
que celle d’homme courageux. La .gloire acquife
par la prudence & l’habileté doit fuffire au général :
s’il eft allez dépourvu de fens, pour fe croire moins
digne d’éloges , s’il n’en vient pas aux mains lui-
même avec l’ennemi ; il n’eft pas courageux , mais
téméraire. Qu’il faffe voir à les troupes qu’il ne
craint pas le danger, afin que fa fermeté foutienne
leur courage; mais qu’il ne combatte qu’avec la
précaution néceffaire pour fa plus grande sûreté ;
que, dans le cas où le falut de fon armée entière
leroit en danger , il paroiffe prêt à périr avec elle ;
comme à fe conferver pour elle , quand le péril eft
paffé.
La mort du général a fouvent détruit les plus
belles efpérances : »l’armée prefque vaincue ,
voyant fes ennemis fans chef, a repris courage,
&. les vainqueurs'l’ont perdu en cherchant en vain
celui qui les conduifoit.
Les principaux devoirs du général foiït d’aller
de troupe en troupe, de raffurer par fa préfence
ceux que le danger preffe de foutenir les plus
courageux par des louanges , de contenir les plus
timides par des menaces , d’exciter les plus lents ,
de remplacer les foldats hors de combat, & même
les troupes entières, de fecourir celles qui foibliffent,
de prévoir les ïnftants, les occafions , les événements.
U- réfervera un corps d’é lite, qui portera du
feçours où il en fera befoin , ou qui "attaquera les
troupes ennemies, épuifées par la fatigue & la longueur
du combat. Il peut aufïi placer à quelque
diftance du champ de bataille urtcorps de troupes ,
qui , étant averti par les fpéculateurs des premiers
inftants du combat,"fondra tout-à-coup fur
l’ennemi. Qu’il emploie fur-tout ce ftratagême ,
lorfqu’il attend un fecours , & que les ennemis
en font informés. Ils ne douteront pas que ce ne
foient les troupes auxiliaires , & prendront peut-
être la fuite , avant même que le combat foit engagé
; tout danger Inattendu ébranle avec force
les efprits. Ils le feront fur-tout, fx la troupe qui
furvient, ayant tourné l'armée ennemie, la charge
à dos , &slui enlève jufqu’à l’efpoir de la fuite.
Il eft important que les armes foient brillantes,
parce que leur éclat en impofe à l’ennemi ; & ,
comme la terreur entre dans l’amepar touts les
fens , les troupes iront au combat en jettant des
cris, agitant leurs armes, & marchant d’un pas
très vif. Il a été quelquefois utile de répandre ,
pendant le combat, le faux avis d’un grand avantage
; par exemple, qu’une aile de l’armée eft v io
torieufe , ou que le général ennemi a été .tué.
Dans la pourfuite ou dans la retraite, le général
contiendra fes troupes dans le plus grand ordre :
afin que dans l’une ils éprouvent une moindre-
perte, & que dans l ’autre ils en faffent effuyer
une plus grande à l’ennemi' qui prend la fuite ,
en même-temps qu’ils feront plus à l’abri .de la f
furprife. Quelquefois les troupes qui font en dé- j
route, fe voyant pourfuivies par dés troupes dé- j
„bandées , reprennent courage , fe rallient, rentrent
dans leurs rangs , chargent leurs vainqueurs, 6c
les pourfuivent à leur tour. L’expérience apprend
que rien n’eft plus sûr que de refter dans fes rangs ,
rien de plus dangereux que de les abandonner.
Après la bataille, le général offrira des facrificcs ,
ot diftribuera aux officiers & aux foldats les récom-
penfes dues à leur courage.
[ Végèce eft plus étendu fur les principes généraux
des batailles. Nous allons rapporter ce qu’il en a
dit, fans nous aftreindre à la rigueur d’une traduction
exaéle. « Après avoir traité, dit-il, des parties
moins importantes de l’art de la guerre, il faut
parler de ces aéfions générales , où le fort décide,
en un feul jour de la deftinée de tout un peuple,
& où la viéioire la plus complette ne dépend fou-
vent que du hafard. C ’eft alors qu’un général doit
fe rappeller tout entier à lui-même , mettre en
oeuvre toutes les reffources de fon efprit, & dé-
' ployer toute, fon habileté , puifque ce n’eft que
de fa conduite , bonne ou mauvaife , qu’il peut
attendre des fuccès glorieux , ou éprouver des
défaites" honteufes.
