tuent l’honnête homme, le bon citoyen & le guerrier
refpe&able.
De l ’efiime de fes chefs. Les frondeurs , dont l’état
militaire n’eft pas plus exempt que les autres,
aft'eétent de prifer peu l’eftime de leurs chefs. Heu-
reufement l’opinion de ces efprits détracteurs attira
toujours le mépris de l’homme fage. Eh! quel
mal peut produire en effet le defir d’être eftimé de
fes fupérieurs ? S’il falloit, pour le fatisfaire, affecter
des moeurs dépravées , tenir une conduite
irrégulière, Si fe montrer fous l’afpeâ d’un vil
Therfite , ou d’un bas flatteur , on devroit fans
doute chercher à le contenir, à diminuer fa force,
Si même à l’éteindre. Mais , comme rien de tout
cela n’eft v ra i, ainfi que nous l’avons prouvé dans
l’article moeurs, on doit allumer ce defir dans l’ame
des militaires.
De F amitié de fes égaux. Le capitaine qui ne primera
pas l’amitié de fes compagnons d’armes, autant
quelle le mérite ; qui ne fera pas pour l’obtenir
touts les facrifices que fon devoir lui permet,
commettra fouvent des fautes dont les confeils
de fes camarades l’auroient éloigné , donnera en
des erreurs qu’ils lui auroient fait appercevoir, Si
«îe profitera pas , comme il l’auroit pu , des pccà-
fions favorables qui fe préfenteront à lui pendant
la paix & pendant la guerre ; ainfi la patrie fouf-
frira du peu d’union qui régnera entre les membres
du même corps. Le vulgaire qui juge de
tout félon les apparences les plus fuperficielles,
Si les jeunes officiers à qui l’expérience n’a pas
encore appris à bien voir, penfent que les militaires
n’accordent leur amitié qu’aux membres de
leurs corps dont la conduite n’eft conforme ni ;
aux loix de la difciplinè militaire, .ni à celle de j
la morale : quelle erreur ! fi nous ne l’avions com- J
battue dans l’article moeurs, nous l’entrepren- !
drions ici ; mais nous nous y bornerons à indiquer
aux capitaines le meilleur moyen de mériter
ce fentiment précieux..
On croit communément que l’immortel Fénelon
n’a configné dans les aventures de Télémaque
que la morale des fouverains : mais , quand on
a lu cet ouvrage avec toute l’attention qu’il mérite
Si qu'il infpire, on voit qu4il y a renfermé la
morale de touts les états. Parmi plufieurs exemples
que nous pourrions en citer, nous nous borne-*
rons à un feul, qui eft très convenable à notre
fujet. Télémaque va quitter Mentor, pour aller
avec les alliés faire la guerre aux Dauniens.
Minerve , après avoir couvert le fils d’Uliffe de
fon immortelle égide, lui trace la conduite qu’il
doit tenir : elle lui apprend à fe mettre à l’abri
de l’envie, à ne point éveiller la jaloufie, Si à
éloigner la difcorde ; elle lui enfeigne quels font
les égards qu’il doit aux capitaines plus anciens
que lui, quel eft l’ufage qu’il doit faire de leurs
fages conieils ; quel prix il doit mettre à leur
amitié. Que le capitaine life Si relife donc avec
jpi» le ’livre douzième de cet ouvrage : s’il "n’y
trouve pas tout ce qu’il croira lui être néceffaire i
il pourra lire enfuite les confeils d'un père à fon
fils , ouvrage compofé' par M. le baron d''Angeli ,*
parcourir celui que M. de Boujfanelle nous a
donne fous le titre du boy militaire , & réfléchir
fur les trois premiers chapitres de Ve (fai des
principes d'une morale militaire. , par M. de Zimmer-
man. Si la leCrure de ces ouvrages laiffe dans
1 ame du capitaine les impreffions profondes,qu’elle
doit naturellement y graver ; nous pouvons lui
repondre’ qu’il obtiendra l’amitié de fes compagnons
d’armes, Si par conféquent qu’il fera heureux
: l’amitié de ceux avec qui nous vivons peut
feule nous donner des jours fortunés, nous dédommager
de touts les facrifices que notre état
nous im p o f e & bannir loin de nous l’ennui qui
nous pourfuit ordinairement avec tant de confiance.
