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chevalerie .* car c’étoit des degrés , entre beaucoup
d autres, par lelquels les écuyers montoient à ce
temple d’honneur , pour parler le langage figuré de-
ces temps-là : c’étoit le prix le plus infigne que l’on
put propofer dans les occafions importantes & péril-
leufes de la guerre , pour fedoubler le courage des
guerriers. Elle fe donnoit d’avance comme un caractère
qui imprimoit des fentiments élevés au-de£Fus de
l’humanité. Elle fe donnoit pareillement après les:
combats, comme une récompenfe capable de payer
les plus longs travaux & les aâions les plus éclatantes
, & d’acquitter en même-temps les plus grands
ferv’ic'és rendus au fouverain & à la patrie.
L’âge de vingt&un ans étoit celui auquel les jeunes
gens, après tant d’épreuves, pou voient être admis
à la chevalerie ; mais cette règle ne fut pas toujours
conftamment obfervée. La naiflartce donnoit à nos
princes d-u fang .& atouts les fouverairis -, des privilèges
qui marquoient leur fupériorité ,• & les autres
afpirants à la . chevalerie l ’obtenoient avant l’âge
prefcrit par les anciennes loix , lorfque leur mérite
les avoit rendus vieux & mûrs en cela , ainfi que
Brantôme s’exprime au fujet du vidame de Chartres
, qui reçut fort jeune Tordre du roi.
La chevalerie, fi Ton veut uniquement-la confi-
derer comme une cérémonie par laquelle les jeunes
gens deftinés à la profeffion militaire recevoient les
premières armes qu’ils dévoient porter, étoit connue
des le tèmps de Charlemagne. 11 donna folemnelle-
ment l’épée & tout l’équipement d’un homme de
guerre au prince Louis fon fils, qu’il avoit fait
venir d’Aquitaine. On trouvera même de fem-
blables exemples fous la première race de-nos rois,
& en des fiècles beaucoup plus reculés ; puifque
Tacite rapporte qu’un pareil ufage exiftoit chez
les Germains , ( &. peut - être chez les Francs qui
établirent dans la Gaule leur domination, leurs
coutumes , & leurs loix. ).
Mais, à regarder la chevalerie comme une dignité
qui donnoit le premier rang dans l’ordre militaire,
& qui fe conféroit par une efpèce d’inveC-
titure accompagnée dé certaines cérémonies & d’un
ferment folemnel ; il feroit difficile-de la faire remonter
au-delà de l’onzième fiècle.
Ce lut alors que le gouvernement françôis fôrtit
du cahos oh l’avoient plongé les troubles qui füi-
virent l’extinéfion de la fécondé race de nos rois. |
Déjà l’autorité royale commençoit à fe-faire ref- j
peérer : tout reprenoit une nouvelle face ; les loix
le formèrent; les communes & les bourgeoifies
furent ihftituées ; les fiefs acquirent une forme
& une difcipline plus régulière.
Le caraérèÉe d’inveftituic que plufieurs auteurs ,
dont j’emprunte les termes , ont reconnu dans les
formalités de la chevalerie, peut, ce me femble ,
nous faire eonjeêhirer qu’il faut en chercher l’origine
dans les fiefs même & dans t a politique des
fouverains & des hauts barons. Ils voulurent fans
doute refierrerles liens de la féodalité, en ajoutant
à la cérémonie de l’hommage celle de donner des
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armes aux jeunes vaflaux , dans les premières-
expéditions où ils dévoient les conduire. Peut-être
que , dans la fuite , en conférant de pareilles armes-
à d’autres perfonnes ; q u i, fans tenir d’eux aucuns
fiefs , -s’offroient à les fervir par affeâion-ou par le
feul defir de la gloire, ils employèrent cette ref-
fotirce pour s’acquérir de nouveaux guerriers, toujours
prêts à les fuivre en quelque temps, en quelque
occafion que ce fû t, & non pas comme les feuda-
taires , fous de certaines réferves ,-ni pour un temps
limité. Ceux-ci durent recevoir avec joie ces nouvelles
recrues de braves volontaires; qui, groffiffantr
leurs troupes , fortifioient leur parti. Gomme tout
; chevalier avoit le droit défaire des chevaliers , on
vit fans jaloufie le fuzerain ufer d’un pouvoir qu’on
partageoit avec lui. L’honneur d’avoir été aimés dans
! les fêtes fomptueufes & magnifiques , dont le fei-
gneur qui recevoit les chevaliers faifoit ordinairement
touts les frais ; les diftributions qui s’y fai-
foient de robes ou livrées, de fourures précieufes y
de riches étoffes, de manteaux magnifiques, d’armes,
de joyaux & de préfents de tonte efpèce , fans
compter l’or & l’argent qui fe répandoient avec
profufion ; enfin le defir de paroître dignes de cette
faveur fignalée furent pour ces nouveaux guerriers
des motifs plus puiflants que l’obligation de fervir
un fie f, & de remplir les devoirs qu’exigeoit la
qualité de feudataire.