« L ’ufage des anciens temps étoit de faire prendre
quelques aliments aux troupes avant une bataille,
afin qu’elles euffent plus de vigueur pendant l’aéfion,
& ne manquaiïent point des forces néceffaires
pour foutenir un combat long, & opiniâtre. Si
on eft près de l’ennemi , & que l’on veuille
marcher à lui pour le combattre , il faut obfer-
ver de .ne jamais faire fortir l’armée , foit- de fes
retranchements, foit de fon camp , ou d’une place
où elle eft renfermée , lorfqu’étant préparé , 6c en
bon ordre , il pourroifla battre en détail : il faut
prendre fes mefures , de forte que l’ennemi ne
foit point, arrivé avant que l’on ait pris le champ
de bataille^ que l’on a déterminé, Si que l’on y
ait rangé fon armée. Lorfqu’il furvient inopinément
, avant que l’on foit forti, il faut différer
de marcher à lu i, ou lui faire croire qu’on n’en
a point le defiein ; afinque , trompé par l’efpèce de
crainte qu’on' lui montre , il s’er.hardiile à in-
fulter , ou à piller , ou bien fe détermine à la
retraite ; alors, fi l’on voit quelque défordre dans
fes mouvements, on tombe impétueufement fur
lu i, avec l’élite de fes troupes, au moment qu’il
ne s’y attend pas.
Il faut obferver aufli de ne jamais, mener
au combat des troupes excédées d’une;, longue
marche : la fatigue enlève aux lqldats.une grande
partie des forces qui leur feroient néceftaires pour
l’aéHon. Que peut-on attendre d’un homme qui:
vient hors d’haleine au combat ? Les anciens
avoient foin d’éviter ces fautes ; & , ft , dans les
derniers temps , quelques généraux n’ont point
fait ces obfervations , ils ont donné de grands-
exemples . des revers les plus funeftes. Le combat-
j eft fort inégal entre une troupe fatiguée j, & celle
qui eft repofée, entre celle qui eft fraîche, Ôc celle
1 qui-eft couverte de fueur; entre celle qui arrive à la
courfe, & celle quïTattcnd fans aucun mouvement ».
Ce pairage de Végèce renferme trois objets
généraux', dont l’obler-vation eft manifeftement
eflèntielle : ne point mener au combat les troupes
fans qu’eiles ayent pris quelque nourriture : ne
point le former affez près de l’ennemi, pour qu’il
puille profiter de l’inftant du mouvement ne point
mener au combat des troupes fatiguées & hors
d’haleine. Quant au premier, nos troupes ont toujours
des^vivres, &. le général n’a beloin de leur
donner aucun ordre pour qu’elles mangent, quand
elles en ont befoin ; dans les expéditions &. les
marches vives , le général accorde , de temps en
temps , des haltes allez longues pour que le foldat
puifie faire la foupe , qui eft devenu notre aliment
néceffaire & ordinaire. Il eft vraifemblab'le que
Végèce ne nous arrête à cet article, que parce
que les Roinains , n’ayant pas toujours eu du pâîn
préparé, il falloit leur donner le temps d’en faire.
A l’égard des. deux autres objets, nous y reviendrons
ailleurs.L’auteur latin recommande enfuite au
général oui va livrer bataille une obfervation à laquelle
je ne crois pas que l’on fe foit beaucoup
arrêté depuis long-temps. « Il eft b on, dit-il, de
fçavôir les difpolitions des troupes dans un jour
de bataille. La confiance , ainfx que la crainte , !
s’apperçoivent aifément fur le vifage , dans les
propos, dans la marche , 6c dans les mouvements
des foldats.
« Il ne faut pas fe fier à l’ardeur que- marquent
les nouvelles troupes : leur inexpérience leur fait
toujours defirer le combat. Il faut, au contraire ,
l’éviter , ft les anciennes paroiffent le craindre.
Cependant, une harangue du général peut enflammer
le courage de lès troupes, fur-tout s’il leur
montre le combat qu’il veut donner fous un afpeâ
propre à leur perluader qu’ils remporteront aifément
la viâoire. En ce cas , il leur mettra fous
les yeux la foibleffe de l’ennemi , les fautes qu’il
a commiles, les avantages qu’elles ont déjà remportés
f. r lui , tout ce qui pourra exciter contre
lui leur haine , leur colère , & leur indignation.