De l ’amour dufoldat. Un écrivain militaire ancien
s^cft demande s’il falloit que le général d’armée
fut craint ou aimé. Si cet auteur avoit eu une jufte
idee des effets de l’amour Si de ceux de la crainte,
il n’auroit certainement point balancé entre ces
deux fentiments. L’amour fait tout ce que la
crainte peut entreprendre , & la crainte eft bien
loin d’exécuter tout ce que l’amour peut faire.
L’amour va toujours en croiffant ; la crainte s’af-
foiblit chaque jour. L’amour agrandit l’ame, Si
produit ces a&ions héroïques qui immortalifent
leurs auteurs ; la crainte peut obliger à faire fon
devoir ; mais elle rabaille Si rétrécit l’ame. Une
armée mue par la crainte peut remporter une victoire
, mais non pas en profiter , Si moins encore
reparer une défaite. Quelque différents que foient
dans une armée les effets que l ’amour Si la crainte
produifent, ils le font cependant encore davantage
dans une compagnie. Le capitaine aimé de
fes foldats ne trouvera rien d’impofîible, ni même
de difficile ; d’un mot il retiendra fa compagnie
dans le pofte le plus périlleux, ou il la fera voler
au milieu des plus grands dangers. La. difciplinè
militaire fera pour elle un lien facré, parce qu’elle
fçait qu’en le rompant, ou même en le relâchant,
elle affligeroit fon chef. Je m’étendrois au - delà
des bornes que je dois me prefcrire, fi je voulois
peindre touts les heureux effets que produit l’amour;
que le capitaine s’attache à le mériter,cet
amour de fes foldats ; .& , ce que les perfonnes
qui ne connoiffent pas cette claffe de citoyens auront
de la peine à croire, il n’y parviendra qu’en
employant les mêmes moyens qui lui donnent des
droits à l’eftime publique, & aux autres récom-
penfes que les militaires font jaloux d’obtenir.
N o n , les foldats n’accordent leur amour ni à
l’officier ignorant, ni au capitaine dont les moeurs
font dépravées, ni au chef qui- laiffe flotter les
rênes de la difciplinè, ni à celui qui montre peu
de goût pour fon métier , ni à celui dont la parure
annonce plutôt un fibarite qu’un fpartiate : ils
n’accordent ce fentiment précieux qu’au capitaine
qui fçait les punir avec fermeté quand ils ont
mal fait, Si leur donner des louanges quand ils fe
fiant conduits comme ils le dévoient ; qui leur
parle avec nobleflie, avec honnêteté, Si avec bonté ;
qui cherche à les élever à leurs propres yeux ;
qui leur prodigue les foins les plus- tendres,
quand ils font malades ; qui allège leurs travaux,
quand ils font foibles ; qui eft leur protecteur, leur
defenfeur, & leur père ; qui, toujours modéré &
réfléchi, ner fe laiffe ni empor ter-par la colère, ni
entraîner par la prévention ; en un mot ils n’accordent
leur amour qu’au capitaine qui remplit fes
devoirs dans toute leur étendue. Us peuvent bien
prendre un air-de gaité, ou de familiarité avèc un
capitaine qui ne reilemble en rien à celui que nous
venons de peindre ; mais 4’obfervateur attentif
reconnoît que l’ironie tient fur leurs lèvres la place
d’une'fincère approbation; & , au lieu de la féré- ;
mte que donne le vrai contentement, il découvre *
fur leurs fronts les indices d’un mépris qui, pour !
erre mafqué, n’en a pas une exiftence moins réelle i
& moins profonde. !
Efprit de corps. Cet efprit tient de l’amour : !
il eft ardent, impétueux ; il concentre les fentiments ; j
il dit au guerrier : ne penfe & n’agis que pour le :
Pay s quc tu fers : il lui fait defirer, efpérer, Si ;
même croire que l’armée dont il fait partie eft la
mieux compofée & la plus invincible ; que l’armée
dans laquelle il fert eft la plus effentielle , qu’elle
décide du deftin des combats ; que le régiment
dont il porte les couleurs, eft le plus beau Si le
meilleur ; que la compagnie à laquelle il eft attache
eft la plus brave Si la mieux difeiplinée.
Si tout cela n’eft qu’illufion , cet enthoufiafme le
porte du moins à faire tout ce qui, dépend de lui
pour le realifer, Si touts les membres d’un corps
y parviennent, quand cet efprit les anime.
