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vos compatriotes , vos amis, vos parents , vos
frères : Vous êtes un mônftre indigne de vivre:
vous méritez la haine & l’exécration du genre humain.
Votre baffeffe ou votre folie vous abaiffe
au rang des brutes. Vous ! un général 1 vous , le
chef 6c le conducteur des défendeurs de la patrie !
Vous n’êtes pas digne d’être un de fes foldafs. Si
la fociété, par grâce, vous laiffe la vie , vous méritez
qu’elle vous force à vous rendre utile à vos
femblables dans une chaîne d’ouvriers publics.
Mais vous, dont lé jugement sûr & l’ame élevée
fçavent diftinguer la vraie gloire ; vous qui fentez
qu’elle confifte à rendre aux hommes de grands
fervices , que celle de votre état eft d’éloigner
de la patrie d’injuftes agreffeurs ÿ vous ne chercherez
à engager une action que lorfqu’elle peut
vous donner un avantage décifif, ou l’ôter àVotre
ennemi. Marchez à lui , & combattez-le , fi vous
ne pouvez pas l’empêcher autrement de pénétrer
dans votre pays , 6c d’en tirer des vivres, de l’argent
, des chevaux, des hommes dont il vous priveront
, pour en- faire ufage contre vous. Rappeliez
vous la foiblefl'e de Darius, & la ruine de
Ion empire qui en fut l’effet. Memnon lui con-
feilloit d’aller combattre Alexandre, avant qu’il
eût augmenté, par. des conquêtes, fes forces &
fa renommée. Le monarque incertain balança
long-temps , & connut trop tard la fageffe de ce
confeil. Rappeliez-vous auifi la fermeté de Mil-
tiade. Ce grand homme n’attendit pas le fecours
de Sparte pour attaquer Darius, fils d’Hyftafpes|
prêt à pénétrer dans la Grèce : il courut aux
pleines de Marathon le chercher 6c le vaincre.
Prévenir la jonâîion.
Si deux corps de vos ennemis doivent fe joindre,
marchez au plus proche avant leur jonÛion ,
comme Turenne à Sintzheim, & Luxembourg à
Fleurus. Turenne, inftruit que le duc de Bour-
nonville , général de l’empereur, devoit joindre
fes troupes à celles du comte Caprara & du duc
de Lorraine, réfolut d’empêcher cette réunion
qui pouvoit lui rendre l’ennemi trop fupérieur. Il
raffemble autant d’infanterie & de cavalerie qu’il
le peut, fait trente lieues d’Allemagne en quatre
jours, trouve l’élite des ennemis poftée avanta-
geufement , & commandée par un générai peu
facile à vaincre. S’il ne réuflit pas à le dépofter,
fa retraite devient difficile, & fa gloire eft com-
promife. Ce danger particulier ne balance point
dans la grande ame de Turenne , celui dont la
France eft menacée. S’il ne perd pas de vue fa
gloire , il la met du moins au fécond rang, 6c
ne voit plus que B ouf non ville 6c Caprara réunis,
prêts à pénétrer au coeur de la France. Il faut
empêcher leur jon&ipn , les éloigner des frontières
; & , dès l’entrée de la campagne, abattre
le courage de leurs arméés par une aElion de vigueur.
Il fe rend maître des événements, en déa
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ployant dans fes difpofitions tout ce que fon
génie a dé plus fin, & fon art de plus favant. Il
attaque l’ennemi, le bat, le met en< fuite. Dans
la même campagne , remplit à Ensheim les mêmes
vues avec le même- fùccès. Luxembourg , fuivant
ces grands exemples-, alla combattre à Fleurus le
négligent W’aldek, avant que celui-ci eût été joint
par les troupes de Liège 6c de Brandebourg.
L’hiftoire préfente un grand nombre d’exemples
de cette prudence. Henri I V , roi d’Angleterre ,
fçut en faire ufage contre Harry Piercy , avant
qu’il eût jointfes troupes à celles d’Olven Glendow,
leigneur gallois. L’ardent Piercy fe flattoit d’accabler
fon ennemi par la fupériorité du nombre ,
6c de renverfer facilement un trône que fes victoires
n’avoient pas entièrement affermi-. Henri
le prévint. 11 le joignit à Shrewbury avant la
jonétion. Les deux armées étoient d’environ douze
mille hommes. Animés , fuivant l’ufage de ce
temps, par l’exemple de leurs chefs, elles combattirent
avec fureur, jufqu’à ce que Piercy ,
frappé par une main inconnue , perdît la vie 6c
la viâoire.
