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fondera-’ qu’à guider ou à retenir Ton cheval-;
bientôt ils tomberont touts deux ; & par leur
chûte, ils éleveront devant moi une barrière
infurmontable pour le refte de l’efcadron. J’ai
donc. peu. à craindre, &. je puis attendre l’ennemi.
Au contraire, le fantaflin , couvert par une
arme qui n’a que 46 pouces de longueur ,& qui
eft grêle.& foible , eft effrayé à l’approche du
cavalier , qui peut le fabrer fans crainte d’être
atteint : il fe déconcerte, laiffe tomber ion arme,
prend, la fuite ', & trouve une mort, certaine.
Supposons qu’il tienne ferme , que fa baïonette
entre dans le poitrail du cheval fans plier ou
fans -caffer, l’animal, grièvement bleffé, tombe fur
le bataillon, le renverfe , ou du moins y met
le défordre; le bataillon défuni flotte, recule,
le difperfe , & fe met à la merci du cavalier.
Ce qui vient d’être dit, prouve affez le befoin
d’à longer les armes de notre, infanterie. Mais ,
pour mieux convaincre du vice de notre armement
aâ-uel,.montrons que touts les peuples, dont
l’exemple peut être de quelque poids pour des militaires,
ont armé leur infanterie avec dès piques,
des’lances , ou d’autres armes , plus longues que
le fufil avec la b alouette►
La fariffe macédonienne avoit dix-huit pieds,
neuf pouces , deux lignes de longueur. Les Spartiates
,. les Athéniens ,. touts lès autres peuples de
la Grèce , eurent des. piques longues d’environ
douze pieds. La hafte romaine quoiqu’empl'oyée
ordinairement comme arme de je t , pouvoit fërvir
quelquefois, contre la cavalerie. Marcelîus , ' ce
fameux proconfül', à qui Rome dût’ de fi grands
avantages y voyant qu’il lui était impoflible de défendre
Noie plus longtemps „ réfoïut de fortir dé
la place ; & ,. quoique très-inférieur en forces , &
fur-tout en cavalerie, il alla camper dans une petite
plaine, entre le camp ennemi & la ville. Annibal',
accoutumé , à voir les Romains fuir devant lu i, ne
pouvoit imaginer qu’une armée aufli foible ofât
l’attendre : il ne connoiffoit pas encore fe général
qu’il avoit à combattre , & les reffources du génie
de fon âdverfaire. Marcellüs avoit pris la précaution
d’armer fon infanterie des longues piques qui
étoient en ufage dans les combats fur mer , & il
avoit appris à fes foldats là manière de fe fervir,
avec avantage, de cette armé redoutable. Annibal.
fait donner le lignai du combat : fes Numides
croient marcher à une" vi&ôire allurée ;. ils. attaquent
avec leur impétuofité- ordinaire ; mais ,. ne
pouvant joindre Tennemi corps a corps , à caule
de l’avantage de fes armes , ils perdent Bientôt
courage , & prennent honteufement la fuite.
Les piques des Egyptiens étoient tr ès longues &
très fortes. Il en étoit de même dë celles des Afli-
riens, des Chaldéens, & deprefquë touts les peuples
orientaux. Les Germains'& lès Gaulois fe fervoient
aufli de piqués très longues & très fortes.
Les François n’eurent pas , il eft vrai , fous la
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première race de leurs rois, des armes aufli longue*
que celles dont nous-vénons de parler.. On vit cependant
la lance retaillée devenir l’arme du fan—
Yàflin ÔC celle du-gendarme , qui, pour combattre
avec plus d’avantage, mit.quelquefois pied à terre,
vers le milieu du quinzième fiècle , quand l’intan-
terie commença d’être comptée pour quelque
chofe.; & , lorfque les fuiffes nous eurent appris
que le feul‘ moyen de réfiftër aux efcadfons , 6c
de renverfer lès bataillons , étoit dë. donner des
armes de longueur à l’infanterie: , la pique fut
adoptée & regardée- comme la reine des armes,
jufqu’à l’an 1703 , époque où Louis XIV la fup-
prima. La réforme de. la pique , dans un temps-
où l’art de la gueræ avoit fait de fl grands-
progrès , eft une . forte préfomption contre cettte.
arme. Mais , comme cette réformé trouva pour
lors des contradiéieurs ; comme les raifons qui là
firent adopter , quoique bonnes enellès-mêmes , ne.