La crainte , à l’approche du combat, eft un
fentiment que touts les hommes éprouvent. Il y
en a même qui la portent à un excès malheureux
, & à qui la préfence de l’ennemi fait une
impreflion ft vive qu’elle trouble leur jugement.
On a quelques moyens pour prévenir ces terreurs
,* par exemple , avant d’engager une aélion,
celui de ranger fouvent fes troupes en des lieux où
l’on ne puiffe être forcé de combattre , & d’où elles
ayent l’occafton de s’accoutumer à la vue de
l’ennemi ; de lâiftr les moments favorables pour
exécuter quelque entrepnie, qui , fans être importante
, procure des avantages réels ; comme
de jetter le détordre dans quelques-uns de lès
corps, ou de lui détruire quelques troupes ; enfin
de les familiariièr avec fes ufages & fa manière de
combattre : l’habitude ôte la crainte ».
On voit fouycnt les anciens obferver ces préceptes.
Iphicrates s’abftint de combattre , quoique
les augures fuffent favorables, & que fes troupes
fuffent plus nombreufes que celles de l’ennemi ;
parce qu’il apperçut dans lès Tiennes quelques mouvements
de crainte. Le même général, menant fa
phalange au combat, vit plufteurs foldats pâles, &
marchant d’iin pas mal alluré. Il fit publier aufli-tôt
que ceux qui avoient oublié quelque chofe dans le
camp pou voient aller le chercher. Touts les lâches
y coururent. Loin d’attendre qu’ils revinffent ■:
Braves foldats, dit-il à ceux qui étoient reftés ,
nous femmes délivrés de ces vils efclaves ; marchons
à l'ennemi, & recueillons feuls les fruits de notre cou-
rage.
Tacite nous a confervé un exemple touchant de
ce genre. 11 rapporte que Germanicus, ne fe fiant
pas aux propos obligeants, & fouvent flatteurs de
les officiers, alla feul dans fon camp écouter les
propos des foldats, & apprit ainfi l’eftime & l’amour
qu’ils avoient pour lui , la confiance &
l’ardeur qu’ils témoignoient touts pour attaquer
Arminius. Il faut', dxfoient - ils unanimement, dans
le calme de la nuit, & dans la retraite de leurs
tentes, le fervir comme il nous protège, & facri-
fier à fa gloire, à la nôtre , & à la vengeance , touts
les mal-intentionnés , & les violateurs de la paix ».
A l’égard des jeunes gens, q u i, pleins de courage,
défirent toujours de combattre , nous citerons
la réponlè de Paul-Emile au jeune Scipion. Celui-
ci ofa confeiller à fon général d’attaquer Perfée.
Mais Paul-Emile voyant que le moment n’étoit
pas favorable : Jeune homme , lui dit - il., faurois le
meme defir que toi , f i je navois que ton âge ,* mais
mon expérience me retient, & me fait douter d'un
fuccès que tu crois certain.
L’empereur Léon dit aufli qu’il- ne faut point
mener au combat des hommes qui ont peur. On
trouve éneore dans Plutarque plufieürs exemples
de généraux qui ont accoutumé peu-à-peü leurs
troupes à voir l’eniieim fans crainte, entre autres
celui de Marius à l’égard des Teutons. Polibe &
d’autres hiftoriens en iourniffent de femblables.
De ces premières obfervations Végèce paffe à
celles qui font plus particulièrement applicables à
fon objet, & parle ainfi du choix d’un champ de
bataille, « Un général habile doit fçavoir que la
vi&oire dépend en grande partie du terrein qu’occupe
fon armée. A in fi, ayant à donner bataille,
il faut qu’il tire du lieu fon premier moyen de
vaincre. Le meilleur fera le plus élevé ; les coups
t'u haut eft bas ont plus de violence ; celui qui
attaque un ennemi pofté für une hauteur a l'ennemi
&. le terrein à combattre. Cependant ceci
n’eft pas une règle générale. Si les principales
•forces de l’ennemi confident en cavalerie , &
qu’çxn ne puiffe lui oppofer que de l’infanterie,
il faut rechercher les lieux difficiles, entrecoupés
&. montagneux. S i , au contraire, c’eft la cavalerie
lur laquelle on fonde principalement l’ef-
pôir du fuccès contre l’infanterie ennemie, on