
l’hôpital du premier fang, on fera marcher der- J
rière chaque corps quelques foldats défarmés, ou
des payfans gardés par un chef & deux hommes
à cheval. Ces payfans ou ces foldats auront de
deux en deux une civière ou un brancard, avec
une planche à un des bouts , clouee un peu plus
haut & tombant en pente fur le brancard, afin
que les bielles n’ayent pas la tête baffe» Chaque
civière ou brancard devroit avoir fa petite pail-
laffe ou l'on petit matelas y& , au lieu de la planche j
dont je viens de parler, un petit oreiller vaudroit
beaucoup mieux. Cette attention de faire retirer
les bleffés convient à la charité chrétienne , ôc eft
due au courage des combattants : elle fer.vira même ,
à les animer davantage , lorfqu’ils n’entendront
pas les gémiffements des bleffés, & qu’ils verront
qu’on, aura le même foin d’eux , fi un pareil
malheur leur arrive : de plus les foldats , dont
l’unique objet doit être de combattre , n’auront
plus le prétexte de quitter leur pofte, pour retirer
leurs officiers ou leurs camarades bleffés. Dès que
ces payfans ou ces foldats défarmés auront remis
d is bleffés à quelques-uns des hôpitaux du premier
fang , le chef qu’on leur a donné les fera
retourner auffitôt à leur premier pofte, pour y
prendre d’autres bleffés.
Il faut avoir dans ces hôpitaux un grand nombre
de charettes qu’on aura prifes dans les lieux voifins,
outre celles qu’on pourra tirer du parc de l’artillerie
& de celui des vivres. Chacune de ces charrettes
fera garnie d’un oreiller & d’une paillaffe
ou d’un matelas , & elles tranfporteront ces bleffés
à l’hôpital général. On chargera aufli quelques
perfonnes d’accompagner ces charettes , & de les
faire revenir fans délai.
Lorfque le combat fe donne inopinément, &
qu’on n’a point eu le temps de faire tous ces préparatifs
, ce feroit l’intendant de l’armée vi&o-
rieufe qui devroit prendre ce foin.
Si vous perdez la bataille, les ennemis tueront
ç>u prendront les chirurgiens , les bleffés & ceux
qui les fervent. Cependant deux généraux ennemis,
qui font généreufement la guerre , devroient fe
romettre mutuellement d’avoir foin chacun des
leffés de l’autre. S’il n’y a pas un pareil accord ,
vous laifferez à chaque hôpital du premier fang
une lettre pour le général ennemi , par laquelle
vous lui marquerez que vous aviez des chirurgiens
& tous les remèdes néceffaires pour les bleffés
des deux armées , & que vous attendez de fa
générofité , qu’il ufera du même traitement à l’égard
des vôtres. Vous laifferez aufli deux ou trois
de ces lettres à l’hôpital général ; & , dès qu’on
fçaura que la bataille eft perdue , les commiffaires
de cet hôpital prendront une marque de paix , &
accompagnés de tambours & de trompettes qu’ils
auront retenus, ils iront au général ennemi pour
lui remettre la lettre & lui demander des fauve-
gardes. On gardera toujours une de ces lettres
#
dans l’hôpital, afin de la préfenter au commandant
de la première troupe qui s’y préfentera.
, B A N . E S C A R M O U C H E S . B U T I N .
Si les ordres dont je vais parler ne font pas
établis dans votre armée, faites publier avant la
bataille , un ban par lequel, fous peine de la vie,
il fera défendu à tout foldat & d tout officier de
faire courir la voix pour une nouvelle évolution ,
ou pour quelque nouveau mouvement des troupes.
La contravention à cet ordre expoferoit à touts
les inconvénients dont j’ai déjà parlé.
Sous la même peine , il fera défendu à tout foldat
de quitter fon rang fans ordre de fon officier, même
fous prétexte de faire prifonniers quelques officiers
des ennemis, ou de retirer les bleffés. A l’égard du
premier de ces deux points, le commandant de
chaque corps fçait en quel temps , comment, & à
quelle perfonne il doit donner cette commiflion»
Quant au fécond , j’ai parlé des précautions à.
prendre pour retirer les bleffés. Si on ne fait cette
défenfe , on verra que pour chaque bleffé, quatre
foldats , qui n’ont aucune bleffure., quitteront le
combat ; & on peut être affuré. qu’ils ne feront
pas aufli prompts à revenir , qu’ils l’ont été à fe
retirer.