Si quelques écrivains trouvent de la reffemblance
entre les formalités de la chevalerie & celles de
l ’inveftiture, prefque touts nos auteurs fe réunifient
pour y reconnoître des rapports fenfibles avec les
cérémonies employées par l’églife dans l’adminif-
trationdes facremenSi Les plus anciens panégÿriftes
de la chevalerie parlent de fes engagements comme
de ceux de Tordre monaftique , & même du facer-
doce : ils femblent vouloir la mettre au niveau de
j la prélaturè. On me difpenfera de les fuivre dans le
I .parallèle de la prêtrife ou de Fépifcopat avec la
] chevalerie. Je me contenterai de dire , pour leur
exeufe plutôt'que pour leur juftification , qu’emportés
par l’excès d’un zèle pieux,ils croyaient ne
pouvoir trop exalter un ordre auquel le maintien
de la foi chrétienne étoit confié ; un ordre dont la
première obligation confiffoii à fe défendre contre
; touts fes ennemis ; un ordre enfin qui devoit naturellement
procurer de très-grands avantages à la
religion , à l’état, & à la fociété. Mais, avant d’examiner
ces avantages , il eft à -propos défaire con-
! noître qu’elles étoient les cérémonies inftituées
pour la création d’un chevalier. -
Des jeûnes auftères, des nuits paffées en prières ,
. avec un prêtre & dés parrains , dans une églife,
ou dans une chapelle, les facrements de la péni-
; tence &. de l’euchariftie reçus avec dévotion, des
! bains qui figuroient la pureté héceffaire dans l’état
de la chevalerie, des habits blancs , pris à limitation
des néophites , comme le fymbole de cette
même pureté , un aveu fine ère de toutes les fautes
de fa vie , une attention férieufe à des fermons
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oh Ton expliquoit les principaux articles de la foi
& de la morale chrétienne , étoient les préliminaires
de la cérémonie par laquelle le novice alloit être
ceint de l’épée de chevalier. Après avoir rempli
touts ces devoirs, il entroit dans une églife, &
s’avançoit vers l’autel avec cette épée paffée en
écharpe à fon col ; il la préfentoit au prêtre célébrant
, qui.la bénifloit, comme l’on bénit encore
les drapeaux de nos régiments : le prêtre la remet-
toit enfuite au cou du novice. Celui-ci , dans
un habillement très fimple , alloit les mains
jointes fe mettre à genoux au pied de celui ou
de celle qui devoit l’armer. Cette fcène augufte
fe paffoit dans une églife ou dans une chapelle ,
& fouvent auffi dans -la falle , ou dans la cour
d’un palais ou d’un château , & même en pleine
campagne. Le feigneur à qui le novice préfentoit
l’épée lu! demandoit à quel deffein il defiroit entrer.
dans l’ordre, & fi fes voeux ne tendoierit qu’au
maintien &. à l’honneur de la religion & de la
chevalerie. Le novice faifoit les réponfes convenables
; & le feigneur , après, avoir reçu fon ferment
, confe.ntoit à lui accorder fa demande. Aufli-
to.t le novice- étoit revêtu, par un ou par plufieurs
chevaliers, quelquefois par des dames ou des de-
moifelies, de toutes les marques extérieures de la
chevalerie. On lui donnoit fucceffivement, & dans
le même ordre à-peu-près oh je le rapporte, les
éperons , en commençant par le gauche , le haubert
, ou la cotte dé maille, la cuirafle, les braf-
fards , & les gantelets ; puis on lui ceignoit l’épée.
