
Les portions que l’on prend fous la prote&icn
tl’une place forte font auffi au rang des camps
jdéfenfifs.
Une armée qui occupe des camps de cette nature
court peu le rifque d?y être attaquée , tant
qu’il lui eft poffible de s’y maintenir. Mais , fi
l ’ennemi peut les tourner , elle eft obligée de les
quitter dès qu’il fe met en mouvement pour cette
opération. Il réfulte de-là que , toutes les fois qu’on
eft dans le, cas d’occuper un camp qui peut être
tourné, il eft important de faire d’avance de telles
difpofitions que l ’on puiffe prendre une autre po-
fition , derrière celle que l’ennemi entreprend de
tourner.
Les camps défenfifs , dont l’objet eft de couvrir
un pays, doivent être choilis de manière que la
principale attention puiffe être portée fur les points
que l’ennemi eft à portée d’attaquer , & par .lesquels
ils peut percer ; ce font les feuls qu’il faut
embraffer.
Il n’eft point néceffaire d’occuper touts les débouchés
: on doit s’attacher particulièrement à ceux
qui peuvent conduire l’ennemi le plus direâement
à fon b u t , & principalement au point ou l’on' eft
le plus certain de tenir, d’où l’on peut veiller
le plus facilement fur les mouvements de l’ennemi
, & les prévenir. Il faut choifir de préférence
les pofitions qui obligent l’ennemi "à faire de grands
détours j & d’où l’on puiffe fe trouver en état de
rompre touts fes projets par de petits mouvements,
c’eft-à-dire, qu’il faut le placer au centre ou fur
la cor,de d’un cercle, de manière que l’ennemi foit
obligé de parcourir une grande portion de la
circonférence , tandis que l’armée qui tient la dé-
fenlive peut fe porter par-tout par le rayon ou
par la corde. ( Injlitut. milit. par M. Le B . de Sinclair.
).,
P r é c a u t i o n s g é n é r a l e s .
Si vous êtes fupérieur en cavalerie , campez
- dans un pays de plaine & découvert ; fi au contraire
votre force eft dans l’infanterie, choififfez
- un terrein où il y ait des hameaux j des haies,
des murailles de jardin, des vignes , de petits
b ois, des ravins ; pourvu que rien n’empêche la
communication de vos troupes les unes avec les
autres. Si vous êtes inférieur en nombre, tant à
l’infanterie qu’à la cavalerie , poftez - vous dans
quelque terrein rëfferré ,• rendu fort par des canaux
, par des montagnes inacçeffibles, par des
marais , ou quelque rivière qui couvrenivôs ailes
ou la tête du camp , & vous empêchent d’être
enveloppé par un plus grand nombre d’ennemis.
Si vous ne pouvez pas rencontrer ces avantages,
61 fi l’armée ennemie eft beaucoup plus nom-
breufe & voifine , vous garnirez^ vos ■ flancs &
votre parc d’artillerie, de charettes , d’affûts de
réferve, de facs de farine deftinés'pour la provi-
fion, de chevaux de frife , d’abattis, ou d’artillerie,
quand même vous n’auriez à paffer qu’une nuit
dans ce camp : ce temps peut fuffire. pour être
battu, fi l’on ne prend ces précaufions contre des
ennemis fupérieurs en nombre. Toutes les.fois que
vous allez camper dans un pofte qui n’eft pas fort
par fa nature, & qui eft voifin des ennemis ; fi
ce pofte eft éloigné des fourrages , faitesporter ce
qu’il vous en faut pour une nuit, de peur que les
ennemis ne vous chargent, lorfque vous aurez de
moins dans votre camp les fourrageurs & leur ef-
corte.