s’étendent pas à toutes les. circonftancès ; comme,
enfin , depuis cette époque , plufieurs mijitaires
diftingués , & plufieurs généraux célébrés ont.
trouvé notre arme de longueur trop courte nous,
devons examiner fi en effet elle a ce. défaut;
Le chevalier Fôlàrd a dit , -après Montécuculi,
que là pique eft pour l’infanterie lal-eine des armes';-
&. , malgré les défauts qu’il y reconnoît. dans- la.
longueur & dans le fer,.il conclut,( vol. V,p.-323-),
qu’on devroit la donner à notre infanterie. La
principale raifon qu’il allègue eft finfuffifancë de.
là baïonette aâuelle contre les efcadrons. bien réfo-
lüs,.& bien conduits..
Les défauts de la pique? ont cependant frappé',
le chevalier Folard. Pour la remplacer avec avantage
, il; propofe une pertuifanne. longue d’onze-
pieds, y compris-un fer. long de deux pieds,.&.
làrge de cinq pouces a fa partie la plus large. Touts
les militaires conviendront que cette arme de longueur
eft' préférable, à notre baïonette ; mais ils
verraient touts avec peine la diminution du feu ,
qui feroit dangereufe d'ans làjpiipart des. cifco'nf-
tances: ; & calculant de plus que le. fantaflin n’a
befoin d’être dépaffé que de fept pieds par fon
arme de longueur , ils pourront trouver celle du
chevalier Folard trop longue , défaut très grand
' dans cette efpèce d’àrme. Rien ne le prouve mieux
que l’aâion intrépide & raifonnée dû capitaine.
Fabian à la bataille de Ravenné..
L’auteur du projet d’un ordfe françois en tactique
eft aufli partifan des armes de longueur que
le chevalier Folard' : il1 prétend que la pique devroit
être inféparablë de l’infanterie : cependant il
ne propofe pas d’adopter celle qui étoit anciennement'en
ufage dans nos armées , mais là pertuifanne
du chevalier Folàrd reélifiée. 11 defire que
cette arme foit moins longue ; il demande qu’elle
ait un contre poids au talon , & que1 le fer foit
moins fort & moins pefant. Ces deux auteurs | il
eft y.rai ,, ne pro.pofent la: pique que pour l’ordre
profond , &. ce n’eft pas celui qui eft adopté ; mais
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■ plufieurs des militaires qui réprouvent cet ordre
n’en défirent pas moins des armes plus longues que
celles dont nous nous fervons. M. le maréchal de
Saxe , dont l’autorité eft d’un grand ppids , regrettait
la pique , & demandoit une arme de fept
pieds & demi,pour fon premier & pour fon fécond
rang, une de treize pour le troifième & le quatrième.
Perfuadés par ces raifonnements & ces autorités,
quelle arme devons-nous choifir ?
Emploirons-nous la pique , la pertuifanne , la
pertuifanne reéfifiée , ou la 'baïonette à manche ?
Quoiqu’en difentL les partifans de ces differentes
armes , elles ont toutes le grand inconvénient de
nous priver de notre arme de jet ,^üi nous eft toujours
néçeffaire , & quelques-unes joignent à ce dé-
iaut celui d’être d’une longueur démefurée. Pourquoi
en effet, une arme de longueur aurait-elle feize ,
treize , ou ^onz-e pièds , tandis que les foldats font
en fûreté quand ils font dépaflés de fept pieds ,
& qu’une longueur plus confidérable peut être
.funefte } Mais il s’en faut de beaucoup que notre
arme ait cette longueur. Pour nous procurer ce
qui nous'manque , abandonnérons-nous le fufil,
ê i prendrons-nous une arme à-hampe ? L’échange
ne feroit point heureux. Allongerons - nous nos
fufils , comme le propofe le maréchal de Saxe ? 1
Ce feroit jetter l’état dans une dépenfe immenfe ,
& furcharger le foldat d’une augmentation de poids
inutile. 11 ne nous refte que le parti d’allonger
notre baïonette ; mais il nous manque trois pieds
deux pouces : nous avons vu que nous n’étions dépaflés
que de trois pieds, tandis que nous avons
befoin de l’être de fept pieds. Il feroit ridicule de
propofèr que la baïonette remplit tout cet excédent :
il faut la faire plus longue ; mais il faut aufli trouver
une manière de fraifer le bataillon , qui nous
donne ce qui nous manquera, quand nous aurons
porté la baïonette à la longueur la plus convenable, i
Quand on commande de fraifer le bataillon, on
commence par faire un à droite : ce mouvement
ne peut être que nuifible, parce qu’il fait que le
foldat prête le liane , & ne .peut rien voir à fa
gauche. Le foldat place le pied droit en équerre
derrière le gauche , la boucle appuyant au talon.