En Efpagne , D. Henri, ou plutôt fon illuftre
appui, Bertrand du Guefclin, prévint l’armée
africaine qui venoit joindre celle de D. Pèd-re.
Elle étoit portée par une flotte nombreufe, avec
un appareil formidable j de machines de guerre.
Henri étoit alors occupé au fiège de Tolède. Du
Guefclin lui propofa d’aller combattre les Africains
avant leur réunion , & reçut encore du roi dans
cette occafion le témoignage d’une confiance fans
bornes. Aufli-tôt le général Breton envoie des
coureurs vers la mer , & part avec dix mille
chevaux bretons & français , 6c quelque.infanterie
efpagnole. Pour cacher fon mouvement, il marche
pendant la nuit, paffe le jour dans les bois , fait
fix journées de cette maruère. Inftruit que les
Africains avoient débarque près de Cadix , il
s’avance & tombe fur leur marche. Le Begue de
Villaines & Olivier du Guefclin,frère de Bertrand,
commandoient l’avant-garde. Elle entroit dans un
défilé au moment que celle des Maures y entroit
par l’autre côté. Olivier la chargea d’abord avec
trois cents chevaux. Ils furent foutenus par les trois
mille qui formoient l’avant-garde , 6c l’ennemi fut
repouffé jufques dans la plaine. Du Guefclin fui-
voit de près avec le corps de bataille , & Olivier
de Mauny avec l’arrière-garde., Ils trouvèrent l’entrée
du défilé occupée par le Begue de Villaines,
6c l-e jeune Guefclin, occupant l’ennemi par une
légère .efcarmouche. Ces deux généraux avoient
agi très fagement en repouffant les Maures au-delà
du défilé'. S’ils leur avoient laiffé' le. temps d’y
arriver en force , il auroit pu être difficile de
les en dépofter., Bertrand approuva ce qu’ils avoient
fait , 6c donna auffi tôt le fignal de la charge.
Après deux heures de combat, l’ennemi fut mis
en fuite , laiffant fur le' champ de bataille fept
mille morts , un grand nombre de prifonniçrs ,
les
fes équipages, fes machines, 6c fes vivres ; le refte
fe rembarqua , & fit voile vers l’Afrique.
L’empereur Léon ordonnoit à fon général
Nicéphore d’attaquer fes ennemis avant qu’ils fe
joigniffent. a Tandis que les barbares d’E gypte,
de Syrie , & de Caramanie fe préparent contre les
Romains : allez , lui difoit - i l , prendre l’île de
Chypre, 6c avant qu’ils réunifient leurs forces ,
attaquez , brûlez leurs vaiffeaux jufques dans leurs
ports jk
Prévenir la déclaration d'une puijpmce neutre.
Ii faut encore chercher le combat, lorfqu’il y a
lieu de craindre qu’une puiffance, neutre jufqu’alors,
n'e fe déclare contre vous , 6c ne veuille ou fe joindre
à votre ennemi, ou vous attaquer d’un autre
côté , pour vous obliger à divifer vos forces. Cette
raifon fit donner la bataille deRavenne. Louis XII
faifoit la guerre en Italie au Pape & aux Vénitiens
, fécondé par les Efpagnols. Il craignoit que
les Anglois & les Suiffes n’entraffent dans cette
ligue. 11 fe hâta d’envoyer à Gafton de Foix des
ordres preffants de combattre. Le général, q u i,
d’ailleurs, n’avoit pas des vivres en abondance,
donûa& gagna cette bataille fanglante, à la fin de
laquelle il périt par fon imprudence.
Profiter de la difperfion des quartiers.
S’il eft avantageux dè combattre avant la réunion
de fes ennemis, il ne l’eft pas moins de les
attaquer, lorfqu’ils ont trop divifé leurs troupes,
6c les ont trop éloignées les unes des autres; C ’eft
ce que nous ont enfeigné deux des plus grands
hommes de guerre qu’ait eus la France, le l>rave
du Guefclin 6c le fage Turenne.
