
rivière, que, fi les Romains avoient été obligés de
céder tant foit peu, ils n’auroient fiçu où le rallier
& fe former de nouveau. Polybe, qui rapporte
l’une & l’autre de ces drconftances, ne dit rien fur
la première : mais il blâme le conful d’imprudence
quant à la fécondé.
Une armée extrêmement inférieure en nombre,
qui craint d’être enveloppée dans un terrein ouv
ert, doit fe couvrir de toutsles côtés avec les chariots
du train de l’artillerie & des vivres , avec des
chevaux de frife , les coffres & les tentes des
officiers & des foldats, les facs de farine , en un
mot, avec tout ce qui, dans une occafion foudaine ,
peut faire obftacle aux ennemis ; fur - tout ,
lorfque leur fupériorité en nombre confifte en
cavalerie : alors le plus petit embarras fert de
défenfe ; foit parce que les chevaux ne peuvent^
pas le franchir , foit parce qu’ils s’épouvantent &.
ne veulent pas avancer.
Lorfque la petite armée de Louis I I , roi de
Hongrie , alloit être attaquée par les nombreufes
troupes de Soliman 11 très fupérieur en cavalerie
: Lambert Gninehi étoit d’avis que l’armée
de Louis fe couvrit avec fès chariots. Ce con-
ieil ne fut point fuivi, l’on éprouva peu
après combien il étoit fage. Les Turcs ne rencontrant
d’autres obftades que celui de ce petit
nombre de troupes, gagnèrent la célèbre bataille
de Mohatz , qui fut fi funefte à la Hongrie.
Si vous ne pouvez mettre en ufage aucun de
ces expédients , pour couvrir votre armée inférieure
en nombre , formez toute votre infanterie
fur deux lignes, à la réferve de quelques corps,
que vous placerez entre ces lignes pour foutenir
celle des deux quipourroit plier ,1 a première fera
toujours face à l’avant, & la fécondé aura ordre
de faire volte-face à forrière, fuppofé que les-
ennemis y paroiffent. Repliez aufli votre cavalerie
fur deux lignes , depuis les flancs de la première
d’infanterie jufqu’à ceux de la fécondé : cette cavalerie
fera face à la campagne des deux côtés.
Les angles , de ce quarré long , feront couverts
avec de l’artillerie & des pelotons de grenadiers ,
ou d’autres foldats d’élite. Dans cette mppofition,
je crois cet ordre plus convenable que celui ou
la cavalerie feroit face à l’ennemi ; parce qu’elle
ne fera point expofée au feu , qui pourroit l’incommoder
beaucoup s’il étoit continué longtemps
Uvant d’en venir à la charge ; & , fi les ennemis ,
en vous attaquant, & en voulant vous envelopper,
rompent leur ordre, votre cavalerie fe trouvera
dans une difpofition avantageufe pour les attaquer
de front, ou les charger par un mouvement de
converfion, félon que le défordre où ils pourront
être laiffera leurs flancs découverts.
C ’eft prefque le même ordre qu’Alexandre prit
à la bataille d’Arbelles, dans laquelle il craignoit
d’être attaqué de front, en flanc, & en queue,
par les troupes de Darius extrêmement fupérieures
en nombre*
L’Empereur Léon veut q u e , fi les ennemis ,
plus forts en nombre de troupes , fe forment en.
croiffant pour envelopper votre armée , comme
le pratiquent aujourd’hui les Turcs ; vous divi-
fiez votre ligne en trois*, corps , deux pour les-
oppofer aux flancs ou ailes des ennemis , & le
troifième contre le centre. Il ajoute que, quand
les ennemis chargeront, ce troifième corps doit fe-
retirer , jufqu’à ce qu’ils ayent été mis en défordre,,
foit par cette difpofition embarraffante de leurs-
troupes , foit par l’attaque des deux autres corps j.
alors ce troifième corps s’avancera pour charger.
