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nos généraux & des officiers-majors de tranchée
foutient cette épreuve : mais quel poids & quelle
épaiffeur ! Le plus vigoureux oplite n’auroit pas
couru fous une telle armure. De quelque manière
que l’on examine ces armes anciennes, pourvu que
çe foit fans partialité , fans préjugés , fans, prévention
, fans efprit de fyftème , on conviendra facilement
qu’elles font inférieures aux nôtres à touts
égards, & que la raifon fe trouve en ceci comme
en toute autre choie , d’accord avec l’expérience ,
qui, depuis l’ufage de la poudre, les a fait abandonner
généralement.
Je fuis très éloigné de révoquer en doute les
témoignages des anciens auteurs dont *je viens de
parler : je les refpeéte & les «rois également ;
mais à l’égard de cet objet comme de tout autre,
iL eft plus fôr de s’en rapporter au fentiment des
nations , fondé fur une expérience de plufieurs
lié clés , qu’à celui des particuliers , dont l’opinion
eft le réfultat variable d’un grand nombre de
caufes & de circonftances. Les anciens ont toujours
eu trois ordres dans leur milice. Le premier, celui
qui faifoit la force de leurs armées étoit l’ordre
des oplites ou pefamment armés. Le fécond, celui
des peltaftes, armés à la légère, ou jaculateurs.
Le troifième & dernier , dont ils faifoient le moins
de cas , étoit celui des archers 8c des frondeurs ,
nommés pjîles. Ils les compofoient des foldats les
moins braves, & regardoient ces armes comme
inférieures à toutes les autres , & dignes feulement
d’être employées par des efclaves, oV a» tîw*pmxeî,
$*8AtxemtT.*, Xénophon , conformément à cette
opinion générale , dit que Cyrus interdit à fes
foldats Tare & la fronde , 8c ne leur permit que
l’exercice de l’épée & du bouclier, afin qu’ils fe
formafïent à combattre de près, ou fuffent obligés
de contenir qu’ils n’étoient d’aucun ufage à la
guerre,* ojuiëA£yWtW fixS'ttès <*’£/«£’«W vvfxfj.dyxtg.
( De exped. Cyr. tom. I l , pag. 42. D ). Ailleurs il
dit que Cyrus, ayant vaincu les Lydiens, donnoit
des armes pelantes à ceux qu’il vayo.it-.bien dif-
pofés à le fervir, & des frondes-à ceux qui ne
le fervoient qu’avec peine, « En certaines occasions
^ ajoute-t-il -, ljes frondeurs font très fecou-
rables ; mais touts les frondeurs d’une armée, s’ils
étoient feuls , ne fbutiendroient pas le corps d’o-
plites le moins nombreux. » (1b. L. VH. p. 188. D ).
Les peltaftes étoient-un corps plus eftimé ,
comme ayant des armes fiipérieures , c’;eft-à-dire
l ’épée 8c le bouclier léger. Les Arcadiens les
craignoient, parce qu’ils etoient plus accoutumés
à lancer des traits qu’à combattre de près. Mais
les oplites fpârti'ates au contraire faifoient peu de
cas dès peltaftes , & reprochoient à leurs alliés
cTèn avoir peur comme les enfants a voient peur des
ipeéires. ( Xenôph. fciJL Groec. L. IV. p. 524. D & S . ).
On peut inférer delà qu’ils méprifoient beaucoup
les pjîles, ordre inférieur de la milice.
’ Les Romains regardoient l’arc & la fronde ,
comme des armes indignes d’eux , 8c les laiffoient '
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à-leurs auxiliaires. Leurs grands généraux & leurs
troupes en faifoient peu de cas. Camille , en pré-
i fence des Volfques, difoit : « La viéloire eft à
nous, foldats ! Mettez les pilés à vos pieds, &
j n’armez vos mains que d’épées. Je ne veux pas
' même que l’armée s’ébranle, mais que vous attendiez.
de pied ferme l’attaque des ennemis. Dès
qu’ils auront , jetté ces vains traits j ( ubï illi varia
injeçerint mijjîlia ; ) 8c fe feront abandonnés fur vos
cohortes immobiles ; alors que vos épées brillent,
& penfez touts qu’il y a des dieux qui fecourent
les Romains ».