Quand il avoit été ainfi adoubé,. ( c’eft le terme duquel
on fe fervoit):, il reftoit à genoux avec la
contenance la plus modefte. Alors le feigneur qui
devoit lui conférer .l’ordre fe levoit de fon fiègë,
& lui donnoit la colade ou la colée : c’étoit
ordinairement trois~coups du plat de fon épée nue
fur l’épaule, ou fur le cou de celui qu’il faifoit chevalier
; c’étoit quelquefois un coup de la paume
de la main fur la joue. On prétendoit l’avertir
de- toutes les peines qui l’attendoient , & qu’il
devoit fupportèr avec patience & fermeté , s’il
vouloit remplir dignement fon état'. En donnant
la colade, le feigneur prononçoit ces paroles ,
ou d’autres femfclables ; au nom de Dieu, de faint
Michel & de faint George , je te fais chevalier , auxquelles
on ajoutoit quelquefois ces mots : foÿe^
preux , hardi, & loyal. Il ne lui manquoit plus que
le heaume ou cafque, l’écu ou bouclier , & la
lance qu’on lui donnoit auffi-tôt : enfuite on ame-
noit un cheval, qu’il montoit fouvent fans s’aider
ne l’étrier, pour faire parade de fa nouvelle dignité
autant que de fon adreffe. Il caracoloit en
faifant brandir fa lance , & flamboyer fon épée ,
comme on parloit alors : peu après il fe montroit
dans le même équipement au milieu d’une place
publique.- r ;
^ Il etoit convenable que le peuple ne tardât point
a connoître celui qui par ce nouvel état devenoit
ion delenfeur, & pouvoit être fon juge : anciene
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ne ment l’adminifiration de la juffice appartenoit
aux chevaliers qui pofledoient des terres en fief. Le
chevalier , fuivant l’auteur du Jouvencel, étoit au
corps politique ce que font les bras au corps humain.
Les bras font, dit-il, placés au milieu , pour
être, également à portée,de défendre le chef ; ( c’eft
l’églife duquel il tire l’influence) ; & pour défendre
auffi les autres membres inférieurs qui leur donnent
leur nourriture'. 11 paroît que la création du chevalier
étoit en même temps célébrée par les acclamations
du peuple, qui s’empreffoit de marquetf
par des danfes faites autour de lui la joie qu’il
reffentoit d’avoir acquis un nouveau chevalier.
Plufieurs chevaliers, ayant été.,fouvent créés dans
une même promotion , fe feront peut-être réunis
pour caracoler en mefure , &. mêler ainfi leurs
danfes. à celles du peuple qui les environnoit :
ce fera l’origine des fêtes ou ballets à cheval dont
nous avons quelques exemples , & qui fe danfoient
encore à la cour au temps de'Brantôme & de
Baflbmpiere. Ces cérémonies , fouvent accompagnées
de prières & de formules qui fe trouvent
encore dans les anciens rituels , ont été fujeites à
beaucoup d’augmentations , de retranchements, &
de variations ; mais Tefprit en a toujours été le
même, & montre quelle idée on attachoit à l’inf-
titution d’un chevalier, quels moyens on employoit
pour lui faire fentir l’étendue & la fainteté de fes
engagements, qu’il ne pouvoit jamais violer fans fe
rendre criminel de parjure & de facrilège. On peut
préfumer allez de la piété de nos anciens chevaliers
, pour croire qu’ils renouvelloient tacitement
leurs voeux aux grandes fêtes, peut- être même
toutes les fois qu’ils entendoient la meffe , & que ,
fe tenant debout lorfqu’on lifoit ou que ion chan-
toit l’évangile, ils mettoient l’épée à la main , &
la tenoient la pointe en haut , pour marquer la
difpofition continuelle oh ils étoient de défendre
la foi. Ce pieux ufage, qui fubfifte encore parmi les
gentilshommes polonois, étoit obfervé dans les
cérémonies qui fuivoient le ferment de la cheva-
lerie.
Indépendamment de la défenfe de fa religion,
\ des rr.iniftres , & des temples, à laquelle s’enga-
| geoit le nouveau chevalier, les autres loix de la
chevalerie , renfermées dans le ferment de fa réception
, auroient pu être adoptées par les plus
fages légiflateurs & par les plus vertueux philofo-
phes de toutes les nations & de touts les fiècles.
En vertu de ces loix , les veuves, les orphelins ,
; & touts ceux que l’injuftice faifoit gémir dans l’op-
! preflïon, étoient en droit de réclamer la protection
d’un chevalier , & d’exiger pour leur défenfe ,
non feulement le fecoursde fon bras, mais encore
i le facrifice de fon fang & de fa vie ; fe fouftraire
j à cette obligation , c’étoit manquer à une dette
facrée ; e’é'.oit fe déshonorer pour le refte de fes
; jours. Les dames avoient encore un privilège plus
' particulier. Sans armes pour fe maintenir dans la
pofTeffion de leurs biens, dénuées des moyens de