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exemple doit exciter cette vertu dans les hommes?
Pirrhus , ayant marché à Lacédémone, alors
denuée de défenfeurs; les citoyens les plus âgés,
qui étoient reliés dans la v ille , craignirent qu’elle
ne fut prife, 8c réfolurent de profiter de la nuit
pour faire palier toutes les femmes en Crète :
elles s’y opposèrent. Archidamie, l’épée à la main,
vint dans le fénat, 8c reprocha aux hommes, de
la part des femmes, d’avoir pu croire qu’elles
confentilfent à furvivre à la patrie. Il fut réfolu
de creùfer un folié parallèle au camp des ennemis,
& de le border de chariots enfoncés en terre
jufqu a la moitié des roues. Cet ouvrage fut exécute
par les vieillards & les femmes ; ceux qui
dévoient combattre fe reposèrent. Ce furent elles
q u i, dès que le jour parut, leur mirent les armes
entre les mains, en les exhortant à défendre ce
retranchement qu’elles venoient de préparer, &
leur difant qu’il étoit doux de vaincre aux yeux
de la patrie, glorieux de mourir-en Spartiates dans
les bras de leurs mères, de leurs femmes & de
leurs filles. Elles furent préfentes au combat,
jufqu’au moment où un fecours venu de. Corinthe,
Si l’armée Lacédémonienne abfente , entrèrent
dans la ville.
Ailleurs on a vu les femmes combattre elles-
mêmes.' Il y en avoit parmi les combattants, les
captifs, & les blefïès, dans l’armée des Albains
& des Ibères, vaincus par Pompée ; dans celle
des Efpagndls que défit Junius Brutus. Chez ceux-
ci , qui habitaient-entre le Tage & le Boetis, les
femmes combattaient avec leurs maris, 8c recé-
voient la mortfans jetter une feule plainte. Celles qui
étoient captives attentaient fouvent à leur vie , &
tuoient leurs enfants, regardant Pefclavage comme
un mal plus grand que la mort. Au fiège de Pétélia,
par Annibal, les femmes armées accompagnoient
les hommes dans les lorries, combattaient, brû-
loient avec eux les machines des afliégeants.
Lorfqu’Oélave -affiégeoit Salone, une'troupe de
femmes vêtues de noir , la tête échevelée, armées
de flambeaux, fortit de la ville, & fe préfenta de
•nuit au camp romain» A la vue de ces efpèces
de fantômes les gardes effrayés s’enfuirent. Alors
elles mirent le feu .aux retranchements , & les
hommes qui les fuivoient, fe jettant dans le camp ,
.tuèrent un grand nombre de Romains que l’épouvante
avoit faifis, Sc ceux qui dormoient encore.
Au fiège de Lamie, par Acilius, les femmes por-
taient des traits & des pierres aux défenfeurs des
remparts : ce qu’elles ont fait fouvent ailleurs, & :
fur-tout en France, dans les guerres contre les
Anglois. En Libie, chez les Zauèques, elles con-
duifoient les chars dans les combats. Vers le palus
Moeotide , les Laxamates combattaient à pied ,
tandis que leurs femmes à cheval attaquoient
l ’ennemi en lui jettant des lacets. Les Agéléennes
remplifîoient toutes les fondions que les hommes
exercent ailleurs ; les plus robufles alloient à la
guerre* Les Corcyréennes combattirent avec le
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peuple contre le fénat 8c fon parti. Celles d’Arduba
affiégée par Germanicus', défefpérant de conferver
leur liberté, prirent leurs enfants,&. fe jettèrent avec
eux les unes dans le feu , les autres dans la rivière.
L’exemple fuivant, quoique d’un autre ordre,
mérite d’être rapporté. Tandis que les troupes
dOthon 8c de Vitellius ravaeeoient l’Italie, une
femme Ligure déroba fon fils à leur férocité.
Quelques ibldats, croyant qu’elle avoit caché de
l’argent avec lu i, tentèrent de lui arracher fon
fecret par les tourments. Au milieu des plus vives
douleurs, elle leur montra fon ventre, en leur
difant, c’ ejl là , c’efi là qu il faut le chercher ,• 8c
ni fes bourreaux, ni la mort, ne purent lui faire
changer la fermeté de ce mot fublime.
Il ne faut pas omettre ici la femme d’Afdrubal,
qui, voyant le fer & le feu ravager fa patrie,
traita fon mari d’impie 8c de barbare, en ce qu’il
n avoit demandé la vie à Scipion que pour lui
feul, & prenant fes deux enfants par la main,
courut avec eux fe précipiter dans les flammés.
Deux autres femmeis donnèrent à Syracufe
l’exemple du courage le plus fublime, joint aux
fentiments de la fidélité, de la tendrefle, & de
1 humanité. Lorfque les Syracufains égorgèrent la
famille de Gélon, 8c qu’il n’en refloit plus qu’une
jeune fille nommée Harmonie ; fa nourrice , pour
la fauver, préfenta aux féditieux une autre fille
de même. âge. C e lle -c i périt fous leurs coups ,
fans dire un feul mot qui put découvrir ce qu’elle
étoit. Harmonie, tranfportée d’admiration & faifie
de douleur, ne put fupporter une vie rachetée
par tant de confiance & de fidélité. Elle appella
les meurtriers, leur déclara fa naiffance, & perdit
une vie qui ne pouvoit plus lui être qu’odieufe.