Quand vous aurez lieu de craindre qu’on ne
vienne infulter fubitement votre cavalerie , or-
donnez-lui de ne pas défeller , ou faites-la camper
au centre ou dans l’endroit le moins expofé au
premier coup des ennemis : fuivant la remarque
de Xénophon , l’infanterie , qui n’a que fes armes
à prendre , eft toujours plutôt en état de fe battre
que la cavalerie, qui a non-feulement befoin de
temps pour s’armer & mettre les bottes , mais
encoye pour feller & brider les chevaux. Dans
cette même crainte d’être attaqué dans votre camp.9
ne perdez pas un moment à faire jetter de petits
ponts fur les foffés , fur les ruiffeaux , & de faire
applanir tout, ce qui pourroit être un obftacle à
vos troupes pour fe former & communiquer les
unes avec les autres , félon le nombre, la qualité ,
le génie, &. la coutume des troupes de chaque
nation.
Campez toujours de la même manière, autant
que le terrein le permettra vos régiments, accoutumés
à une même pratique , feront moins
embarraffés , & comprendront plus facilement ce
qu’ils ont à faire lorfqü’il faut camper ou décamper.
J e donnerai dans un autre endroit la raifon pour
laquelle il faut camper félon l’ordre qui s’obferve
dans la marche , -& marcher félon l’ordre dans
lequel on doit combattre. Suivant cette règle, vous
mettrez les pièces de campagne & les munitions
néeeffaires pour les fervir dans les intervalles qui
féparent les brigades.
En choififfant un camp , il faut- obferver fi vous
pourrez le lendemain arriver à un autre endroit
propre pour camper. Vous devez auffi vous ménager
le temps de reeonnoître les poftes conve-»
nables aux gardes avancées ; afin que , fans dé-
fordre , & fans la confufion que la nuit caufe, vos
régiments s’établiffent , qu’on puiffe diftribuer à
chacun fon bagage, accommoder le parc des vivres,
celui de l’artillerie , établir l’hôpital, afin que
vos foldats , fans rien retrancher des heures nécefi-
faires pour leur délaffement & leur fommeil, ayent
le temps d’aller au fourrage , à l’eau, au bois , &
de préparer leur fouper.
Fernand Cortès , dans la retraite qu’il fit avec fa
petite armée depuis le Méxique j ufqu’à Tlafcala,
mefuroit fi bien les marches qu’il faifoit toujours
halte dans les temples forts par leurs murailles,
ou fur des montagnes défendues par leur'hauteur.
Solis , parlant de la marche que fit le même
Cortès lorfqu’il arriva au Méxique \ dit qu’il la
commença de grand matin , parce qu’il vouloit
avoir une partie du jour pour reeonnoître & fortifier
fes quartiers.
R é c O N N O I S S A N C E D U T E R R E I N .
Pour apprendre à bien camper une armée ,
obfervez chaque terrein, & demandez à des hommes
expérimentés dans cet art, combien de troupes ce
pofte pourroit contenir, & quel avantage ou quelle
incommodité on y trouveroit. Par cette fréquente
application , vous réuffirez à acquérir ce que les
François appellent le coup d’oeil : qualité infiniment
utile à un officier général pour faire choix dans un
inftant du terrein le plus;favorable , & qu’Annibal
a louée dans Pyrrhus. Tite-Live nous apprend que
Philopæmen , préteur d’Achaïe , parvint ainfi à
cette connoiffance.
J’ai oui dire à plufieurs officiers , qui avoient .
fervifous le maréchal deStaremberg , que, parmi
plufieurs qualités qu’on remarquoit dans ce général,
il avoit celle de connoître dans un inftant le terrein
qui étoit le plus convenable ; & que cependant
il' demandoit fouvent l’avis de ceux de fes officiers
qu’il croyoit les plus expérimentés, quoiqu’ils ne
fuffent que fimples capitaines. Pendant la marche
il s’entretenoit long-temps avec eux fur ce que les
endroits qu’il rencontroit pouvoient avoir de favorable
ou de défavantageux pour camper une
armée. ( C e ihoyen fert à connoître & les terreins
&L les officiers. ).
Q U A L I T É S D ’ U N C A M P .
Il faut qu’un camp que l’on veut occuper longtemps
donne , outre les fourrages , le bois , & les
eaux en abondance , la facilité d’empêcher les
courfes des ennemis fur votre p ay s , &. de couvrir
le chemin par où vous devez recevoir vos
convois. Vous réuffirez par rapport à cette dernière
circonftance , lorfqu’étant fupérieur fur mer,
ou maître de quelque rivière qui tràverfe la province
d’où vos convois partent, vous établirez
votre camp au voifinage de la mer ou de cette
rivière.
