
peut faire de mieux eft d’attaquer le pays dont
la conquête conduife a une paix prochaine, ou
l'oit au moins très favorable pour l’ouverture de
la campagne fuivante. S’il s’en trouve un où il y ait
des divilions dont on puiffe tirer parti, on examine
s’il ne feroit pas plus avantageux d’y faire marcher
l ’armée, ou de l’attaquer en même temps que celui
pour lequel on a cru d’abord devoir le décider.
Mais il eft important, avant de rien entreprendre,
de s’affurer que les puiffances auxquelles on pourroit
caufer de la jaloulie, ne chercheront point à s’op-
pofer à la conquête qu’on médite de faire.
Lorfqu’au contraire la guerre eft défenftve, on
confidère quelles frontières il eft le plus important
de défendre. Comme en pareil cas on eft inférieur,
& qu’il eft bien difficile de conferver l'on pays
avec de petits moyens, on évite de partager les
forces : on les réunit autant qu’on le peut dans
les parties où l’on a le plus à craindre ; afin que,
s’il eft néeiflaire dè combattre, on le faffe avec
tout l’effort dont on eft capable. C ’eft ainfi que
quelquefois on fe détermine à abandonner une
certaine étendue de pays, & à la dévafter , pour
en garder une plus importante.
S’il eft question de fecourir un allié, fort en
vertu de quelque traité fait avec lui , foit pour
l’empêcher de tomber au pouvoir de quelque
puiflance formidable qui veut envahir fon p a y s ,
on ne doit point le faire avant de s’être fait fer
mettre quelques places de fweté, pour que le
prince attaqué ne puiffe faire fa paix fans votre
participation , & quelquefois pour être affurç
d’un paffage, s’il arrive qu’on foit forcé de fe
jetîrer.
Dans quelque Situation qu’on fe trouve par rapport
à la guerre , foit qu’on la commence ou qu’on
la continue , & de quelque efpèce qu’elle foit, il
Jie faut entreprendre une campagne qu’après beaucoup
de réflexions & de combinaifons. La prudence
demande qu’on prévoie & qu’on fuppofe tout ce
qui peut arriver, afin de n’être pas furpris par les
événements, de pouvoir en profiter s’ils font avantageux
; & , s’ils ne le font pas, d’être en état d’y
porter de prompts-remèdes.
11 eft néceffaire d’avoir une connoiffance bien
exaéle de fes forces, & de les comparer fcrupu-
leufement à celles de l’ennemi ; obfervant toutefois
que les forces d’une armée ne confiftent pas toujours
dans le plus ou le moins d’hommes dont elle
eft compofée, mais dans l’efpèce de ces hommes,
& fur-tout dans l’habileté & les talents du général
qu’on choifit pour la commander. On a encore
égard , en déterminant la force d’une armée ,
au plus ou au moins d’expérience des troupes auxquelles
eHe doit être oppofée , & au cara&ère de
leurs généraux. Il faut auffi confidérer la nature
du pays qu’on a deffein d’attaquer ou de défendre ,
& les facilités qu’on y trouvera pour opérer : ft
Veft un pays de plaine, ©n y employera une ca-
■ yakrie aombreufe j fi au. contraire, le pay? eft
coupé par des défilés , des montagnes, des bois
la principale force de l’armée doit confifter en infanterie.
Il ne faut confier le commandement en chef de
l’armée qu’à un feul ; parce que , comme l’obferve
Montécuculi / lorfque l’autorité eft égale , les fen-
timents font fouvent différents : d’ailleurs, l’entre-
prife étant regardée comme commune , & non
comme une chofe qui nous eft propre, nous ne
la pouffons pas avec tant de vigueur. Enfin , on
doit avoir pour maxime de faifir les occafions favorables
de prévenir les ennemis, &. de les attaquer
avant qu’ils ayent fini leurs préparatifs.
Une ou plufieurs diverfions, bien méditées &
préparées à l’avance , peuvent produire de très
grands effets. 11 faut effentiellement tout difpofer le
plus fecrètement qu’il eft poffible,& faire touj ours en
forte d’ouvrir la campagne par quelque coup d’éclat.
