
Ce fut aufli l’ambition qui augmenta le nombre des
troupes en France ôc.dans le relie de l’Europe ; mais
les circonftances étant différentes, ce changement
ne pouvoit pas avoir les mêmes fuites. La,France ,
diviiée d'abord en petits royaumes \ enfuite en
petites principautés Ôc l'eigneuries., prefque toutes
armées les unes contre les autres, ne fit prefque
jamais que de petites guerres. Environnée d’états
conftitués à-peu-près comme elle, lorfqu’elle y
porta la guerre, ce fut pour attaquer tantôt l’un
& tantôt l’autre avec de petites forces. Mais ,
lorfque la maifon d’Autriche s’étant élevée eut
alarmé par fon ambition la France ôc les puif-
fances/du Nord ; lorfque , pour s’oppofer à fes
progrès, Richelieu eut réuni dans les mains de
fon maître toutes les forces du royaume ; lorfque
l’Europe inquiétée par l’ambition de Louis XIV
le fut liguée contre lu i, on vit de part Ôc d’autre '
les armées s’accroître avec les vues ambitieufes.
Chez les Romains cette augmentation eut lieu à
la décadence de la république, c’eft - à - dire , au
paflage du meilleur au pire. En France ôc en
Allemagne ce fut au contraire, lorfque ces deux
états eurent acquis plus de grandeur, de force , ôc
de confiftance. Cette augmentation qui a fubfifté ,
ôc qui paroît aujourd’hui à-peu-près fixée, ne pouvoit
avoir de fuites fâcheufes. D’ailleurs, fi on con-
fidère plutôt le fond des chofes que leur extérieur,
elle a été & elle eft plus apparente que réelle. Il y
a peut-être eu fous Louis XIV 6c fous Louis XV
moins d’hommes en armes' qu’il n’y en a eu deux
ou trois fiècles avant eux ; mais leur nombre ,
difperfé fous de petits princes , frappoit moins les
yeux qu’étant réunis fous ces deux rois : ce font de
petits ruiffeaux, à peine remarqués, qui ont produit
de grands fleuves.
Les grandes piiiffances politiques ont toujours
eu 6c auront toujours un grand nombre de troupes
6c de. grandes armées : c’eft à la fageffe du prince
& de fes miniftres à le régler, de forte qu’il foit
fuffifantpour la défenfe du royaume, entretenue
avec toute l’économie poiïible , 6c fans préjudice
pour l’agriculture *ôc les autres arts utiles. ( Voyeç
T r o u p e s . ) Mais il faut toujours être à l’égalité
pour le nombre vis-à-vis des autres puiflances ; ôc
même le prince qui, par une prudente économie,
6c par d’habiles inftitutions , fçaura fe donner à cet
égard une fupériorité décidée, en y joignant ce
qài forme de bonnes troupes.6c d’habiles généraux,
f era le plus publiant, le plus refpeétable, 6c le plus
en. paix.
C O M P O S I T I O N .
Il n’y a point aujourd’hui d'armée qui ne fort
compofée d’infanterie 6c de cavalerie. Ces deux
armes font effentiellementnéceffaires l’une à l’autre,
par les raifons 6c pour les befoins qui feront détaillés
dans la fuite de cet ouvrage. Il n’y a eu
f a m é e s toutes d’infanterie que lorfque l’art de la
guerre étoit encore dans l’enfance : il n’y en a eu
toute de cavalerie que chez les nations oh il
n’étoit pas connu.
On joint à ces deux parties fondamentales
celles qui font néceflaires pour les conduire , les
protéger, 6c les faire fubfifter.
Un corps d’officiers généraux, nommé état-
major , eft chargé, fous le général en chef, de
l’adminiftration générale de Y armée, comprenant
l’ordre, la police, la d; ;ipline., la juftice, 6c autres
détails.
Un autre corps eft chargé du fervice des armes
pefantes ou machines pyro-baliftiques , fervant à
lèconder ôi protéger les troupes dans l’attaque 6c
la défenfe. Le corps du génie fournit des officiers
pour diriger la difpofidon 6c conftruélion des
retranchements , les travaux de l’attaque 6c la défenfe
des places.
Un autre corps eft chargé de la fourniture 6c du
tranfport des fubfxftances, un autre de la direction
des hôpitaux, ou les malades 6c les bleffés reçoivent
les foins dont ils ont befoin.