Je n’ai point parlé du javelot ni de la pique
dont on faifoit ufage comme arme de je t , parce
qu’il eft évident que l’un & l’autre étoient des
armes foibles, & avoient peu de portée. Quelque
robufte que fût la main qui les lançoit, dès qu’elles
donnoient à faux fur le bouclier ou la cuiraffe ; ce qui
devoit arriver fouvent ; leur coup étoit inutile. Le
vent devoit nuire beaucoup à la force de leur jet ,,
8c déranger facilement leur direétion de même que
celle des flèches. Quant à leur portée, elle étoit
courte : les foldats armés de javelots n’en avoient
qu’un très petit nombre, parce que l’ennemi les joi-
gnoit avant qu’ils puffent en lancer plufieurs. Il en
étoit ainfi des javelots de toute efpèce. On peut voir
a l’article a n g o n , que cette 'arme des Francs ne
pouvoit être jettée que de près. C’eft ce qui fit
imaginer le pile aux Romains. Ils Ternirent qu’une
arme de jet ne pouvoit être redoutable qu’en raifon
de fa maffe & de la proximité à laquelle elle
étoit lancée. Paffons à l’examen des grandes machines
des anciens.
Le chevalier Folard confond la balifte , machine
à lancer des pierres, avec la catapulte , machine à
lancer des traits. 11 ne détermine point la portée
de ces machines avef exactitude , & fe trompe en
croyant que celles qui font délignées dans les
anciens auteurs par l’épithète de tripalmaires , tri-
cubitales■ , dévoient cette dénomination à leur
grandeur. C ’étoit à la longueur des traits qu’elles
lançoient. Appien nous dit que les machines de
Scipion , lorfqu’il affiégea Utique , lançoient des
traits de trois coudées , Tçi'm'yn jSeÀ«. ( Bell, pun•
pag. 9 , C. ). Jufte Lipfe & le père Daniel ne s’y
- font pas trompés. Le paffage d’Athénée , cité par
Folard, peut donner une idée de la portée des
catapultes. Agéfiftrate , dit cet auteur, a écrit que
la catapulte jettant un trait de trois palmes», ( 2 p^
5 p. 6 , 5 1 .) , le portoit à trois ftades & demie;
( 350 t. 4 p. 6 p . ) ; & que celle qui en jettoit un
de quatre palmes le lancoit à quatre ftades.
(425 t. 1 p. 6 p .) . Cette portée étoit la parabo*
lique 8c non l’horifontale. Démétrius, au liège
de Rhodes, fit applanir le tèrrein à la diftance de
quatre ftades. ( ctr-tx-Sccia rot ' r$Vof
T^etpciç (L . XX.p. 780.B .). Cefiit donc à cette
diftance qu’il coâftruifit ’ fes machines ; & par
conféquent elles y étoient hors de la portée des
traits de tout genre. Ceci eft confirmé par Jo-
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fkphe. Cet hiftorien nous apprend qu’au fiége?de I
Jérufalem les pierres du poids de quarante - cinq
livres, lancées par les plus fortes machines des
Romains , alloient à deux ftades & plus , (189 t.),
& que leur coup étoit intolérable, non-feulement
à ceux qui le rece voient, mais à ceux qui étoient
derrière eux. (B e ll. jud. L. VI. C. 28. p. 921.
D. Colon. 1691. f ° . y
Il réfui te de ces faits que la portée de la catapulte
de but en blanc , n’alloit pas à plus de deux
ftades ou 212 toifés , que le jet parabolique ^des
plus fortes machines s’étendoit à-peu-près à même
diftance, 8c qu’à une diftance double ou quatre
ftades, on n’en avoit abfolument rien à craindre.
Notre canon porte le boulet à trois cents toifesde
but en blanc. Nos pièces de 12 portent les balles à
quatre cents toifes ; Celles de 8 à trois cents cinquante
tôifes ; celles de 4 à trois cents. Sous un angle
de trois degrés feulement, celles-ci portent à plus
de fix cents toifes, & fous celui de 45 , à quinze
cents vingt toifes. Sous le même angle la pièce
de 24 porte le boulet à 2250 toifes. Nos mortiers'
lancent les bombes fous toutes les direftions depuis
20 toifes jufqu’à 2500.
Les anciens auteurs vantent beaucoup la force
de leurs machines. Je crois qu’un trait fort gros ,
lancé d’affez près par une forte catapulte peut avoir
percé, comme le dit Procope, un homme couvert de
fa cuiraffe ,& l’avoir attaché à l’arbre auprès duquel
il étoit. Mais , lorfqu’ils nous racontent des chofes
contraires à la faine phyfique , non - feulement
il eft permis, niais la raifon ordonne de n’én
rien croire. Quand je lis dans Végèceque , la
balifte étant cônftrüite fuivant les règles de
la méchanique , & dirigée par des hommes
expérimentés qui en ont préliminairement effayé
la portée ; elle pénètre , diffout , brife tout ce
quelle frappe', ainfi que la foudre , ( L . IV. C. 22
& 2 9 .) , je ne vois dans tout eêla qu’une expref-
fion exagérée ; lia balifte lancoit des pierres , & la
pierre peut brifér , mais non pénétrer, percer,
pénétrer toutes chofes, fur-tôüt comme lia foudre.
