
qu’il fuivoit de fl près, il marcha toujours hors de
notre v u e , pour que nous fuflions moins fur nos
gardes au paflage des rivières ; en quoi il s’en
fallut peu qu’il n’eût bien penié, comme je le dirai
ci après.Car effe&ivement notre retraite avoit beaucoup
plus l’air d’une fuite en ordre de marche,
que d’une retraite honnête & circonfpeéle.
Tout ce que je viens de dire paroîtroit inutile
i c i ,. fi on ne confidéroit pas qu’il étoit néceffaire
d’amener de plus loin le récit de la bataille d’Al-
tenheim, afin de faire mieux connoître les fautes
qui furent faites dans les temps qui l’ont précédée ,
ik que ce fut par la feule valeur des troupes que
l’armée du roi fe trouva garantie de fa ruine entière.
A mefure que l’armée du roi arrivoit au pont
d’Altenheim , M. de Vaubrun, qui la çommandoit
ce jour-là, lui faifoit paffer le pont fans avoir pris
la précaution de fe faire informer par un parti de
cavalerie laifle en arrière, à quelque diftançe de
l’arrière-garde de l'infanterie, à quelle portée l’armée
de l'ennemi pouvoir..être.
Il faut remarquer, que ç’étoit contre toutes les
règles qu’un corps d’infanterie faifoit l’arrière-garde
de toute l’armée depuis qu’elle avoit quitté Sasbach.
Cette infanterie ne pouyoit reconnoître l’ennemi
de plus loin que jufqu’où la vue pouvoit porter •
& , lorfqu’elle arriva à la Schutteren , & y trouva
la brigade de Champagne , qui l’y attendoit pour
la relever, & faire l’arrière-garde de toute l ’armée
au paflage du Rhin , elle ne put lui dire aucune
nouvelle de l ’ennemid epuis quelle avoit paffé
3a Kintze.
Au moment où M. de Mçntécticuli, avec toute
fon armée , attaqua la brigade de Champagne qui
fe repofoit fur le bord de la Schutteren , au de-là
de ce luifleau 9 la fécondé ligne étoit déjà prefque
toute entière au-de-là du . Rhin , & la première
entre la Schutteren & le pont , fans aucune difpofition
pour, c om b a t t r e& feulement en halte ,
en attendant qu’on la vînt avertir que la fécondé
ligne & les bagages a voient achevé de paffer le
Rhin.
L ’ennemi commença donc par renverfèr la brigade
de Champagne. S’il avoit pourfuivi avec vivacité
cet heureux fuccès , il eft certain que la première
ligne d’infanterie n’auroit eu ni le temps de
reprendre les armes qu’elle venoit de pofer , ni
de marcher en avant pour border le ruifleau, comme
elle le fit fans ordre d’aucun officier général. La
eirconfpe&ion de M. de Montéçueuli , qui- ne
voulut pas fuivre la brigade de Champagne au-delà
dù ruifleau , avant que d’avoir reconnu notre
difpofition , donna donc heureufement à l’infanterie
de la première ligne le temps de border le ruifi
feau ; de manière que , quand ce général fe fut
étendu ,. qu’il eut formé fa ligne , & qu’il marcha
à celle de l’armée du rpi , il y trouva une fi grande
réfiftance qu’il ne put jamais lui faire abandonner
le .bqrd du ruifleau.
Le commencement de cette affaire n’avoit été
précédé de notre part d’aucune difpofition, &
les troupes de la première ligne , fans avoir été
conduites par aucun officier général, s’étoient feulement
placées devant le ruifleau, dans les endroits
où elles avoient vu que l’ennemi fe portoit de
front pour le paffer. Ainfi la gauche de la ligne ne
s’étoit point étendue au de-là de ce qu’elle voyoit
du front de l’ennemi ; de forte qu’elle n’avoit point
occupé le terrein entre l’extrémité du front qu’elle
voyoit & une vieille digue du Rhin : cette omifr
fion donna à la cavalerie de la droite des ennemis
le moyen de faire pénétrer dix-huit cents chevaux
derrière notre première ligne , qui foutenoit tout
l’effort de l’armée ennemie qu’elle avoit en tête.