Cet ordre général, étendu à toutes les parties
d’une armée, n’eft bien connu que depuis le fiècle
.de LouisXIV’ ; les progrès de lart, l’établiftement
d’une difcipline plus févère , les campagnes Ôc
les guerres plus longues , ôc l’augmentation des
armées l’ont rendu néceflaire. Lorfqu’elles étoienr
peu nombreufes, un petit nombre d’officiers généraux
fuffifoit pour les conduire. Lorfque le pillage
fournifloit des vivres 6c de l’argent, qui, la
plupart du temps, tenoitlieu de folde , & qu’après
une ou deux campagnes, chacun revenoit à fes
foyers \ on n’avoit befoin ni de compagnie dés
vivres, ni d’hôpitaux : mais la difcipline en fouf-
froit ôc la guerre étoit plus funefte. Lorfque; la
plupart des places fe prenoient d’emblée, ou par
ftratagème , ôc que leurs murailles peu folides
étoient éboulées par de légères fappes , on ne
menoit point à fa fuite des trains formidables de
machines de guerre. D’autres temps , d’autres'
foins. On dit qu’autrefois on nommoit armée royale
p ar excellence , celle qui menoit deux ou trois
canons ; ôc que, fi le gouverneur d’une place ayoit
l’audace de fe défendre contre une pareille armée,
le général le faifoit pendre : femblable en ce point
à un tigre qui ne fuit que des fentiments de rage ,
ôc qui-ne déchire qu’avec plus de furie celui qui
l’irrite en fe défendant. Un gouverneur ne rece-
vroit aujourd’hui, en pareil-cas , que de plus grands
honneurs de la part de l’ennemi, auquel il auroit
eu le courage de réfifter plus long-temp?. .
E S P È C E S .
On donne à Xarmée différents noms, fuivant fa
combinaifon ôc fon o b je t .X J n e armée combinée eft
celle que forment les troupes de deux ou plufieurs
puiflances alliées. Les réflexions qu’on peut faire à
ce fujet, trouveront place dans les principes fur le
plan
vlan de guerre. On nomme armée d obfervation,
celle qui eft chargée d’obferver l’ennemi, tandis
qu’on attaque une de fes places, ôc de s’oppofer aux
efforts qu’il tenteroit pour la dégager. U armée de
jecours , eft celle qu’on envoie pour fecourir une
place afliégée. ( Voye^ P l a c e s . )
A RM EM E N T . Préparatifs d’hommes, machines
j ôc munitions de guerre.
• Un prince prudent ôc fage , c’eft-à-dire qui veut
maintenir la paix , fera toujours prêt à faire avec
célérité un puiffant armement. Alors fes ennemis
n’oferont pas armer eux - mêmes, de crainte qu’ils
n’attaquent fans avantage , ou qu’ils ne foient prévenus
ôc trouvés hors d’état de défenfe. Ce prince
aura évité la guerre , ôc la voie de conciliation
fera ouverte ôc plus facile. OJlenditè modo be llum ,
pacem habcbitis. ( L iv . L . V I . -C. 18. ).
On nomme aufli armement toutes les armes du
foldat prifes colleélivetfient, ôc ce qui fert à les
contenir ou à les porter, comme fourreaux de labres,
d’épée , de baïonette , ceinturon , bandoulière ,
fourniment, cartouche, giberne. ( Voyeç T e n u e . ).
ARME. C’eft un infiniment avec lequel on porte
des coups à fon adverfaire , ou l’on fe garantit des
fiensv
La plupart des étymologiftes rejettent l’opinion
qui dérivent le mot arma ab arcendo , parce qu’elles
écartent l’ennemi, Ôc s’accordent à dire que le
mot latin arma ou le mot françois armes font dérivés
du latin artni qui fignifie épaules , parce que
les épaules portent les armes ou en font couvertes :
c’eft ce qu’a dit Feftus Ôc après lui Ifldore ; arma
proprié diEta f u n t , eo quod arrnos tegunt. Mais,
outre que les latins nommoient armus l’épaule ôc
le bras pris enfemble, ôc qu’une épée , un poignard,
une flèche , ne couvre ni le bras ni l’épaule, ne
pourroit-on pas demander à ces étymologiftes , cur
non armi ob arma quibus teguntur ? Ifldore ajoute
qu’on peut aufli dériver le mot arma , Àasro tk A*feo ç,
du nom d 'A r è s ou dieu Mars : mais on peut aufli
dériver A r è s d’arma.
