
mouvements que Ton ennemi peut faire pour s’approcher
fecrettement de lui ; & qu’ainfi il ne doit
compter fon véritable éloignement de l’ennemi que
depuis la rivière jufqu’à Ion camp, puifqu’il a pu
iè porter jüfqu’à la rivière , & lui cacher la con-
noiilance de ce mouvement. Par conféquent le
général qui commandoit le camp de Sintzheim ne
devoit fe croire éloigné de M. le maréchal de Tu-
renne que de fix lieues, qui eft la diftance de Philis-
bourg à Sintzheim.
La fécondé réflexion qui fe tire de cet exemple ,
c ’eft que lorfqu’un corps fe trouve à une portée
raifonnable d’un ennemi qui peut marcher à lui &
lui dérober la-connoiffance des forces avec lefquelles
il marche , il ne doit jamais l’attendre avec une
entière confiance dans fonpofte , quoique bon en
apparence , mais dont la bonté ne peut égaler la
lupériorité du corps par lequel il peut être attaqué,
& dont il n’a pu fçavoir précifément la force.
B A T A I L L E D’ E I N Z H E I M .
Dans la même année 1674* M. le maréchal de
Turenne , a qui le fuccès du combat de Sintzheim
avoit acquis l’égalité avec l'ennemi, donna la bataille
d’Einzheim.
Ce général campoit à la Wantznaw avec fon
armée prefqu’égale à celle de l’empereur, commandée
par M. de Bournonville , qui campoit à
Einzheim , où il attendoit un corps confidérable
de troupes, que lui amenoit l’éleâeur de Brandebourg.
Cette jonction auroit en peu de temps décidé
abfolument de fa fupériorité fur l’armée du
roi. 11 falloir donc , par une grande & heureufe
action , prévenir, les effets de cette fupériorité ; fans
quoi M. le maréchal de Turenne fe voyoit contraint
d’abandonner toute l’A lface, dans une faifon
qui n’étoit point ejicore affez avancée pour faire
penfer aux quartiers d’hiver. Il n’y avoir dcnc de
moyen pour fauver Philisbourg ou Brifao que celui
de battre M. de Bournonville, avant qu’il fut joint
par l’élecleur de Brandebourg.
Dans cette néceffité abfolue de combattre ayant
Ja jonction des fecours qui venoient à l’ennemi ,
M. de Turenne partit de la Wantznaw pour venir
chercher M. de Bournonville à Einzheim. Sans une
pluie continuelle, qui rallentit la marche de l’armée
& fit gonfler un petit ruiffeau affez voifin du front
de l’ennemi, & fur lequel il fallut conftruire des
ponts pendant toute la nuit, il y a beaucoup d’apparence
que M. de Bournonville n’auroit pas eu
le temps de mettre fon armée en bataille à la tête
de fon camp.
Mais'cesfin eonvénients furent caufe que l’armée
du roi ne put avoir achevé de paffer le ruiffeau
qu’à la p.ointe du jour , & que l’ennemi eut le
temps de fe mettre'-en bataille , la gauche appuyée
à un petit bois où il mit de ^infanterie & quelques
pièces de canon, le village d’Einzheim derrière fon
front ? & fa droite étendue dans la plaine,
M. le maréchal de Turenne fit marcher à Pen->;
nemi fon armée formée en bataille. Le cpmbat1
commença fur tout le front vers lés huit heures du
matin par une pluie horrible , & fur un terrein fi'
abreuvé d’eau que ce n’étoit qu’avec beaucoup de
peine que les hommes les chevaux pouvoient
avancer fur l’ennemi pour l’aborder. L.e fucçèsde
la première charge fut différent fur le front de la
ligne.
L’ail^gauche de la première ligne de cavalerie
de l’armée du roi fut renverfée par la droite de
celle de l’ennemi ; mais elle fut foutenue par le
mouvement en avant que fit la fécondé ligne : celle-
ci contint celle de l’ennemi, & l’obligea d’abandonner
le terreim de notre première ligne qui eut
le temps de fe rétablir.
Le centre de l’infanterie de l’armée du roi fit
perdre un peu de terrein à celle de l’ennemi, fans
avoir cependant un avantage trop marqué ; parce
qu’elle n’ofa s’abandonner en avant à caufe du
défordre de la gauche qui n’étoit point encore rétablie
; & auffi parce que la pluie ne lui laiffoit
pas le moyen de fe fervir du moufquet : l’infanterie
n’avoit point encore de fufils.