I l fera aujfi défendu ,fous peine de la v ïe , de quitter
fon rang pour piller, avant quun certain fignal ou
l ’ordre pour le pillage ait été donné. Si les troupes
fe débandoient pour le pillage , elles s’expoferoient
au péril évident d’être battues par les ennemis ,
q u i, après s’être ralliés , viendroient les attaquer»
Le fignal peut én être donné par le canon ou par
des mortiers ; mais il vaut mieux envoyer l’ordre
du pillage par les aides-de-camp généraux , qui
diront combien d’hommes de chaque corps, ou;
quel régiment de chaque brigade, ou quelle brigade
de chaque ligne font deûinés pour le pillage T
pour fuivre les ennemis, & pour la rélerve.
Lorfque Judas Machabée eut défait Gorias ,
il ne voulut pas permettre le pillage à fes troupes,
qu’il ne fût affuré de la victoire. « L’armée de
» nos ennemis, leur dit-il, eft encore, fur la
m montagne voifine : achevez de la combattre ,
n & de la mettre en fuite, & vous pillerez en-
n fuite en fureté.
Ambiorix attaqua quinze; cohortes de Cæiaf,
commandées par Titurius Sabinus &. par Aurun-
culéius Cotta ; & , voyant que fes troupes. com-
mençoient à fe débander, pour piller le bagage
que les Romains avoient abandonné, il défendit
à tout Soldat, fous peine de la v ie , de fortir de
fon rang; La défenfe arrêta le défordre , & Ambiorix
défit les Romains. .
Donner des ordres avant le combat pour Ja
répartition du butin, c’eft vous expofer /, fi vous
perdez la bataille , à la même rifée à laquelle ,
lelon Polybe, fe virent expofés les Etoliens , qui,
après beaucoup de difputes & de conteftations
fur le partage du pillage de Mydionie , furent
contraints par les lllyriens de lever le fiege. Il
eft donc à propos d’établir longtemps auparavant
la règle fuivante. _
Que nulle perfonne , foit de l’armée , foit étrangère
, ne puifle vendre ou acheter aucun meuble,
qui aura été pris fur 1® champ de bataille , jul-
qu’à ce qu’ayant raffemblé toutes les troupes , on
examine le butin que chaque régiment, chaque
compagnie , ou chaque, particulier aura fait, afin
d’en régler la diftribution. -
Le conful Aulus Cornélius Coffus , s’etant
rendu maître du camp des Samnites , y laiffa
deux légions pour le garder , avec des defenfës
très rigoureufes de le piller avant fon retour , afin
que les troupes avec lefquelles il pourfuivoit les -
ennemis euflént part au butin.
C ’étoit la coutume parmi les Francs de raf-
fembler tout le butin apres une viétoire , afin
de le diftribuer également aux troupes.^
Il me paroît qu’après le grand nombre d exemples
que je -vais rapporter à ce fujet , il ne devroit
point fe trouver de difficulté a mettre en pratique
ce que je confeille. Cependant, fi vous m objeéïez
que les officiers & les foldats cacheront toujours
ce qu’ils auront pris de plus riche , &. qui ordinairement
a le moins de volume ; je réponds que
peu-à-peu on rémédiera à cet abus , en puniffant
comme voleurs du bien de leurs camarades ceux
qui contreviendront aux ordres donnes , & en
déc-larant infâmes les auteurs d’un tel crime. Et,
comme l’on vient à bout de tout avec le temps
& laraifon, ce feroit foibleffe dans un commandant
que de ne pas entreprendre ce qu’il, y a de plus
utile, parce qu’onrencontreroit quelques difficultés.
Souvent, dit Polybe , les chofes qui., au commencement,
paroiffent les plus difficiles, & meme
impolfibles , deviennent dans la fuite tout-a-fait
aifées par le temps & l’habitude, ». A in fi, les
premières difficultés ne doivent pas détourner de
faire ce qui paroît le plus avantageux.
