
Espagnols à la b ataille de Franqueville. Prenez
garde néanmoins que ce pofte ioit fitué de maniéré
que les ennemis ne puiffent pas vous couper les
-vivres, l’eau, & les fourages.
Il peut arriver que les ennemis, faute de munitions
ou de voitures pour les tranfporter, ou pour
ne pas perdre l’avantage d’un bon pofte, ne le
mettent pas en diipofition de pouriuivre votre
armée, fur-tout fi elle leur dérobe une marche.
Après la b ataille de Franqueville, dont je viens
de parler, les Allemands , qui avoient eu quelques
défavantages, ayant, après quelques jours, dérobé
une marche, fe rendirent devant Meffine , & attaquèrent
cette place , fans que le^marquis de Leyde
pût s’avancer allez tôt pour s’y oppofer. Outre
qu’il n’avoit point allez de troupes pour rifquer de
fortir du pofte avantageux qu il occupoit, & de
combattre en plaine, il ne pouvoit pas faire tranfporter
fes vivres j au lieu que les Allemands fub-
fiftoient devant Mefline des vivres que leurs galères
&. leurs vaiffeaux leur apportoient de Ca-
labre.
Dans ce cas, & dans celui ou quelque place
des ennemis, de laquelle vous auriez occupé les
avenues, ne feroit pas facile a fecourir, quand
même ils feroient fupérieurs en force, tachez de
gagner une marche pour vous faifir des avenues
de cette place, • -
Si, après avoir été battu ou repoulie par 1 armee
ennemie j vous n’avez pas le train d artillerie ne-
ceflaire pour afliéger ou pour bloquer une place )
voyez ft vous ne pourriez pojnj en forprendre
quelqu’une, faire des ineuffions dans le pays enr
nemi , fecourir .une place afliegee, ou executer
quelqu’entreprife , qui prouve que vos troupes font
encore en état de fe faire, refléter par leur nombre
{ k par leur coulage,
D JE S P I S P O S I T I O N $
a p r è s l a v i c t o i r e »
P o u r fu ite . Dépouilles. Trophées,
Si, durant la nuit, vous voyez dans^le camp des
çnnemis plus ou moins de feux qu’à l’ordinaire, li
vous entendez plus ou moins de bruit ^ a leurs
patrouilles &. à leurs gardes avancées, c’eft une
preuve que l’armée ennemie fe retire, & qu’il faut
mettre en çampagnp des efpions & des partis,
pour obferverla marche qu’elle tient, pendant que
vous vous difpofez a la poiirfuivre,
Lorfque , dans un pays oh il n’y a pas lieu de ,
craindre quelqu’erabufc^de * le jour vous fait découvrir
que les ennemis font déjà très loin ; fi
vous avez beaucoup de cavalerie, détachez - la
pour les retarder dans le paffage des défilés , pendant
que le refte de voire armee les fuit en bon
ojdre. .
Suppofé que les ennemis ? dans leur retraite ,
ayent des défilés à paffer ; que votre cavalerie
porte en croupe de l’infanterie, pour la 1 ailler dans
un défilé à peu de diftance, afin que, s ils font
volte face pour charger cette cavalerie, elle puiffe
fe retirer vers fon infanterie , & en^tre foutenue.
Cette infanterie doit fe tenir cachée ,J afin que les
ennemis, qui n’auront pu la découvrir de loin,
1 chargent votre cavalerie, fans toutes les précautions
relatives à l’efpèce, au nombre des troupes ,
& au danger de trop s’avancer. .
Cette infanterie, portée en croupe, fervira aufli
à déloger quelque détachement de dragons, qui
pourroit être à l’arrière - garde, & tenir ferme | a
l’entrée d’un défilé, pendant que le refte de l’armee
ennemie continueroit fa retraite.