Lorfque Jofèphe me raconte , ( Bell, jud. L. 111.
C. 20.pag. 845. R .) , qu’une pierre lancée par lés
Romains , frappa la tête d’un juif Sc jetta fon crâne
jufqu’à trois ftades, (283 t. 3 p .) , comme s’il eut
été lancé par une fronde , credat judrzus. Comment
un projeâile, qui, fuivant le mêmé auteur , n*a
reçu que le mouvement capable de le porter à
deux ftades, peut-il communiquer à un corps léger
comme le crâne # le mouvement fuffifant pour le
porter un tiers plus loin. Mais voici un autre miracle
: une femme enceinte ayant été frappée au
ventre , l’enfant fut lancé à un demi ftade. (47 t.)
Qu’un corps dur & élaftique reçoive d’un autre
corps de même efpèce, une portion dé mouvement
qui le porte à une certaine diftance ; cela
eft conforme aux loix méchaniques. Mais qu’un
corps , mou &. fluide pour ainfi dire , frappé de
haut en bas , foit lancé à quarante - fept toifes ;
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c’eft une abfurdité de la plus grande évidence. Il
peut avoir froiffé , coupé , déchiré , mais non pas
lancé. ' t \ r a
La vîteffe eft un des éléments de la force, ôc
je trouve dans le même àuteur que celle des
pierres lancées par la balifte ne doit pas avoir etc
fort grande, puifqu’on les voyoit & qu’on pouvoit
les éviter. (Ibid. L. VI. C. 2 8 .^ . 921.). D10-
doré dit auffi que les Rhodiens , ayant fait une
fortie pendant là nuit, pour effâyer de brûleries
machines des affiégeaiits, furent très incommodes
I par les ^traits qui en partoierit, parce qu ils ne
pouvoient les voir. (Lib. A A . pag. 783. A . j»
i Nos boulets ont une tout autre vîteffe. Lorlqueles
Romains, dit encore Jofèphe, eurent imagine de
les noircir, elles fiirént moins vifibles, & tuoient
fouvent plufieürs homtnes à la fois. Le canon tire
à bonne portée fait un bien plus grand ravage.
A la bataille de Ravenïié, un boulet lancé par
une coulevrine emporta trente - trois cavaliers*
(Hiß. de Bayard, pag. 332.). Je doute que les
machines du plus fublime mechanicien , d Archimède
, en un mot, atteigniffent au quart de cet
effet. Nops ne le ’voyô,ïîs pas du moins dans la
defeription que nous en ont laîffée Plutarque &
Polybe. Ce grand géomètre avoit fans doute ob-
fervé que les coups éfoiént d autant plus certains
qu’ils étoient tirés à ‘une diftance proportionnée a
la grandeur de la machine. Il en fit préparer pour
lancer des traits, non pas a quelque diflance que
ce fû t , comme le dit Folard , mais a toute portée
du trait. (Ttpo? *Vcu wt S'ia.çittia,.'). (Polyb*
L. V21I. C. 6. ). En petfeÖiöiiüant ainfi la jiiftefle
du tir , & la certitude des .coups , il étonna & déconcerta
les Romains 1 mais nous ne voyons point
que tout fon génie ôc tout fon art en ait augmente
la portée. S’il jetta des pierres du poids de dix
talents ou cinq cents quarante de nos livres, ce
fût fur les Sàmbuques , c’eft-à-dire de très près t
nos mortiers jettent à line lietie un poids de cin<|
cents livres. L’imagination du chevalier Folard, qui
aggrandit tout , change ici en quintal le talent
attique pefant quatre - vingt livres italiques , ou
environ cinquante-quatre de nos livres. (Mém. de
Vacad. des belles-lettres , tom. XXVIII. png. 607»)•
A-t-on vu , dit - il, des mortiers à bombes ; en a-
t-on jamais fondu qui. chaffaffent des maffes aufli
furprenantes ^jue les catapultes? Eh! oui ! on eit
a fondu. Lorlque l’art pyfoballiftiqüe a.commencé
d’ètre connu en Europe, on a fondu des bouches
à feu d une grandeur énorme. Froiffard parle d’une
bombarde qui avoit cinquante pieds dé lo n g , 8c
qu’tfw décliquer on entendoit dé dix lieues Un
hongrois nommé Urbain , fondit pour Méhéméd
une efpèce de mortier dans lequel on pouvoit
mettre une pierre de teile groffeur que l’on vouloit. '
Nos hifl;oi'res parlent de bombardes d’une grandeur
prodigieufe *. un feul coup d’une de cés machines,
rompit une arche du pont de L a gny , affiégé par
le duc de Bedfort en 1432. C e n’eft pas par im»
r» ;;