La langue celtique offre Une autre folution de ce
problème étymologique. Le même mot armum y
fignifie bras ôc arme : il exifte encore dans la
langue bretonne ôc dans la galloife. On aura pu
donner un nom commun àu bras ôc aux arm e s,
parce que les premières ont été lès bras. Je pourrois
pouffer plus loin cette recherche ; mais je craindrois
de fatiguer ceux qui peuvent l’apprécier à fa jufte
valeur.
L’homme eft l’animal que la nature a le moins
armé par le corps , ôc le plus armé par l’intelligence.
Les armes corporelles qu’il en a reçues ,
les premières , fes antiques armes, font les bras ,
les maijis, les ongles, les dents. La jeune fauvage
qui fut ' trouvée feule près de la forêt d’Orléans ne
connoijloit point d’autres armes. Il faut fans doute
tin accident des plus rares pour captiver à ce point
l’efpritjd’un homme , ôc le retenir dans l’état dé
brute. Dans celui de fociété, il fort promptement
\Art militaire* Tome I .
de cette condition malheureufe pour lui, parce
qu’elle eft contraire à fa nature. Son efprit s’exerce
par l’imitation : il prend l’eflor, il s’étend par la
communication des idées, Ôc l’homme qui, dans
cet état de dégradation , n’auroit pu employer que
fes bras à la conquête d’un vil aliment, parvient a
concevoir ôc à faire celle d’une partie de la terre.
D E S A R M E S D E M A I N .
A R M E S D* E S C R I M E.
Dans les premières fociétés le befoin d’aflommer
fa proie , celui de fe défendre contfe des animaux
malfaifants ou des hommes violents, ont fait inventer
les armes d’eferime. La plus Ample eft le
bâton, qui fert en même temps d’appui. On dit
que les pongos en font cet ufage : l’homme ôc le
Ange font imitateurs ; lequel a emprunté de l’autre ?
Si c’eft l’homme , il a été loin au-delà de fon modèle.
Si c’eft le Ange , il eft refté à fon premier degré »
faute fans doute d’un autre inftrument que luirefufa
la nature.
L’homme employa le bâton pour tuer les animaux
au gîte : car c’eft par eux qu’il a-commencé : il a
Fait couler leur fang avant celui de fon femblable ;
la chafle a été fa première guerre.
Les hommes les plus vigoureux prirent des troncs
d’arbuftes, afin de porter des coups plus fûrs. Cette
arme pefante ôc noueufelui fut néceflaire contre les
bêtes féroces, telles que les lions ôc les ours. Des
combats contre les animaux , elle a pafle dans ceux
que les hommes fe font livrés. Hercule ôc Théfée
l’employèrent contre les uns ôc Jes autres. On l’a
enfuite variée fous différentes formes. Dans fon
état naturel, nous l’appelions maflue} dans l’arti-
; ficiel nous l’appelions rnafle.
A l’imitation des longues épines ou des bois
brifés qui entrent dans la chair , ou des cornes animales
, on a pu imaginer d’aiguifer un bâton , ÔC
d’en faire l'arme perçante nommée épieu. Le couteau
deftiné d’abord à couper ôc façonner différentes
matières, a pu être employé aufli comme
arme perçante. On l’a enfuite rendu plus propre à
cet ufage en le changeant en poignard. L’inhumanité
, la cruauté, le deflr effréné de la vengeance ,
pour frapper des coups plus traîtres ÔC plus fûrs ,
a inventé le ftilet.
En allongeant le poignard on a Fait l’épée , que
l’on a varie fous un grand nombre de formes.
Enfuite pour éloigner de foi l’ennemi , ôc l’atteindre
de plus loin, on a placé une pointe au bout
d’un bâton ; ce qui a produit la pique, la lance ,
la javeline , la pertuifane , la hallebarde, ôc l’ef-
ponton.
Ces armes étoient propres à percer ou frapper
d’eftoc : il falloit en inventer pour couper , ou
frapper de taille. Le couteau, , propre à cet ufage ,
comme uftenfile , ne l’étoit point comme arme : il
n’ayçit ni affez de poids ni affez de longueur, Oh
" ’ ■ ’ P.