Cette cavalerie fut même longtemps en bd-
taille derrière l’infanterie de notre première ligne ,
qui fut obligée de faire demi-tour à droite à feS
deux derniers rangs, pour tirer far cette cavalerie,
pendant que les quatre rangs de la tête défendoient
le bord du ruifleau contre l’armée ennemie. Celle-
c i, formée fur deux lignes , s’avança cinq fois 9
fans avoir fait perdre un pouce de terrein à notre
infanterie. Enfin la cavalerie de notre droite, ne
fe trouvant point occupée par la gauche de l’ennemi
, fe déplaça & vint charger cette cavalerie
qui étoit en bataille entre notre première ligne &
le pont, & la détruifit entièrement ; parce quelle
n’avoit alors de retraite que la digue par où elle
étoit venue, &. qui fe trouva heureufement occupée
par un de nos bataillons.
On voit que cette cavalerie ennemie empêcha
pendant un temps confidérable les troupes de la
leconde ligne , auxquelles on faifoit repaffer le
Rhin, de le former derrière la première.
Cette fituation dura plufieurs heures , & juf-
qu’à ce que la deftruction de cette cavalerie
ennemie fît place aux troupes de notre fécondé
ligne ; ce qui f l arriva que vers les fix heures du
foir. Les charges que fit l’ennemi pour forcer le
ruifleau durèrent jufqu’à la nuit, fans aucun fuccès
fur le front des lignes. Enfuite les ennemis fe
retirèrent en arrière à la portée du moufquet. On
vit peu après qu’ils fe retranchoient ,'&l on en fit
autant de notre côté. M. de Vaubrun avoit été tué
dans les premières charges qui fe firent à la gauche,
fur le bord de la Schutteren -, ce qui fut un grand
bonheur pour l’armée : elle fe trouva pour lors.,
fans concurrence ni contradiâion , réuni.e fous les
ordres d’ün feul général.
Cette journée me fournit plufieurs réflexions
utiles. La première efl: que la défunion entre les
chefs prouve lanéceflité de n’en avoir jamais qu’un
feul en qui réfide le commandement. La défunion
entre Mrs de Lorge & de Vaubrun , pour la préférence
au commandement en ch e f, ou pour le
partager par jour, fut caufe que l’armée du Roi
refta trois jours entiers en préfence de l’ennemi
à Sasback, fans que personne prit le foin d’achever
3e mettre la droite en bataille \ ni le parti de
combattre ou de fe retirer.
Cette même défunion fit faire la retraite de Saf-
back à Altenheim durant trois jours avec très-peu
d’ordre, & fans que, pendant tout ce temps , on
ait pris aucunes mefures pour avoir connoiffance
des mouvements de l’ennemi. Il n’y eut jamais,
pendant ces trois jours que cette marche dura, un
parti de cinquante maîtres commandé pour être
à une diftançe raifonnable de la queue de l’arrière-
garde de l’infanterie , afin qu’elle pût être informée
de ce qui fe paffoit hors de fa vue. C ’eft ce qui fit
que cette arrière-garde , qui avoit toujours été la
même depuis Sasback julqu’à la Schutteren, ne
fut pas en état de dire la moindre nouvelle de
l’ennemi, lorfqu’elle trouva la brigade de Champagne
, deftinée à continuer l’arrière-garde de
l ’armée, & paffant le pont d’Altenheim , & ce
défaut de nouvelle fut caufe que cette brigade fut
furprife en halte, attaquée &. battue par toute l’armée
ennemie.
Ce fut encore cette défunion qui porta M. de
.Vaubrun à faire paffer le Rhin à la fécondé ligne
de l’armée , à mefure qu’elle arrivoit , fans que
M. de Lorge en fût feulement informé , & fans
fçavoir lui-même à quelle diftançe l’armée du Roi
étoit de celle de l’ennemi : ce qu’il étoit néceffaire
de fçavoir , pour juger fi l’on pouvoit avec
confiance hafarder de laiffer une partie de l’armée
fans précaution pour fa fureté , au de-là d’une
rivière comme le Rhin, pendant que l’autre partie
paffoit ce fleuve fur un feul pont.
La fécondé réflexion , c’eft que dans ce temps-
là les troupes étoient mieux commandées par les
officiers particuliers qu’elles ne l’ont été dans la
guerre préfente. Y à-t-il un plus bel éloge à faire
de la valeur des troupes & de la conduite hardie
des officiers particuliers, que de comparer ce qui
s’eft fait dans les grandes occaftons de cette guerre
avec ce qui fe fit le jour de la bataille d’Altenheim ?