Il doit y avoir dans le camp même des fources
fuffifantes , s’il eft à craindre que les ennemis coupent
celles qui viendroient de plus loin, foit en
rompant les aqueducs , foit en .détournant les
eaux.
Ne campez pas dans un lieu qui puiffe être
inondé par les ennemis en rompant les digues ,
& en faignant les rivières , ou par les torrents du
pays lorlqu’ils font groffis par les pluies ou par les
neiges fondues des montagnes voifines. ,
Lorfqu’il y aura des bois fort près de votre camp,
vous en ferez couper la partie que vous jugerez à
propos ; de crainte que , fi les ennemis y mettaient
Ie feu > votre camp ne fût embrafé, & afin.que vos
gardes découvrent mieux la campagne, & que les
vivandiers & fourrageurs que vous détacherez., &
touts ceux qui fortent de votre camp , o u .qui y
viennent, ne foient pas■;.continuellement.;expoCés
aux embufeades des partifans»
Pour, éviter l’accident du feu, fil faut -auffi faire
, couper les bfouffaiiles qui & trouveront au^dedans
du camp, mais non pas les arbres : dans un befoin.
on trouve ces bois de réferve pour divers ufages.
^ ’ailleurs, dans la faifon & dans les pays où la
chaleur eft grande , leur ombre n’eft pas d’un
petit foulagement pour le foldat.
Ne campez, pas où de grands ravins peuvent
empêcher la prompte communication de vos
troupes; parce que, fi les ennemis viennent à en
charger une partie, il y aura de la difficulté ou
du retardement lorfqu’il faudra que les autres aillent
à fon fecours.
Le lieu qu’on a choifi pour y camper quelque
i temps doit avoir plufieurs retraites ; afin que, fi.
les ennemis en occupent une , vous puiffiez en
prendre une autre ; lorfque par quelque accident
les vivres ou les fourrages viendront à manquer „
ou que l’armée fera obligée de marcher vers un
autre lieu. Garniffez donc les défilés ou les iffues
du camp qui vous paroîtront les plus néeeffaires
& que vous pourrez défendre avec moins de
troupes : ce qui fervira encore pour la fureté de
vos convois : vous ne les recevriez p as , fi des
ennemis fe rendoieflt maîtres de ces défilés ou de
ces avenues.
11 feroit mieux de les enfermer dans l’enceinte
de vos retranchements , fi cela fe po.uvoit fans
embraffer trop de terrein : fans un befoin preffant
vous ne devez prendre que celui qui vous eft abfo-
lument néceffaire par rapport au nombre de
votre armée ; votre camp fera plus à couvert d’une
infulte, lorfqu’il n’y aura point d’endroit où il
ne fe puiffe trouver affez, de troupes pour le
défendre fans dégarnir un autre : pofte.
11 ne faut pas non plus que l’enceinte; du camp
foit trop reflerrée : ce feroit' mettre dans vos
troupes rembarras , la confiifion , les maladies ,
& donner aux ennemis la facilité de le bloquer.
Montécuculi: ajoute dans fes mémoires qu’un camp
trop refferré feroit expofé aux accidents du fe u ,
& que les ennemis ne craindroient pas une. armée
qu’ils jugeroient par-là n’être pas nombreufe. Ort
doit laifler entre les tentes & le retranchement un
. terrein vuide , affez grand pour que les troupes
deftinées à foutenir celles qui garniffent le retranchement
s’y puiffent former en cas d’attkque.
Si vous le pouvez, fans prendre trop de terrein,
enfermez quelques hameaux dans le circuit de
vos retranchements ; vous y logerez les principaux
officiers, les malades, les vivres & autres
chofes qui fe gâtent par l’humidité de la terre, ou
par l’ardeur du foleil. Vous trouverez un autre
J avantage à renfermer dans l’enceinte du camp,
I des villages, des maifons de campagne, & autres
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