Nous pouvons dire que , julqu’au moment où
1 on aura rendu à l’efprit national , à l’efprit de
corps , & à l’efprit de compagnie , l’a&ivité qu’on
a cherche a éteindre , on verra chaque campagne
rendue célèbre par quelqu’une de nos défaites- ,
Si la paix intérieure fouvent troublée par les fautes «
les plus graves contre le bon ordre, Si la difei- '
pline militaire. ( Voye^ Es p r it de c o r p s . ).
Bravoure. La bravoure dépourvue de lumières-
peut être quelquefois utile , mais les connoïflances
& les talents que la bravoure n’accompagne pas .
font toujours inutiles. Il faut donc que le capitaine
loit brave ,; il faut plus encore : il faut que fes
loldats foient convaincus, de fa valeur. Si la bravoure
du capitaine étoit foupçonnée , le mépris le
plus grand^ l’accableroit bientôt, Si fes ordres per-
droient même pendant la paix une grande partie
de leur poids. La valeur du capitaine, pour être
grande, ne doit cependant pas être emportée ; fi
elle lempechoit de réfléchir ou de raifonner fa
conduite, fi elle lui ôtoit la liberté d’efprit & le.
lens froid qui font néceffaires pour, donner des
ordres ü g e s , & pour profiter des occafions favo-
raüles , elle ne feroit plus, une qualité précieufe.
Celui qurlapofïederoit pourroit être un bon foldat;
mais il ne feroit jamais un bon capitaine. La valeur
du l’oldat Si celle de fon chef diffèrent beaucoup.
( Voye^ la fin de l’article moeurs , & fur-tout 1«
: paragraphe V I , de la fe&ion IV de l’article §H
nèral : ) ; nous y avons prouvé, par une foule
d’exemples hiftoriques, qu’il eft peu d’occafions
où la valeur de l’officier qui commande une troupe
doive être aiftive , Si nous y difons cependant
que , lorfque l’oceafion le demande , fa bravoure
doit être au plus haut degré.
Du courage. On peut être très valeureux , Sc
n avoir point ce courage qui fait fupporter avec
patience les coups de la fortune , les intempéries
des faifons, la difette des vivres. On peut être
très valeureux, & n’avoir point ce courage qui
fait qu’on fe roidit contre les follicitations des
femmes, qu’on brave les „menaces des grands,
qu’on s’oppôfe à toutes les injuftices , Si qu’on
s’élève au-deflùs de toutes les confidérations per-
formelles. On pèut être très valeureux , & n’avoir
point ce courage qui règle les goûts , afïervit les
plaifirs, Si dompte les paffions. On peut être très
brave, & n’avoir pas la fermeté d’éprouver une
difgrace fans s’avilir , une défaite fans fe décou-
rager , Si de -remporter une viâoire fans s’énor-
gueillir. Le capitaine s’occupera de bonne heure à
fortifier fon ame contre les divers événements que
nous venons de nommer : plus il fera affermi contre
eux, plus il fe fera aflùré de lui-même, & plus
il touchera de près à la pêrfeéHon. ( Voy et G énéral.
_§. V H ,fe â io n IV .) .
De la juflice. Un capitaine feroit jufte plus facilement
chez une nation qui pofféderoit un code
militaire pénal dans lequel le légifiateur , ayant
prévu touts les délits poffibles , Si leur ayaiy;
infligé des peines proportionnées à leur gravité,
auroit banni touts les abus que produit le pouvoir
arbitraire. Un capitaine mériteroit fans peine le
titre d’équitable chez un peuple qui auroit eu la
fagefle de décerner une récompenfe honorable à
chaque aCIion utile, & qui auroit fi bien réglé la
manière de parvenir aux grades élevés que la
prévention & T e s confidérations particulières ne
puffent influer fur la nomination des bas-officiers,
& empêcher le mérite dépourvu de protecteurs,
méconnu par la fortune , & traité peu favorablement
par la nature à l’égard des qualités du corps,
d’être élevé à ces places plus importantes qu’on
ne le croit communément.-Un capitaine, enfin,
feroit jufte plus facilement dans un corps militaire
compofé de bas-officiers inftruits Si éclairés ; parce
qu’il ne feroit jamais induit en erreur par les
comptes qu’ils lui rendroient, égaré par leurs ani-
mofites particulières, & aveuglé par leurs petits
intérêts. Mais fuppofons une conftitutron militaire
tout-à - fait différente de celle que nous venons de
tracer; exigeons qu’un capitaine foit jufte , & nous
lui impoferons les plus grands travaux; nous le
foumettrons à une vigilance perpétuelle ; il faudra