déciderai à me fuivre, & loit que
vos fatellites m’arrêtent ou que j’échappe à leur
vigilance, vous n’en perdrez pas moins un citoyen
qui, fans vos^loix injuftes, eût été un de vos meilleurs^
défenfeurs : au lieu de me punir avec tant
. de rigueur & tant d’injuftice, au lieu de faire
retomber nies fautes fur ma patrie , il falloit les
prévenir par des loix fages , vous le pouviez ai-
fément, un mot auroit fuffi. Voye^ Soldats ,
m ariag e des so ld a t s .
Il eft une troifième & dernière circonftance fur
laquelle -les ordonnances militaires ne prononcent
pas , & qui empêche cependant le foldat de jouir
de fon congé d’ancienneté.
Un foldat qui touche au moment de jouir de
fon conge a-bfolu redoit 8 ou io liv. à la mafle
generale ou à fon compte particulier, lui'donnera-
t-on fa cartouche, laiflant à fa bonne foi le rem*
bourfement de la dette qu’il aura contraéîée ? Le
iorcera-‘t-on à fe rengager ; ou bien enfin lui permettra
t-on d’être foldat volontaire , jufqu’à ce
qu il ait tout payé par fon fervice bu par. les tra-
vaux ? Le dernier des trois partis que nous venons
d offrir nous paroît le plus jufte ; mais il faut que
la loi prononce d’une'façoii bien pofitive. Pour
détruire le pQuvoir'arbitraire &. faire difparoître
la plupart des abus dont nous pouvons nous plaindre
, mettons-nous fous le delpotifme des ordonnances
; obéifîbns-leur aveuglément, : ori a beau
dire que la lettre de la loi tue, & que fon efprit
vivifie, fi cet adage eft vrai, ce n’èft certainement
pas dans l’état militaire.
Tout foldat qui obtient un congé d’ancienneté
emporte les effets qui lui appartiennent, un habit
Sc une vefte qui ont déjà fervi pendant deux ans ,
& un chapeau qui a fervi au moins pendant une
année. 1
Pour que l’état puifle- , fans trop s’obérer ,
pourvoir à l’entretien d e 'la grofle armée qu’il
eft obligé de tenir fur pied , il faut, fans doute ,
qu’il ule de la plus grande économie ; mais
ici comme partout les excès font à craindre.
Lorfque-les habitants 3’un village où fe retire un
foldat qui a fervi huit ans avec honneur, le voient
couvert d’un chapeau vieux & fale, d’un habit
chargé de pièces & de lambeaux , ils doivent le
montrer à leurs enfants, & leur dire dans leur langage
naïf, voyez ce qu’on gagne à fervir le roi :
ah ! fi ce jeune homme avoit refté dans fon hameau
, combien fon fort feroit plus heureux ! Il
auroit aggrandi ou du moins amélioré fon petit héritage;
il auroit pu former un bon établiffement ;
il feroit connu dans les environs ; il auroit des
amis, & il n’a -rien. Pourriez-vous avoir encor*
l ’envie de vous enrôler ? Le jeune homme frappé
par ce raifonnement conçoit de l ’averfïon pour
l ’état du foldat; non-feulement il ne s’engage point,
mais encore il fe livre au défefpoir quand, appeilé
pour tirer au fort, il a pris le billet noir.
Con venons - en , tout homme qui voit partir un
foldat avec fon congé d’ancienneté doit, malgré lu i,
faire de triftes réflexions ; & cependant il feroit
poflible , fans beaucoup-augmenter lçs frais de
l’état, & fans même entrer dans des détails difficiles
à fuivre, de donner aux foldats qui ont leur
congé abfolu des habits moins mauvais , & de
faire même de la diftribution de ces habits l’objet
d’une émulation louable.
L’inftruéHon que la cour donna aux infpe&eurs
employés en 1779 portoit : lorfque malgré le dé-
e^mPte des hommes à qui leur congé ablolu feroit
d u , il ne leur reftera pas aflez d’argent pour s’en
retourner chez eu x , on leur donnera ce qui leur
fera néceflaire, en calculant fur le pied de 3 fols
par lieue.
Un adrhiniftrateur , bon citoyen ,.peut feul avoir
conclu un pareil projet : tâchons de retrouver la
fuite des idees qui dûrent le conduire au réfultat
que nous venons d’énoncer.