La droite de la cavalerie de l’armée du roi fe
maintint fur fon terrein malgré le feu de mouf-
queterie & .de canon qui fortoit du bois & proté-
geoit la gauche de l’ennemi. M. de Turenne , après
le rétabliffement du défordre de fa gauche , fit attaquer
ce bois par toute l’infanterie de fon corps
de réferve : elle en chaffa l’ennemi après une aâioa
fort longue & fort opiniâtre.
Ainfi cette proteftion de la gauche de l’ennemi
devint l’appui de notre droite, & fit perdre
beaucoup de terrein à l ’ennemi fur tout le front.
Cependant la lafïitude des hommes & des chevaux,
& le terrein abreuvé d’eau fur lequel on combattoit,
furent des obflacles infurmontables qui empêchèrent
que dans ce moment toute la ligne s’avançât pour
décider entièrement la bataille : de forte que , la
nuit étant furvenue avant que les troupes euffent
eu le temps de reprendre haleine , quoique la pluie
eût ceffé fur les neuf heures & que le temps fe fût
éclairci ; l'ennemi, à la faveur de la nuit qui étoit
fort obfcure , abandonna fon champ de bataille &
quelques pièces de canon , & fe retira près de
Strasbourg pour fe mettre hors de la portée de
M. de Turenne.
Quoique cet événement ne fut pas entièrement
décifif, il fuffit pour donne? à M. de Turenne la
réputation de laftr Priorité, pendant quelque temps,
& contenir l’ennemi jufqu à l’arrivée des fecours
qu’il attendoit.
Cet exemple juffifie mes maximes & prouve
que l’abandon du champ de bataille , fans une
grande perte d’hommes, produit fouvent de plus
grands avantages que ceux des combats les plus
1 meurtriers, qui quelquefois ne décident rien. Jamais bataille rangée , dans laquelle tout le front a chargé
en même temps, n’a été moins décidée que celle
3’Einzheim, quoique le champ de bataille ait' été
abandonné , & n’a pourtant produit un effet plus
marqué.
B A T A I L L E D’ A L T E N H E I M .
M. le maréchal de Turenne ayant été tué d’un
coup de canon , le 26 juillet 1675 * au moment où
il fe difpofoit à combattre l’armée ennemie , qui
étoit en bataille de l’autre coté du village de Saf-
back , Varmée du ro i, a qui ce grand capitaine
' venoit d’être enlevé , refta dans la même fituation
où elle s’étoit trouvée dans ce trifte moment. Sa
gauche & foii centre étoient en bataille fur le terrein
que l’armée devoit occuper en marchant à l’ennemi
, & la droite étoit en mouvement pour marcher
fur le même, front 3 mais n’y étoit point
encor.e.
La mort imprévue de Turenne, arrivée dans ce
moment fi critique pour une armée , mit fur le
champ la défunion entre les deux lieutenants-généraux
qui fervoient fous ce général; c’étoient M. de
Lorge & M. de Vaubrun : de manière que la droite
refta immobile., ne vint point s’aligner fur la
gauche & le centre'.
M. de Lorge, comme l’ancien, prétendoit devoir
commander l’eul toute l’armée : M. de Vaubrun ,
au contraire., prétendoit que le commandement de
toute l’armée devoit continuer à rouler entre eux
deux, jufqu’à ce que le roi eût nommé un fupérieur.
Il fe fôndoit fur la parité de grade, & fur ce qu’il
n’y avoit rien de décidé dans les ordonnances militaires
en pareil cas ; il alléguoit même plufieurs
exemples où dès- généraux , en parité de grade,
avoient roule entre eux pour le commandement.
M. de Vaubrun avoit pourtantçontre lui. l’exemple
fameux de Mts les maréchaux de Créqui, d’Hu-
mières , & de Bellefons, qui avoient obéi à M. le
maréchal de Turenne en l’année 1672. A la vérité
M. de Turenne avait-prétendu que c’étoit par fa
qualité de maréchal-général des camps & armées
dû roi. Mrs les maréchaux , fans approuver ce titre
nouveau en France, sfetoient fournis- à prendre
If ordre de" lui comme du plus ancien, & le roi
ne s’étoit point expliqué de manière que ce pût
être une décifion pour l’avenir.