La vue-d’un péril auflî grand que celui où fe trou-
voit une feule ligne d’une armée dont l’arrière-
garde avoit été battue , ne produifit d’autre effet
•que celui d’animer les officiers & les foldats à s’en
tirer avec gloire , & à fuppléer par leur conduite
à l’incapacité des chefs. Aucune troupe n’a penfé
qu’à combattre & à s’oppofer aux grands efforts
d’un ennemi fupérieur & devenu audacieux par le
fuccès du commencement de l’aéHon, & n’a jamais
fait la moindre attention à ce qu’elle n’étoit pas
foutenue par une fécondé ligne.
On ne peut dire que l’armée du Roi ait remporté
la viâoire fur les ennemis à cette bataille,
pmfqu’effeéfivement elle ne les a point battus;
mais on peut aflùrer avec vérité que cette journée
eft une des plus glorieufes pour la nation ; puifque
la moitié feulement de l’armée françoife , fans
1 aide de fes généraux , a foutenu les efforts de
1 armée entière des ennemis, eft reftée maitreffe
vdu champ dq bataille 9 a dépouillé les morts des
A Art militaire, Tome 1,
ennemis ] a refté fur. le terrein où l’on avoit combattu
, & forcé l’ennemi à fe retrancher hors de
portée d’e l le , après avoir pendant une journée
entière fait touts fes efforts pour l’accabler.
Nota. II. me femble que les principes de M. de
Feuquières, fur ce qui conftitue une viétoire font
bien auftères, & que cette aélion d’Altenheim a
touts les caraâères qu’on attribue généralement à
la viéloire. C ’en eft une , d’après les idees communes
, li ce n’en eft pas une d’après les ftennes*
B A T A I L L E D E C A S S E L.
Le ig avril 1677 fe donna la bataille de Caffel,
que feu Monfieur gagna fur M. le prince d’Orange.
Après que le roi eut pris Valenciennes , fa ma-
jefté alla former le ftège de Cambrai, & en même
temps fit faire celui de Saint-Omer par Monfieur ,
qui avoit fous lui M. le maréchal' d’Humières.
M. le prince d’Orange n’ayant pu affembler affez
tôt une armée capable de fecourir Valenciennes,
& trouvant des difficultés infurmontables, dans
une faifon fi peu avancée, à porter fon armee juf-
qu’à Cambrai, tourna toute fon attention à la con-
fervation de Saint-Omer, ou à combattre Monfieur.
devant cette place.
Le roi, attentif aux mouvements de fes ennemis,'
& les voyant hors de portée de troubler fon ftège
de Cambrai, détacha de fon armée un corps de
troupes fous les ordres de M. le Maréchal de
Luxembourg, pour renforcer l’armée de Monfieur.
A l’arrivée de M. de Luxembourg, il fut réfolu
qu’on ne laifferoit devant Saint-Omer que la garde
de la tranchée & quelque peu de troupes pour la
fureté des quartiers , & qu’on marcheroit a l’ennemi
, qui s’étoit avancé en-deçà de Caffel, fitue
derrière le camp. 11 avoit fon front couvert d’un
petit ruifleau bordé de haies, & étoit en bataille
fur un terrein qui s’élevoit en s’éloignant du ruif-
feau, dont les-èords étoient gardés par une partie
de l’infanterie de fa première ligne.
Dans cette difpofition où l’on voyoit l ’ennemi,
l’armée du roi s’avança pour combattre d abord ce
qui défendoit le ruifleau. M. le maréchal d’Humières
qui çommandoit la droite de l’armee, engagea
un peu trop fon a ile , en faifant paffer une
partie de fa cavalerie fur un pont qu’il trouva devant
lui fur ce ruifleau, avant que le centre &
la gauche fe fuflent rendus maîtres des bords du
ruifleau fur le front de la ligne.
Ce mouvement hafardeux , qui féparoit la cavalerie
de la droite du refte de l’armée, ne réuflit
pas. Cette cavalerie fut chargée par toute la
gauche de la cavalerie de l’ennemi , & tomba
même fous le feu de l’infanterie ; de forte qu elle
fut obligée de repaffer le pont avec beaucoup de
défordre & une perte affez confidérable.
Mais , dès que ce défordre fut réparé & la
droite reformée en -d e ç à du pont, 1 effort pour
paffer le ruifleau devint général fur tout le front
de la ligne.
Q si