Tout citoyen qui a fervi huit ans , a dû dire cet
■ homme jujle & fage , a bien mérité de l’état ; on
doit donc porter lur lui une attention particulière;
s il eft fans argent au moment où on lui délivre fon
conge , fi par vanité, il ne veut pas fe rengager
dans le corps où il a fe rv i, s’il veut encore moins
fe rengager dans la garnifon où eft fon régiment,
que peut - il devenir ? Il n’a point aflez d’argent
pour fe rendre chez lui ; il rode longtemps autour
de la ville qu’il vient de quitter ; enfin épuifé par
la fatigue, entraîné par-le libertinage & aveuglé
par le befoin , il fe plonge dans le crime , ou bien
il embrafle une profeflion dans laquelle il eft beaucoup
moins utile à fa patrie qu’il ne l’eût été au
fein de fa famille. Il lemble d’ailleurs qu’il eft
conforme aux loix de l’équité de ramener le foldat
ou l’on a pris l’homme de recrue ; il faut donc
donner a tout homme qui obtient un congé d’an-
ciennete de quoi retourner chez fes parents.
> •urcIuo* un réglement aufli fage en apparence
21. *1 Pas fuivi ? Des raifons militaires & économiques
en ont fans doute empêché l’exécution.
Les premiers militaires qui lurent l’inftruâion dé
£779 dirent, fans doute , tout citoyen qui a fervi
huit ans a contracté l’habitude d’une vie oifive &.
° lîv.e/nt Iit»ertine , certainement au moins il a
oublié le métier que fes parents lui avoieht fait
apprendre pour en tirer fa fubflftance , & il eft
trop âgé pour faire un nouvel apprentiffage. Si
cet homme qui n'eft plus propre qu’à être foldat,
abandonne le fervice, il eft prefque perdu pour la
société ; il faut de plus, que nous le remplacions ,
& voila une nouvelle perte pour les arts ou l’agriculture.
Ce n’eft pas tout, il eft de l’intérêt des
régiments de confervejr les hommes qui ont déjà
1 fervi. Pour le prouver, nous ne nous bornerons pas
à comparer le fervice que peut faire on vieux
foldat avec celui d’un homme de recrue ; mais
nous dirons encore, en rengageant un vieux foldat,
on gagne l’habit qu’il auroit emporté ; celui que
l’homme de recrue auroit ufé, & la fomme que
l’engagement de ce dernier coûte de plus que le
rengagement du premier. ( Voyeç En g ag em en t.).
Il eft donc de l’intérêt général & particulier que
les hommes qui ont déjà rempli un ou deux engagements
, en contrarient un fécond ou un troifième.
Si nous fourniflons aux hommes qui font
dans le cas d’obtenir leur congé d’ancienneté l’argent
qui leur eft néceflaire pour retourner chez
eux , nous les mettrons dans la poflibilité d’en
faire ufage , & dans la fuppofitioa contraire, la
néceflité forcera plufieurs d’entre eux à fe rengager
; la gratification de 3 fols par lieue peut
encore nuire à la bonté de la difeipline.
Le foldat qui eft décidé à prendre fon congé
travaille pendant 18 mois ou a ans de fuite , à
raflembler par fon économie l’argent qui lui eft
néceflaire pour faire fon voyage avec agrément :
voilà donc, deux ans d’une conduite fouvent irréprochable
, car le foldat qui veut économifer ne
va point au cabaret, & c ’eft le cabaret qui eft la
fo.urce de l’indifeipline & de prefque toutes les
fautes que commettent les gens de guerre. Enfin
on n’a pas calculé que beaucoup de couvés coû-
teroient à l’état 15 , 18 ou 20 livres , & cette
confédération nous paroît d’un très grand poids.
Telles font les raifons qu’on peut alléguer en
faveur de l’inftru&îon de 17 79 , & celles qu’on
peut lui oppofer. C ’eft au génie de nos légiflateurs
à décider.
Nous avons annoncé dans l’article bas-officiers ,
qu’il feroit utile de tenir un livre des notes & des
punitions , & qu’ils pourroient être utiles au moment
où l’on délivreroit les congés abfolus. Développons
les idées que nous nous fommes contentés
d’indiquer dans cet article.
Qu’un foldat fe foit diftingué par fes vertus ou
par fes défauts ; qu’il ait montré du zèle , ou qu’il
ait vécu dans une froide apathie; qu’il ait obtenu
des diftinéîions , ou qu’il foit refté confondu dans
la foule ; qu’il ait fervi vingt ans ou qu’il en ait
fervi quatre; dès le moment où il quitte le fervice
militaire , tout eft oublié ; la cartouche du
bon fujet eft prefque femblable à celle du médiocre
, & celle du. médiocre à celle du mauvais»
Les Romains que nous citons fi fréquemment &
que nous imitons fi peu , en agiffoient bien différemment.
Végèce nous apprend que chez eux,
les expreflîons des congés étoient proportionnées
au degré de mérite de ceux qui les obtiennent :
pourquoi n’en agirions-nous pas ainfi ? Les François
font aufli fenfibles à la gloire & à l’honneur,
que le pouvoient être ces Romains fi vantés. La
crainte d’un congé peu honorable , le defir des
louanges, & la vanité de montrer dans fon village