Si les ennemis, fe voyant près d’être joints,
s’arrêtent dans quelque pofte fort par fa nature ,
mais peu commode pour les convois, le fourage,
l’eau , & le bois j il eft à préfumer que la première
ou la fécondé nuit ils continueront fecrètement
leur marche , & même de jour , s’ils ont derrière
eux des ra-vins ou, des vallons qui cachent
leur mouvement. Dans ce cas, vos fourageurs ne
doivent ni s’étendre au loin, ni aller en fi grand
nombre qu’ils puiffent vous manquer pour la
pourfuite. Pendant la nuit, yotre cavalerie doit
tenir fes chevaux foliés, Les efpions que vous
avpz, foit dans l’armée ennemie, foit dans les villages
& les maifons de campagne qui font derrière
eux, doivent redoubler leur vigilance , comme
aufli vos partis de cavalerie &L de troupes^ légères,
qu’il eft nécçffaire de détacher vers 1 arrieie*
garde & fur les flancs de l’armée ennemie, afin
d’obferver fi elle fe met en mouvçtq®n?> fur
quel point elle fe dirige. Pendant le jour, plapez
fur les montagnes des fentinelles qui découvrent
les vallons & les ravins, & ne vous laiffez pas
tromper par la vue des tente? & des batteries: les
ennemis, pour mieux dérober leur marche, en
feront même paroître un plus grand nombre vers
Je front, .tandis que leur infanterie fe retire' par*
derrière ou par les côtés.
Si les ennemi?, à l’approche de votre avant-
garde , qui eft près de les joindre, font paroître un
grand front de cavalerie &. un rang de tentes ;
s’ils allument des feux à leur arrrière-garde, 6L
s’ils font tirer leur artillerie ; il y a lieu de fouo-
çonner que le refte de leurs troupes continue fa
retraite, & que tout cet appareil n’eft fa-t que pour
! obliger votre avant-garde d’attendre les troupes
qui ”la fiiiyènt. Il faut détacher & étendre des
partis pour découvrir ce qui fe paffe derrière les
corps ennemis ; s’ils n’ont en effet qu une ligne de
troupes, chargez-les avec vos régiments les plus
avancés, for-tout lorfque le refte de votre armee
peut joindre celfos de vos troupes qui chargent,
ayant que le gros des-ennemis puiffe arriver au
fecours de celles que vous attaquez. .
Quant à cette première cavalerie que vous de-
tachez à la pourfuite, il faut chpifir pelle ..dune
1 ■ ! ^ nation
mtioti qui, par la légèreté de fes chevaux, ou par
fon génie & fa manière de combattre, eft plus
propre à charger à la débandade. Dans cette occa-
jion,où il eft moins néceffaire de garder 1 ordre,
cette cavalerie atteindra plutôt les fuyards, & fe
retirera plus facilement fi elle eft repouffée. D ailleurs
, comme elle marche divifée en plufieurs
troupes, elle pourra, en moins de temps, faire un
plus grand nombre de prifonniers^ parce que la
plupart des fuyards fe débandent &. courent fans
ordre.
Les Hongrois ne font pas aufli propres a com-
battre en ligne que les autres troupes de 1 Europe
; mais il n’y en a pas de meilleures çour
fuivre l’ennemi dans fa retraite, vu la legèrete de
leurs chevaux, & l’habitude qu’ils ont de lefcarmouche.
Telle étoit la cavalerie numide. Afdrubal
réuflit complètement, en la détachant fur les Romains
battus à Cannes. Annibal l’employa pour
harceler Publius Cornélius dans la retraite qu il fit
depuis Crémone jufqu’à la Trébie : elle etoit accoutumée
, dit Polybe , à f u i r , à f e difperfer * & a
revenir à la charge avec v ig u e u r , lo r fju on s y attend
a it le moins.] , •
En détachant fur les fuyards la troupe la plus
exercée à combattre à la débandade , vous avez
l’avantage de conferver au gros de votre armee les
corps les plus propres à combattre en ligne fup-
pofé que l’armée ennemie fe rallie, ou que 1 eve;-
nement du combat ne foit pas entièrement décidé.
Après la b a ta ille , débarraflez-vous de tout ce
qui pourroit vous retarder dans la pourfuite ; fi
vous avez votre bagage , faites-le marcher fous
Tefcorte de vos troupes les plus fatiguées , pour
le mettre en fureté dans une de vos places, fur
une montagne d’un abord difficile, ou derrière
une rivière dont vous avez les ponts : envoyez
, avec le bagage toute l’artillerie dont vous pouvez
vous paffer, les foldats & les chevaux eftropies ,
bleffés, ou malades. Si le chemin par lequel les •
ennemis font retraite permet d’y conduire de 1 artillerie
, réfervez quelques petites pièces qui pourront
fuivre la marche des troupes.