Le même auteur veut encore qu’une armée*
inférieure en nombre fe range en bataille dans-
un terrein d’où elle ne puiffe découvrir les ennemis
, que lorfqueprête à engager le combat,,
elle n’a plus le temps de penfer à fon infériorité,,,
ni les ennemis celui de confidérer leur plus grandi
nombre ; il propofe donc d’envoyer des partis avancés
jufqu’à ce que le combat commence ,*pour empêcher
les ennemis de s’approcher pour reeon-
noître. La petite armée de. Judas- Machabée fè:
débanda prefque toute entière ; parce qu’un-
peu avant le-combat elle fut épouvantée de la-
trop grande multitude de formée ennemie , commandée
par Bacchides ; de forte que Macchabée?
ne put retenir que huit cents hommes dans forv
camp.
Je dois pourtant avertir que, pour fe donner
cet avantage propofé par l’empereur, il ne faut
pas mettre fon armée dans quelques ravins, ou
quelques autres poftes peu favorables. A u , refie ,
un pofte un peu bas ne doit pas-, être regardé*
comme défavantageux , parce que lë grand défaut
des foldats eft de tirer trop haut.
Mettre les lignes trop proche les unes des autres
c’eft courir le rifque de jetter le défordre ÔL la-
confufion dans la fécondé ligne pour peu que la--
première recule : c’eft encore expofer les foldats*
de la fécondé ligne à être bleffés par les balles
qui paffent au-delà de la première, foit que ces,
balles viennent les frapper dire&ement ou en ricochet
: ce qui fuffit pour mettre hors de combat
les foldats qui n’ont point d’armes défenfives-.
Il faut fur - tout une diftance convenable d’une'
ligne à l’autre ', lorfqu’il y a des troupes détachées
entre les lignes, afin qu’elles puiffent faire
librement les mouvements de converfion nécef-
faires , fans embarraffer les lignes & les réferves.
Il faut aufli un intervalle raifonnable, afin,
qu’entre ces corps détachés & la fécondé ligne,
les troupes qui auront été battues à la première
puiffent venir fe rallier fans être obligées de défiler
par les vuides de la fécondé ligne , ou de
faire un circuit pour fe retirer par les flancs de la
première ; car fi les ennemis ne donnent pas le
temps pour ce ralliement, vos propres fuyards fie
jetteront en foule fur la fécondé ligne & la rompront
: ce qui n’arrivera pas , fi les troupes mifes
en’ déroute font couvertes par les corps détachés
entre les lignes ; & f i , depuis ces'corps détachés
jufqu’à la fécondé ligne , elles trouvent un efpace
convenable pour fe former. Je dois pourtant faire
©bferver que , fi la diftance d’une ligne a 1 autre
eft trop grande, les troupes qui auront ete battues
à la première ligne, perdront beaucoup.de monde
avant que de pouvoir fe réfugier derrière la fe-
eondes|i&: elles ne combattront pas meme ave,c ■
autant de courage , que fi elles fe. voyoient fou-
tenueà de plus près.- - . . .
Polybe ,.parlant de la bataille- qu’Annibal perdit
en Afrique contre Sdpion , où la première ligne
de formée Carthaginoife- étoit compofée d etrangers
&L fort loin de la fécondé , dit que ceux qui
étoient derrière la première des Romains , les ani-
moient & les fuïvoient de près ; que les CaHhdpnois-,
au contraire, ne firent aucun mouvement pour foutenir
les étrangers : ce qui commença dé ralentir leur
courage, & leur fît enfin prendre la fuite-.
Suivant les obfervations que je viens de faire,
j.e mettrois d’une ligne à l’autre à-peu-près deux
cents vingt - cinq, pas,- lorfqu’il n’y a point de
troupes détachées entre les lignes ; & , fi j y on
mettois un bon nombre,- je doublerois cette diftance.
Elle paroîtra peut-être exoeflive ; mais on j
doit faire attention qu’en peu de temps on le
diminue beaucoup lorfque la première ligne fe
retire vers la fécondé y & que la fécondé s’avance
vers la première.
Les anciens donnoient à leur ordre de bataille
diverfes figures. Voye^ T actique.
Il ne faut pas donner dans l’opinion de quelques
écrivains j qui , prévenus en faveur des Romains ,
voudroient qu’on fe conformât precifement- a leur
manière de ranger une armée en bataille, fans
confidérer que la diverfité ides armes & des
troupes , & tout ce que les découvertes modernes
ont fait inventer, oblige à d’autres ufages.
A V A N T A G E S D E L’A T T A Q U E .
