
fon-arrière - garde fût entièrement entrée dans le
défilé de Friediinghen , la gauche de la cavalerie ,
fe trouvant ainfi protégée par l’infanterie de l’armée
, & la droite par la redoute, il auroit été im-
poflible à la cavalerie de l ’armée du roi d’entrer en
.aéîrion contre celle de l’ennemi.
Si même l’infanterie ennemie , au lieu de prendre
fa marche par les hauteurs pour fa commodité,
.avoit décampé avant le jour , & pris fa marche par
le pied de la montagne, à la gauche du défilé de
Friediinghen, il eft certain que l’infanterie de
l’armée du roi n’auroit pas eu allez de temps pour
;la joindre , & qu’ainfi toute cette armée fe feroi.t
paifiblement retirée.
Ainfi la préfomption de l’ennemi, par le mouvement
en avant que fit fa cavalerie , fa négligence
dans les précautions à prendre pour décamper
avec fureté 3 furent les caufes de fa perte.
B A T A I L L E D E S P I R E .
La bataille de Spire donnée le 15 novembre
*703^ & gagnée par M. de Tallard, eft d’une
.efpèce fi particulière qu’elle mérite d’être examinée
avec foin, afin de faire connoître que la conduite
*ju’on y a tenue ne doit jamais fervir d’exemple.
L’armée du ro i, commandée par M. le maréchal
,de Tallard, avoit formé le fiège de Landau , & la
place commençoit à être preliee ; lorfque l’armée
.ennemie, ayant pafle le Rhin à Spire, au-deflous
de cette v ille , marcha en avant pour combattre
M. de Tallard. Notre général , ne voulant pas
attendre l’ennemi dans fes lignes, en quoi il agif-
foit prudemment, ne laiffant devant la place que
Ja garde de la tranchée, & marcha au-devant de
l ’armée ennemie : il la trouva achevant de palier la
branche du Spirebach la plus proche de lui, & déjà
prefqu en bataille.
La raifon auroit voulu que M. de T allard eût fai t
deux chofes, avant de marcher à Fennemi pour le
.combattre : la premièreque , comme depuis fes
lignes jufqu’à ce qu’il fût en vue de l’ennemi, fon
.armée avoit marché en colonne , il commençât par
fe former & fe mettre en bataille; la fécondé,
,qu’en fe mettant en bataille , il ne prit pas fon ter-
rein en s’avançant fur l'ennemi, afin de donner le
temps à M. de Précontal d’arriver, avec un corps
confid.érable qu’il conduifoit, & qui venoit de plus
loin que le refte de l’armée du fiège.
Mais ces deux préalables furent également négligés
par M. de T allard. Il fit charger en colonne une
.armée qui étoit en bataille; ce qui rendit dans le commencement
de l’aâion le combat fi défavantageux ,
que M. de Tallard crut fon armée battue'fans ref-
fource. Mais l’ennemi, peu capable de profiter de
cette faute & de notre défordre, ayant négligé de
faire avancer fa gauche fur le terrein que nous
aurions dû occuper par le front de notre droite , fi
nous avions été en bataille, notre infanterie de la
gauche, toujours en colonne, rechargea avec tant
de vigueur ce qui étoit devant e lle , qu’elle ouvrit
l’infanterie ennemie. Cette charge ayant fait reculer
le front de l’ennemi,notre infanterie fe forma
un front plus étendu, & fe trouva par fon feu en état
de faire perdre, du terrein à la cavalerie ennemie
de la gauche.
Ce petit avantage donna à notre cavalerie de la -
droite le moyen de fe former à hauteur de notre
infanterie : alors ce petit front, ayant chargé avec
fuccès, mit dans toute la gauche de l’ennemi un
tel défordre qu’elle fe rejetta en confufion fur la
droite, où elle porta aufli la confufion, parce que ,
dans ce même temps, notre gauche un peu formée
commençoit à faire un front fur la ligne. En-
fuite la cavalerie ennemie, preffée par la nôtre ,
abandonna fon infanterie qui fut prefque toute détruite.