C ’eft depuis ce temps-feulement que fa majefté
a décidé, pour le commandement entre les officiers
généraux, en faveur de l’ancien à parité de
grade ; voilà quel a été le fujet de là difpute
entre Mrs. de Lorge & de Vaubrun : elle penfaêtre
la caufe de la perte de l’armée du roi-jufqu’à la
mort de M. de Vaubrun, tué dans les premières
charges à la gauche le jour de. la bataillc.à’AhGn-
heim.
M. de Montéçuculi, qui fçut la mort de M. de
Turenne. un moment après, par un valet - de-
chambre allemand qui étoit à M. de Bouffîers , &
qui deferta pour la lui aller dire, ne chercha point
a. fe prévaloir, de. 1 effet.que. cette, mort. pouvoitproduire
, & qu’il voyoit de fes yeux par la
ceffation du mouvement de la droite , qui n’ache-
voit point de fe mettre en bataille.
Ce général fe croyoit placé fur un terrein avan-*
tageux pour recevoir la bataille , & ne vouloir
pas perdre cet avantage en venant combattre une
armée q ui, de fon côté , en achevant de fe for«1
mer , fe feroit trouvée fur une petite hauteur qui
régnait le long du ruiffeau devant- la. droite & le-
centre de l’armée du roi.-
Il crut plus avantageux aux affaires de l’empereur,
dans-la conjoncture préfente, de faire repalfer
le Rhin à l’armée du roi, & de rétablir la guerre;
en Alface : au lieu qu’un peu auparavant M. de
Turenne,non-feulement lui en empêchoit l’entrée,
mais étoit prêt à lui faire repaffer le Necker, ou
à le forcer de combattre malgré lui.
M. de Montéeuculi, pour parvenir à ce qu’il fe
propofoit, détâeha dès le lendemain de la mort
de M. de Turenne la cavalerie de la gauche ci2
fon armée fous les-ordres deM. de Caprara, qui
prenant fa marche par la montagne, à la vue de'
la droite de1 l’armée du roi, fe dirigea fur Offen-^
bourg & Wilftet, où nous avions laiffé quelque
infanterie pour la fureté de nos-convois de pain r
qui ne pouvoient venir à l’armée que de- L’Alface'
& par le pont d’Altenheim.
Ce premier mouvement-fit fentir à- nos généraux-
que, fi M. de Caprara fe rendoit maître; du pont
d’Altenheim ou détruifoit feulement un de nos-
convois ; l’armée du roi couroit grand rifque d é périr
au-delà du Rhin: ainfi ce grand ineonvé-'
nient réunit pour un temps Mrs. de Lorge & de
Vaubrun , -que les autres- officiers-généraux de-
l’armée firent convenir de rouler entre eux , en
attendant les-ordres-de la cour. Après quoi ils -
Féfolurent'qiie , la nuit fuivante, l’armée marche--
roit- à Altenheim avec la plus grande diligence-
qu’elle pourroit-.
Cette longue marche , commencée de nuit, fous:
les généraux en qui l’armée avoit peu de confiance,-
ne fe fit point avec l’ordre requis en pareil cas,-
Cependant un grand orage qui furvint aù commencement
delà marche en ôta la connoiffance à
l’ennemi. Il n’en fut informé qu’à la pointe du
jour par fes gardes avancées;-de forte que lapins^
grande partie de l’armée avoit paffé la petite rivière
qui paffe à Acheren, avant que l’arrière-
garde, qui étoit d’infanterie & devoit être relevée
aux ponts-de cette rivière , pût être jointe par les •
dragons -& cravates- détachés par M. de Montécu-
culi pour arrêter la queue, de notre armée;
Cependant celui-ci mettoit toute fon armée en'
marche,-pour fuiv-re celle du roi dans fa retraite.
Mais , comme ce général étoit fort précautionné 3
l& qu’il vouloit mener fon armée enfemble , afin
qu’elle fût en état de • combattre- celle du roi ,
lorfqu’il pourroit la- joindre; foit au paffage de la
Kintze , foit au paffage du Rhin à Altenheim •
coipn^e il lie vouloit pas? que nous fçuifionÿ