Mais, quelque l'oit l’objet qu’on fe propofe »
il eft prudent, même indifpenl'able, de fe concerter
avec fes alliés ; pour tjue , le plan général une fois
bien établi & arrêté , les fuccès en. foient plus ra-r
pides & mieux affurés. S’il faut un grand nombre
de mefures .pour régler les opérations d’une feule
armée, il faut beaucoup plus de prudence & de
combinaifon dans le choix de celles que doivent
faire plufieurs armées pour concourir à un même but.
III. Le plan particulier d’une campagne confifte
à établir les opérations de chaque armée, foie
qu’elles foient deftinées à agir de concert ou fé-
parément. Cet article eft du reffort des généraux
qui doivent commander. Ils communiquent ordinairement
par des mémoires leurs idées x leurs
vues leurs deffeins ; & ce n’eft qu’après qu’ils ont
été examinés & approuvés par le prince, & ont
reçu fes inftru&ions & fes ordres , qu’ils fe dif-
pofent à les mettre à exécution.
Pour bien régler le plan particulier d’une campagne
, il eft important de connaître avec toute
l’exaâitude poffible la fituation, l’état, & la nature
de la frontière &. du pays où Ton doit faire
la guerre.
Un général nommé pour agir ©ffenfivement, à
qui on demande préalablement le plan de la campagne
, commence par confidérer la frontière de
l ’ennemi. Si e’eft une ligne de places fortes, i&
indique celles qu’il eft le plus important d’attaquer
& en déduit les raifons : il expofe les différents
mouvements qu’il fera, pour prévenir l’ennemi
en campagne, & lui donner le change fur la place
qu’il devra attaquer ; la manière dont il fera l'in—
veftiffement de cette place :/il défigne les poftes
qu’il occupera , les endroits où il établira fes ma-
gafins : il développe la conduite qu’il tiendra pendant
le fiège ; foit qu’il ait une armée d’obferva-
tion , ou qu’il ne foit pas en état d’en avoir une *
pour s’oppofer aux diverfes tentatives que pourra
faire l'ennemi. En un mot, il n’oublie aucun des
moyens qu’il emploîra pour venir à bout de foi»
entreprife le plus promptement & le plus lùremenî
qu’il lui fera poffible : il fait voir en même temps
comment il affûtera fes convois & fes derrières ,
ainfi que la communication & la correfpondance
de fa propre frontière.
En fuppofant la fin de cette première opération,
il dit quelles font les places qu’il faut enfuite af-
fiéger : il obferve s’il ne feroit pas plus convenable
de les bloquer, & de chercher à combattre l’ennemi
, pour l’éloigner &. le mettre hors d’état de
pouvoir empêcher la prife de ces places : il le fuppofe
dans une pofition avantageufe , & il détaille
fa marche & les difpofitiofts qu’il fera faire à fon
armée, pour le joindre & l’attaquer avec fuccès.
Si l’ennemi eft obligé de fe retirer de quelque
façon que ce foit, il fait remarquer les plaines,
les défilés, les rivières qu’il aura à paffer dans fa
retraite, & comment il pourra le lùrprendre ou
l’attaquer en quelque endroit & le mettre en déroute.
Si la frontière de l’ennemi n’a que peu ou point
de places ; que ce foit une chaîne de montagnes,
dont les gorges foient retranchées , ou une grande
rivière dont les paffages foient gardés ; le général
fait voir les mouvements & les manoeuvres qu’il
emploîra pour divifer l’attention de- l’ennemi ,
partager fes forces, & tâcher de pénétrer ou de
paffer en quelque endroit, foit par furprife, foit
par un combat avantageux.
Enfin 3 de quelque nature que foit la frontière
& le pays qu’il eft chargé d’attaquer, il préfente
tout ce qu’il croit de mieux à faire pour s’en rendre
maître & s’y maintenir : il varie fes deffeins de
plufieurs manières ; afin que , quoi qu’il puiffe arriver
, il ne refte ni dans l’inaâion ni dans l’embarras.
Mais 9 comme il ne faut pas toujours compter
lur des fuccès ; en fuppofant qu’il ne réuffiffe
pas, il eft effentiel qu’il prévoie jcômment, dans
touts les cas fâcheux qui pourront lui arriver, il fe
tirera d’affaire.
, Celui qu’on choifit pour faire une campagne de
defenfive doit plus qu’aucun autre avoir une connoiffance
profonde de la frontière & du pays où
il eft deftiné à opérer. Il eft néceffaire qu’il ait vu
1 une & l’autre , &. qu’il les pofsède parfaitement,
pour bien méditer & bien établir le plan de fes
operations. Si la frontière qu’il aura à défendre
eft de la première efpèce , il examine quelle eft
la place qu’il faut couvrir de préférence aux autres.