Cet exemple d’un fuccès heureux avec une mau-
vaife difpofitiôn ne doit jamais être fuivi ; & le
général qui eft tombé dans une faute aufli grof-
fière n’en doit pas moins être blâmé , quoiqu’il ait
été favorifé de la fortune, parce qu’il ne doit
point tenir fon bonheur d’elle feule, mais d’une
bonne difpofition, qui doit toujours être la caufe de
la réuflite dans les aéfion-s de guerre.
La foiblefle de. la vue de M. de Tallard le mit
dans la trifte néceflité de voir par les yeux d’autrui,
& lu i procura le gain de cette bataille par une
méprife qui devoit la lui faire perdre. Cette cir-
conftance eft allez remarquable pour n’être point
oubliée.
Notre général, fe confiant à la bonté de la vue
de M. de Waillac & à fon difcernement, l’avoit
chargé de lui apprendre la difpofition & les mouvements
de Fennemi. Cet officier prit un mpuve-
ment que la cavalerie de la gauche des ennemis
faifoit pour s’étendre & déborder notre front droit,
pour.un mouvement de crainte, &. propofa à M. de
Tallard de faire charger dans ce moment notre
droite , quoiqu’elle ne fût point encore en bataille.
No'tre bonheur voulut que cette charge ouvrit le
front de Fennemi, comme je Fai d it, & que cette
aile gauche , au lieu de fe reployer fur notre droite
& de là charger en flanc, fe reploya fur fon
centre & fur fa droite , où elle porta le défordre.
Notre gauche fit aufli une grande faute. Elle
étoit conduite par M. de Précontal ; & , en s’avançant
pour charger la droite de Fennemi, elle ne
s’étendit point jufqu'au Spirebach ; de forte qu’en
allant à la charge, elle eut à eflùyer le feu de
quelques bataillons, dont le flanc droit de Fennemi
étoit couvert, & qui gardoient ce ruifleau. Elle en
fut fi déconcertée qu’elle fut obligée de rétrograder
pour fe rétablir.
Les événements qui ont fuivi cette heureufe
journée ne juftifient que trop la néceflité de n’employer
à la guerre que des généraux capables de
prendre une bonne difpofition dans les aérions
qu’ils veulent engager : ce qui, malheureufement
pour les affaires du ro i, ne s’eft point trouvé depuis
ce temps-là.
B A T A I L L E D ’H O C H S T E T .
La bataille d’Hochftet fut donnée le 13 août
1704.
Cette époque funefte à l’état a eu des fuites fi
fâcheufes que je crois devoir rappeller ce qui a
précédé cette fatale journée, avant de palier à ce
qui arriva le jour de la bataille ; pour faire mieux
fentir les. conféquences d’une bonne difpofition ,
& la néceflité d’amener les événements avec fa-
gelle & réflexion, afin de les rendre aufli heureux ,
que la prudence humaine peut le prévoir par les
conféquences d’une conduite judicieufe.
Je crois néceflaire pour l’intelligence de mes
réflexions de dire un mot de l’état où étoient les
affaires du roi en Allemagne avant cette bataille.
M. l’éleéteur de Bavière étoit dans les intérêts
des deux couronnes , & foutenoit la guerre dans fes
états &. dans le centre de l’Allemagne contre l’empereur
& l’empire, qui la lui avoit déclarée , par
la feule raifon qu’il n’avoit pas voulu entrer dans-
la ligue contre les couronnes de France & d’Ef-
pagne.
Comme ce prince auroit été^trop aifément accablé
., s’il eût été abandonné à fes forces , le roi
lui avoit envoyé vingt mille hommes, fous le
commandement de M. de Villars*
Pendant que ce général a été en Bavière , la
guerre s’y eft faite avec des'fuccès tout au moins
égaux, & l’on peut dire même avantageux en
plufieùrs occafions. Mais le malheur de la France
ayant voulu que la méfintelligence fe mît entre
M. l’éleéteur ôtM . de Villars, ce prince demanda
fon rappel avec tant de chaleur que le roi crut
lui devoir cette complaifance. M. le maréchal de
Villars fut donc rappellé, & eut pour fucçefleur
M. le comté de Marfin , que le roi fit maréchal de
France , quoiqu’il ne. fût que des derniers lieutenants
-généraux , & qu’il n’eût jamais.été chargé à
la guerre d’un commandement de cinq cents chevaux.