Lorfque Vercingentorix eut été défait dans un
combat près d’Àlexie, Caefar envoya fon bagage
fur une montagne avec deux légions pour le garder.
Délivré de cet embarras, il fuivit les troupes
qu’il avoit défaites, & joignit fon arrière-garde,
malgré la grande avance qu’elle avoit déjà dans
fa retraite.
Il fe peut que les ennemis ayent plufieurs jours
de marche depuis l’endroit où ils ont ete battus
jufqu’au pays où ils doivent fe retirer , & qu ils
ne puiffent tenir qu’une feule route , parce qu’en
fuivant un autre chemin ils ne trouveroient ni
vivres , ni eau , ni fourrages. En ce cas , des que
vous'aurez battu les ennemis , envoyez des ordres
à touts les lieux voifins du chemin par lequel les
troupes ennemies peuvent faire leur retraite,
pour que ceux qui ne font pas allez forts pour en
A r t militaire. Tome /,
B A T 2 8 9
défendre l'entrée à l’ennemi faffe-nt conduire dans
les places voifines, ou à la diftance d’un certain
nombre de lieues, touts les beftiaux, vivres, 6C
voitures, & qu’ils brûlent ou détruifent de quelque
autre manière les huiles, les vins,_ le!?grains , la
farine , les légumes , & les autres vivres, que les
propriétaires ne pourroient pas mettre en iuret .
P-refcrivez pour cette opération un nombre fixe
de jours , d’après le calcul du temps neceflaire aux
ennemis pour arriver à cés lieux , & aux ha 1-
tants pour enlever ces denrées & emmener les
voitures. f
Ces précautions étant prifes, les habitants ie
retireront avec leurs femmes & leurs enfants, en
des lieux où ils foient à l’abri de la ^ rigueur e
l’ennemi. Afin que vos ordres à cet egard foient
exécutés ponctuellement, promettez de leur donner
la fubfiftance dans les places & autres lieux
où ils fe retireront ; de rebâtir celles de leurs maifons
que l’ennemi aura ruinées, de payer les
vivres qu’ils auront détruits, le tranfport de ceux
qu’on éloignera pour les conferver, & de vous
employer auprès du fouverain pour faire accorder
aux communautés des privilèges & de grandes
exemptions. En même temps vous les menacerez
de brûler leurs habitations , de les dépouiller de
leurs biens , & de les punir comme défobeiüants
& mal intentionnés , s’ils n’exécutent pas tout ce
que vous ordonnerez. Vous les obligerez encore
par lès mêmes ordres à rompre les moulins, détruire
les puits, combler les fontaines, mettre a
fec les rélervoirs, brûler les fourrages qu’ils ne
peuvent pas emmener, & mettre le feu aux luoil-
fons, lorfque la faifon avancée rendra la chofe facile.
Les Suiffes, défaits par Cæfar près d’Autun,
fe retiroient par le pays de Langres, au nombre
de plus de cent mille hommes. Cæfar , jugeant
qu’il étoit impoffible à une fi grande multitude
de vivre fans le fecours des habitants du pays,
leur défendit, fous peine d’être traités comme
ennemis , de donner aucune fubfiftance aux b urnes,
qui, réduits à une extrême néceffité, furent contraints
de fe foumettre. .
On penfera peut-être qu’en rendant amii la
retraite difficile aux ennemis, il devient impoffible
à votre armée de les pourfuivre , puifquelle
marche après eux dans le même pays. Mais j’ai
déjà propofé un moyen très facile pour que 1 armée'
vi&orieufe fubfifte un ou deux jours, fans
avoir befoin des fecours du pays. Suppofons
: cependant que, faute de voitures, ou même de
: vivres, vous n’avez fait aucune des provifions
dont j’ai parlé ; ne fe peut-il pas qu’il y ait, au
voifinage du chemin que fuivent les ennemis,
quelques-unes de vos places , d’où l’on pourra
tranfporter des vivres à votre armée? Et quand
je dis qu’il faut détruire les eaux & les fourrages,
1 dont la quantité néceffaire pour toute une armée I n’eft pas facile à tranfporter , c’eft dans la fup-
1 pofition que votre armée, à la faveur des ponts