Robert Knolles, général des troupes angloifes,
étoit devant Paris, lorfque du Guefclin, revenant
d’Efpagne, arriva triomphant dans la capitale,
Les ennemis de la France craignoient tout
en lui jufqu’a fon nom. Knolles fe retira précipitamment
vers le Loir. Afin de rendre fes fub-
fiftances plus faciles , de contenir plus de villes
fous fon obeiffance , & de lever plus de contributions
, il divifa fon armée en un grand nombre
de petits corps. Charles V venoit d’honorer la
dignité de connétable , en obligeant du Guefclin
à l’accepter. C e lu i- c i ayoit confeillé au roi la
levée de trente mille hommes , en l’affurant
qu’avec ces forces il contraindroit les Anglois à
repaffer la mer. Charles ne voulut lui donner
que quinze cents hommes d’armes, c’eft-à-dire,
fix mille hommes. La demande du connétable
etoit celle d’un militaire sûr de vaincre avec des
torçes égalés. La réfolution du monarque fut celle
d un prince politique. Il craignit qu’Edouard alarmé
par une. leyee confidérable ne f ît paffer en France
de nouvelle? troupes, & penfa (ue les Anglois
yoyant peu de forces envoyées contre eux auraient
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pour elles ce mépris qui expofe à la défaite.
Le connétable part à la tête de fix mille chevaux.
Mais fa renommée., fa bienfaifance , & fagénéro-
fité eurent bientôt doublé fon armée. 11 fçavoit que
les troupes angloifes difperfées occupoient une
grande étendue, & qu’il y avoitde la divifion parmi
leurs généraux. Il forma le projet de les attaquer
fép.arémenté La célérité étoit néceffaire : Robert
Knolles, général expérimenté, ne pouvoit manquer
de raffembler fon armée, dès qu’il apprendroit la
marche de du Guefclin.
L’ambition de Thomas Grandtfon féconda le
projet du connétable. Grandtfon defiroit de combattre
avant l’arrivée de Knolles , qui étoit alors
en Guienne. Il fe flattoit de faire prifonniers un
grand nombre de feigneurs françois, d’en tirer
des rançons confidérables , de fe couvrir de gloire,
& d’effacer , en défaifant du Guefclin & fon armée,
la réputation de Knolles importune à fa jaloufie.
Après avoir donné fes ordres pour que fa troupe
fût raffemblée à temps , il envoya un dè fes
hérauts demander la bataille au connétable. Un
de ceux du général françois ayant rencontré
l’anglois, le conduifit à du Guefclin au château de
V ire , 6c dit à fon général avoir appris de cet
envoyé que Grandtfon campoit au Pont-Vilain
avec quatre mille hommes feulement, mais qu’il
devoit être joint le lendemain par un grand nombre
d’hommes d’armes.
Le connétable fit appelîèr le héraut anglois ^
reçut la demande que les chefs ennemis lui.fai-
foient de. la bataille, les fit affurer qu’il la leur
donroit, & plufiôt qu ils ne voudroient. D ’ailleurs
il reçut le héraut très courtoifement, lui demanda
des nouvelles de touts les capitaines qu’il avoit
connus en Efpagne, & fur - tout de Hue de Cau-
relée, lui donna quatorze marcs d’argent , & le
fit fouper avec les hérauts & trompettes françois
, qui le retinrent long-temps à table.
Cependant du Guefclin donne fes ordres pour
décamper à l’entrée de la nuit. Il prend le commandement
de l’avant-garde, compofée de cinq
cents hommes d’armes, confie au maréchal d’An-
dréhan celui du corps de bataille de huit cents
hommes, l’arrière-garde à Olivier de Cliffon & au
mâréchal de Blainville. On étoit au mois de novembre
, temps des longues nuits. Celle - ci fut
obfcure. Une pluie abondante 6c continue rendit
le chemin difficile 6c la marche pénible. L’armée
avoit dix lieues à faire. Malgré cet obftacle l’avant-
garde arriva au point du jour ,& trouva l’ennemi
campé dans une plaine au-deffous des jardins de
Pont-Vilain.
Le connétable s’arrêta pour donner un peu de
repos aux troupes arrivées , 6c le temps de joindre
à celles qui étoient reftées en arrière. Quelque
bruit fq fit entendre jufques au camp des Anglois.
Mais, comme les foldats qui les venoient joindre
arrivoient -fans ordre , les uns après les autres ,
de tjpu^s côtés , ils furent trompés par cette