Cela étant, arrivé vers la.fin de la campagne, de
1703 , ce changement, ne fe fit-point fentir da-
bord. Mais l’année fuivante , l’empereur & fes-
alliés ayant, réfolu de. faire un grand Effort pour
accabler féleâeur de Bavière , ils raffemblèrent-
toutes les forces de l’empire fous le commandement,
de M. le prince Eugène-, &- la plus grande
partie de celle des Anglois & des Hollandois fous
les ordres.de M. le duc de Marlborough pour venir
attaquer Féleâeur dans fes états.
Le ro i, voyant ce grand orage prêt à fondre fur
fon allié , lui envoya une. nouvelle armée de
tre:nte-cinq mille hommes., fous le commandement
de M. de Tallard , de forte que de part & d’autre
les..«rmées fe~trouvèrent prelque d’égale-force >_&.
nombreufes chacune d’environ quatre vingt mille
hommes.
Comme je ne difcute ici que la matière des
batailles, je ne parlerai des fautes qui ont été faites
avant celle d’Hochftet, & de celles qui Font fuivie,
qu’autant qu’il fera néceflaire pour rendre intelligible
tout ce qui s’eft fait dans cette journée, & a
pu contribuer à la rendre malheureufe.
Quelques jours avant la bataille d’Hochftet ,
Fennemi avoit forcé le camp retranché de Scha-
lemberg , fous Donawert, & avoit enfuite pris
cette place , où il avoit un pont fur le Danube;
Les places- fituées fur cette r ivièretant au-
deflùs qu’au-deffous de Donawert, étoient occupées
par l’é leâeur, dont toutes les forces, jointes-
à celles du roi commandées par les maréchaux
de Tallard & de Marfin, étoient enfemble auprès-
de Dilinghen,"à la réferve des garnifons des places*
& d’un corps d’infanterie retranché fous Ausbourg.-
Voilà quel étoit l’état des affaires. Dans cette-'
fituation, Fennemi, quoique maître d’un pont- fur
le Danube , ne pouvoit s’établir dans l’éleâorat:
de Bavière ; parce qu’il n’auroit pu y fubfifter
long-temps fan* pénétrer plus en avant dans*
lé pays , & par conféquent s’éloigner de fon-
pont & de fes vivres, qu’il ne pouvoit tirer que-
de Nuremberg ou de Nortlinghen, où étoient fes*
farines*
Les convois qu'il aurait1 pu tirer de Nurernbefv;
auroient eu 'd e grandes difficultés pour arrive?'
jufqu a Donawert , parce qu’ils- pouvoient conti nuellement
être enlevés par les troupes qui étoient;
dans le haut Palatinat, & dans les places • du Da--
nübe. au-deffus de Donawert.
Ceux qu’il auroit pu tirer de Nortlinghen étôient*
encote plus difficiles à conferver ; parce q ue,,
dès que l’armée ennemie auroit palTé le Danube ,
il auroit .été bien aifé de détruire les magafins-
dans une ville fans fortifications.
IL falloit donc que les-farines qui étoient dans-
Nortlinghen fuffent protégées par l’armée même,,
fans quoi elles couroient rifque d’être enlevées..
Ainfi les convois de Nortlinghen étoient plus--
difficiles à conduire que ceux.de Nuremberg;;
parce qu’il falloit conferver les farines dans- cette-'
vdle , d’où elles pouvoient être- facilement enle--
vées , & en tirer le pain par des convois qui ne-’
fe pouvoient faire que très difficilement.
Il eft aifé de conclure que nos généraux n'ont;
eu aucune bonne raifon de chercher à combattre "
un ennemi qui bientôt auroit été forcé d’abandonner
les bords du Danube, parce qu’il n’auroit
pu y vivre , & qu’il étoit bien plus prudent de
l'obliger à fe retirer jufqu’à Nuremberg ou juf-
qu’amMein, en lui rendant fes convois difficiles
m,enle impoffibles tant qu’ils fe feroient opiniâtrés,
à demeurer près du Danube.-
Il étoit donc imprudent de chercher une déci-
fion'par une affaire générale, dans une conjoncture,
où il ne-falloit-que de- la patience pour