Dans cette pofition , le fantaflin peut-il efpérer de
réfiftër à rîmpreflion de la cavalerie , lui que le
choc le moins violent peut renverfer , foit à caufe
du peu d’étendue de la bafe fur laquelle il porte ,
ou du mouvement involontaire , qui, le jettant en
arrière , lui fait perdre fa perpendiculaire, & par
conséquent la plus grande partie de fa force.
Le foldat abat fon arme avec la main droite dans
le pli du bras gauche ; la main droite empoigne
liarme auprès de la fous-^arde , & la gauche fe
place joignant la batterie. Dans cette pofition , le
• loldat perd de fon arme de longueur tout ce qui
fe trouve depuis la ligne extérieure de Ion bras
gauche jufqu’à l’extrémité de la croffe. Il lui eft
impoflible de fe fervir de fon feu , qu’il a pu ou
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dû ré fer v e r , & de préfenter la pointe de fon arme
à droite ou à gauche , plus haut ou plus bâs que
fon bras.
Enfin le dernier vice de la manière a&uelle
de fraifer le bataillon confifte en ce que le foldat "
ne peut voir ce qui fe paffe à fa gauche primitive,
& qu’il eft toujours inquiet fur ce qui arrive der- '
rière lui. M. le marquis de Breffé , dans fes réflexions
fur les préjugés militaires , dit , article
baïonette : « Je voudrais qu’on étudiât une manière *
moins ridicule de la préfenter à l’ennemi ; en vérité
3 fe fervir d’un fufil armé de fa baïonette., comme
on fe fert d’une queue de billard , ce n’eft pas la
manière la plus propre pourporter de grands coups,
ni la plus fûre d’arrêter un cheval qui heurte au
galop. Un payfan , un trident à la main , qu’un
loup attaquerait, ne fèrôit-il pas bien avifé , s’il
lui prélèntoitfon trident, comme nos foldats pré-'
fentent leur baïonette à l’ennemi ? Il y mettrait aflù- •
rémerit moins d’élégance, mais il tâch.eroit d’empoigner
fon trident bien ferme avec fes deux mains, •
en effaçant un peu le corps , & allongerait des
coups fi rudes , qu’un feul qui atteindrait fuffiroit
pour mettre à bas là bête ».
Si, au lieu de faire les mouvements dont nous --
venons âe parler , le foldat, effaçant un peu le
corps , portait le pied droit à douze pouces en
arrière, en fléchiflànt un peu le genou gauche ,
tenant la jambe gauche perpendiculaire , le genou,
droit tendu ou très peu plié, appuyant la crofle
contre la hanche droite , plaçant la main- gauche
à quatre doigts au-deflùs du petit reffort de batterie,
le canon en-deffus , la main droite à la poignée de ’
la cro'flé , le' premier doigt au-deflùs de la fous
garde , lés autres au deffous, il éviterait non-feulement
les inconvénients dont nous avons parlé
ci-deflùs, mais il jouirait encore des avantages
oppofés , 6c feroit en force pour frapper avec Ion
I arme.
Le bataillon, dans cette pofition , verroit l’ennemi
de quelque côté qu’il vînt.
Le foldat, portant le: pied droit en arrière , &
fléchiflànt un peu les genoux , acquèreroit plus de
fiabilité ; en allongeant les bras , pour frapper , il
fuppléeroit à la longueur qui lui manque : fes
mouvements étant libres , il pourrait diriger fon
fer & fa pointe, tantôt haut, tantôt bas , à droite
& à gauche, fuivant fes deflrs & fes befoins. Enfin
en fléchiflànt les genoux, & courbant un peu le
! haut du corps en avant , il rendroit plus facile le
fer du fécond &. troifième rang. Ce n’eft que par
ce feu , joint aux coups de baïonette portés avec
force , qu’il peut efpérer ici de repouffer l’ennemi.
Ce ne fera ni en préfentant Amplement Ton arme ,
ni par la réfiftance que trois rangs peuvent oppofer,
ni par lës feuls coups du premier qu’il atteindra fon
objet.
Quelques avantages qu’offre la manière de fraifer
le bataillon que nous venons de propofer ,.nous
ne prétendons-cependant pas que l'infanterie doive
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