J’établis pour règle générale qu’il vaut mieux
charger que d’être chargé ; c’eft augmenter le courage
de vos foldats & diminuer celui des ennemis ;
qui, voyant que vous venez les attaquer , penfent
que vous êtes fupérieur en forces quand même
vous ne le feriez pas. 11 y a plus de valeur , dit
Tite-Live , à braver le péril qu a le repouffer. Et
Cæfat nous apprend que marcher contre 1 ennemi
c’eft infpirer le courage aux troupes* A l'expérience
je pourrois encore ajouter cette raifon
phyfique ; fçavoir, que le mouvement , quand le
fang eft échauffé diffipe les appréhenfions Ôt la-
crainte.
Lorfque vos foldats marchent contre 1 ennemi,
ils laiffent derrière eux le moribond & l’eftropié :
ce fpeétacle & les gémiffements de leurs camarades
& de leurs amis ne relèvent pas la fermeté
&. la confiance des 'autres.
Si. le terrein que-vous occuper vous offrequelques
avantages confi dé râbles, que vous n'el-
pérez pas de trouver en marchant contre l’ennemi>
on ft leur armée eft poftée trop avantageufement,
il faut les attendre pour ne pas changer une fitua-
tion favorable en une dangereufe. Il faut aufli
attendre que les ennemis- chargent, lorfque vous
avez à combattre contre une nation accoutumée
à fe battre de pied ferme , & fi vos troupes font
meilleures pour foutenir le combat que pour le
livrer. J’ai déjà dit qu’il y a des peuples qui
chargent avec beaucoup de bravoure , & qui
manquent de' courage & de fermeté, quand il
leur faut- foutenir une attaque.
Charles I , roi d’Angleterre,, perdit la bataille?
contre les rebelles , parce qu’au lieu de les attendre,
il quitta un terrein avantageux pour les-
aller charger , & paffa devant eux un ravin qui'
lui auroit été favorable , s’il avoit laiffé fes ennemis*
•; s-y engager.
A la bataille de Bétula en Efpagne ,-les Carthaginois
fous les ordres d’Afdrubal , ne voulant
pas quitter, un terrein avantageux, attendirent les
Romains de pied fetme j mais- étant-accoutumés-
à -combattre par efcarmouches , ils furent- facilement
battus par les Romains & Scipiom
Si vous-attendez les ennemis r ayez foin- de-
, bien affurer vos ailes & d’augmenter les avantages
du terrein par les moyens déjà propofés ;
ou bien ouvrez tout le long, de votre front un*
foffé ; q u i, quand même il ne- feroit- ni très large
: ni'très profond , fuffira pour réprimer la-première
furie des ennemis , & fur-tout de leur cavalerie.
Quelques auteurs* veulent qu’après avoir fait-
ouvrir ce foffé avec tout le fecret poffible , on le
couvre de branchages, afin de jetter dans quelque
défordre les ennemis- qui donneroient inconfidé-
rément dans ce piège : mais cet artifice me
paroît plus propre-pour prendre des bêtes féroces1
que pour tromper des hommes5;
En fuppofant que vous ayez réfolü d’attendre-
de pied ferme , & que vous n’avez pas le temps de
: vous retrancher, faites femer une grande quantité
de chauffe-trapes en avant de l’aile où vous jugerez
que-les ennemis pofteront leur meilleure cavalerie.
Il faudra tirer fecrettement de quelques places ces-
chauffe-trapes, & les faire venir en des caillons-
fermés, afin que le bruit ne fe répande pas que
vous en avez une grande provifion. Avant de les
femer, vous détacherez des officiers vers le front-
& vers les flancs de formée , pour empêcher que
quelques déferteurs n’en portent la nouvelle-aux
ennemis-.
Dès que ceux-ci s?avancreront:pouf vous charger,-
la partie de votre cavalerie que vous aurez poftée '
derrière les chauffes-- trapes , fe portera dans;
quelque autre endroit de là ligne où elle- pourra-
mieux fervir. Elle pourra incommoder beaucoup
les troupes des ennemis- fur lefquelles elle ira
tomber j comme elle ne fiera point attendue dans’
l’endroit où elle va fondre , p.eut-être-les ennemis