Pour cet effet, il choifit une pofition d’où il puiffe
remplir fon objet. Il fuppofe enfuite que l’ennemi
parvienne à inveftir cette place. En démontrant
C?mi? ent '1 éteMùa fa circonvallation , de quel
coté il formera fon attaque , & les poftes qu’il occupera
pour couvrir fes opérations , il fait remarquer
1 endroit par lequel il pourra l’attaquer avec
le plus d’avantage pour fecourir les afliégés, &
de quelle manière il procédera à l’exécution de
ce deffein. S’il n’eft point affez en forces pour
rien tenter de femblable., il expofe la conduite
qu il obfervera pour harceler les affiégeants, enlever
leurs convois, les gêner pour leurs fuljfiftances,
leur couper leurs communications ; en un
mot touts les, efforts qu’il fera pour retarder , même
empêcher, s’il eft poffible, la prife de la place. S i ,
malgré tout ce qu’il fe propofe de faire, l’ennemi
vient à bout de fon entreprife , il dit comment il
fe poftera pour couvrir les autres places : s’il eft
contraint de les abandonner à leurs propres forces ,
en quel point il fe placera pour ne pas les perdre
de v u e , & pour les protéger : & , fi l’ennemi
prend le parti de les bloquer & de pénétrer dans
le pay s , quel eft ,1e pofte avantageux qu’il peut
occuper pour l’arrêter & l’obliger à rifquer l’évé-
n’ement d’un combat avant d’aller plus loin. Enfin ,
s’il eft forcé dans fa pofition, comment & ou il
fe retirera pour éviter quelque nouvel échec 3 & fe
mettre à portée de recevoir du fecours.
Si la frontière eft delà deuxième efpèce ; f i , comme
on l’a dit ci-devant, au lieu d’avoir une ligne de
places, elle eft barrée par une chaîne de montagnes ,
ou par quelque rivière confidérable, le général fait
voir les différents paffages qu’il eft le plus important
de garder ; il détaille les mouvements & les
difpofitions qu’il faudra qu’il faffe, pour prévenir
l’ennemi par-tout, rompre fes projets , & être tou?
jours en état de repouffer fes attaques. En fuppofant
tout ce que celui-ci pourra tenter, & en indiquant
les moyens qu’il emploîra pour arrêter fes
deffeins, il dit de quelle manière il cherchera à
l’attirer dans quelque lieu refferré, où il pourra
l’attaquer avec avantage, & fans lui donner le temps
de fe reconnoître. Il ajoute à cela tout ce qu’U
fera pour tirer le meilleur parti de fon armée,
& caufer à l’ennemi le plus de mal qu’il pourra.
Dans touts les cas qu’il fuppofe , il fait mention
des lieux d’où il tirera fes’ convois , & des précautions
qu’il prendra pour évacuer sûrement le pays
qu’il fera forcé d’abandonner.
Quelqu’abregé que foit l’expofé qu’on vient de
v oir , il fait affez fentir combien il faut de travail
& de temps pour fe mettre en état de former un
plan de campagne. Auffi n’appartient-il qu’aux généraux
du premier ordre de pouvoir régler à cet
égard quelque chofe de fixe & de sûr : c’eft le
fruit de la fcience militaire , d’une expérience con-
fommée & réfléchie. « Il ne faut pas toujours, dit
le commentateur de Polybe , {tome V 3 page 347, )
régler l’état de la guerre fur le nombre oc la qualité
des forces que l’on veut oppofer à l’ennemi, qui
fera peut-être plus fort. Il y a certains pays où
le plus foible peut paroître & agir contre le plus
fo r t, où la cavalerie eft de moindre fervice que
l’infanterie , qui fouvent fupplée à l’autre par fa
valeur. L’habileté d’un général eft toujours plus
avantageufe que la fupériorité du nombre , & les
avantages d’un pays. Un Turenne règle l’état de
la guerre fur la grandeur de fes connoiflances , de
fon courage , & de fa hardieffe. Un général qui ne
lui reffemble en rien, mal-habile, peu entreprenant
quelque fupérievsr qu’il foit , craint toujours , &
n’eft jamais 'affez fort.