• Ceux qui fe font trouvés à la bataille ne doivent
pas feuls avoir part au butin ; ceux qu’on a laiffes
pour la garde du camp , ou détachés pour opération
, doivent y participer. Ce partage équitable
engagera les foldats à ne pas s’éloigner de leurs
poftes , certains d’avoir part au butin que feront
leurs camarades..
David ayant fait un grand butin fur les Ama-
lécites, celles de fes troupes qui s’étoient trouvées
au combat ne vouloient pas en faire part
à celles qui avoient été détachées pour garder le
bagage. David trouva cette prétention injufte ,
& ordonna qu’il feroit également partagé entre les
uns & les autres.
Après fa vi&oire fur les Madianites , Moïfe fit
diftribuer également les dépouilles à toutes fes
. troupes. ( Voyei B u t i n . ).
Les officiers & le prince même trouveroient
quelque avantage dans cette diftribution .réglée du
butin ; autrement le foldat feul profite du pillage y,
•un officier ne va pas piller par fes propres mains.
Suivant une loi établie parmi les Turcs , tout le
butin fe divife également aux troupes , à l’exception
d’un cinquième qui appartient au
eneur , ou a" général. . . . r,
S i , dans la diftribution que j ai propolee , on
favorife les corps & les officiers q.ui fe font distingués
y fi l’on donne moins à- ceux qui n’ont fait
que leur devoir , & rien du tout à ceux qui l’ont
mal rempli , l’intérêt établira dans' l’armée une
émulation de valeur.
Le conful Cnéius Manlius , après avoir battu les
Grecs au mont Olympe, examina tout le butin
que les foldats avoient fait, & le leur fit diftribueT
avec équité , félon que chacun s’étoit diftingué
dans le combat.
Le diélateur Cincinnatus fit partager entre fes
troupes le butin fait fur les Eques, ians en faire
part à celles du conful Minutius, parce que les
troupes de celui-ci n’avoient pas fait leur devoir»
Obfervons encore que dans les pillages,- lorfque'
la réglé que je viens de propôfer n’eft pas établie
ce font toujours les foldats les moins eftimables1
qui en profitent le plus , & que le gain qu’y font
quelques-uns , les porte à déferter, ou les rend
plus lâches dans la fuite.
Antoine de Ville veut que le butin foit vendit
dans la place publique au plus offrant & dernier"
enchériffeur ; que | de l’argent qui en provient ,
on commence par payer les chevaux que les
officiers ont perdus dans le combat, & que préa--
lablement on leve une portion extraordinaire en-
faveur de touts ceux qui ont été bleflés. Il ajoute-
que la coutume de fon temps étoit que le major
général de l’armée , & dans une ville de guerre ,
le major de la place vendoit la prife & diftribuoit
l’argent qui en revenoit ; & que , pour fa peine
&. celle de fes aides-majors & d’un écrivaini l
prenoit le dixième ou fix fols par écu : ce qui
me paroît un peu trop.
Dans les prifes, le foldat a une part, le fergenu
deux, i’enfeigneâtrois , le lieutenant quatre , le capitaine
fix , le major fep t, le lieutenant-colonel
huit, le colonel dix , le brigadier douze , le ma-
réchal-de-camp feize , le lieutenant général v in gt,
le. commandant de l’expédition , le double de ce'
qui doit lui revenir fuivant fon rang. A l’égard
de ce qui appartient au général de. l’armée , ou
du gouverneur de la place de laquelle eft forti le'
détachement, la pratique eft différente : les uns-
J prennent la fixième partie du butin y les autres-
la huitième y d’autres la dixième : mon fentiment'
feroit qu’ils-puffent prendre feulement un cheval
ou quelques' meubles de goût dans les prifes qui
paflènt mille écus, & rien du tout dans: celles qui
font moindres-.
Lorfqu’il s’eft trouvé avec les troupes qui ont-
fait la prife quelque homme de finance ou de
j juftice , ou des officiers du corps des ingénieurs'