A l’extrémité de l’A fie , dans cet empire où la
douceur &. la politeffe des moeurs régnent depuis
tant de fiècles, nous trouvons auffi des exemples
d’un grand courage dans les femmes du plus haut
rang. Lorfqu’Houpilai,. empereur des Tartares ,
acheva de foumettre la Chine par une bataille
navale ; la mère du jeune Tiping, empereur des
Song, étoit fur la flotte. Quand elle apprit que
fon fils ne vivoit plus ; fans proférer un feul mot,
ni verfer une larme, elîe fe précipita dans la mer,
Sc toutes les femmes de fa fuite s’y jettèrent après
elle. L’hifloire de Chine offre un grand nombre
d’autres exemples à peu près femblables.
Semiramis & Zénobie font trop célèbres pour
qu’il foit néceflaire d’en parler.
Artémife, reine d’Halicarnaffe, alliée de Xerxès;
joignit-fa flotte à la fienne, & combattit contre les
Grecs a Salamine avec le courage: d’un homme ;
tandis que le grand roi voyoit du rivage le combat
avec la crainte d’une femme. .
Fulvie régnant dans Rome, refufant & accordant
à fon gré le triomphe au conful Lucius Antonius,
ceignant enfuite l’épée à Prénefle, haranguant, les
troupes,. 8c leur donnant l’ordre , mérite quelques
regards,
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. Les Spartiates repréfentoient Vénus armée ; parce
que leurs femmes, les ayant vus plier devant les
Mefleniens, prirent les premières armes qu’elles
| rencontrèrent, marchèrent à l’ennemi, 8c rétablirent
le combat. La flatue de Vénus en armes fut
le monument de leur courage , & infpira cette épi—
: gramme à Léonidas.
î « Pourquoi, ô Cythérée, te couvres-tu des armes
de Mars ? Pourquoi porter ce poids inutile ? Lorfque
tu l’as défarmé, tu étais nue. Puifque ce dieu fut
vaincu, tu prends inutilement des armes contre les
I? hommes ».
f Et cette autre à un poete inconnu.
« Pallas voyant Cythérée en armes lui difoit ;
veux-tu, Cypris, que nous renouvèllions ainfi la dif-
pute ? E lle , avec un doux fourire, lui répond, pourquoi
élever ton bouclier contre moi ? Si je triomphe
aiue, que ferai-je armée ? »
lr Plufieurs femmes ont commandé à la guerre avec
| fuccès : en Sarmatie, Amagé, femme au roi Mé-
dofaque ; Fania en Dardanie ; Munnia en Egypte ,
Si. en Allemagne Viéloria que- l’on nomma mère
des armées.
La France eut aufli des femmes d’un courage
digne de mémoire. Julienne du Guefclin, digne
Ibeur du fameux Bertrand , garantit le château de
Pontorfbn d’une attaque des Anglois. Le capitaine
Felleton, fçachant que Bertrand à qui la garde de
f ce château était confiée , pourfuivoit alors les
troupes Angloifes qui dévafloient la Normandie ,
crut le moment favorable pour entreprendre fur
Pontorfon. Cet officier, ayant été pris précédem-
_ ment par du Guefclin, avoit fait quelque féjour
| dans cette place, & n’en étoit forti que depuis
: deux ou trois jours, en payant fa rançon. Il s’y
était ménagé une intelligence avec deux chambrières
de Tiphaine du Guefclin, femme de Bertrand,
& ne doutait pas que , par leur fecours, il
ne fe rendît facilement maître de la place. Il s’en
approche avec deux cents hommes qu’il avoit
ralfemblés, defcend dans les foliés en grand filence,
fait dreffer des échelles contre une tour, 8c les
Anglois montent. Julienne du Guefclin, religieufe,
■ Sc depuis abbefle de Saint-George à Rennes,
dormoit couchée avec fa belle-foeür dans une tour
voifine. Elle entend quelque bruit dans les folles ,
Sc rêve que l’ennemi attaque le fort. Cette idée
là réveille en furfaut. AuHi-tôvt , comme reffentant
la race dont elle étoit, elle fe jette hors du li t ,
: prend un jaque, une épée de fon frère, court où
I le bruit lui paroît redoubler, 8c trouve une échelle
I dreffée. contre la fenêtre des deux chambrières.
! Les Anglois étoient déjà prefqu’en haut. Elle ren-
I verfe l’échelle , crie , donne l’alarme ; trois Anglois
| fe tuent en tombant ; la garnifon accourt, borde
le rempart, &. Felleton fe retire. Mais fon mauvais
. fert voulut encore qu’il fît rencontre de Bertrand.
Celui-ci ne l’eut pas plutôt apperçu, qu’il l’attaque,
défait fa troupe , en tue une partie , prend le
•relie, & les amène à Pontorfon avec leur capitaine.
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Tiphainô du Guefclin , revoyant Felleton ; a eh !
quoi i lui dit-elle, vous voilà encore ? C ’efl: trop
pour un homme de coeur comme vous d’êfre battu
deux fois dans douze heures, l’une par la foeur,
l’autre par le frère »*
Du Guefclin apprenant alors l’aventure de la
nuit, lui dit : « feigneur Felleton, je vous croyois
un chevalier trop galant envers lès dames, pour
venir attaquer deux femmes dans leur lit & endormies
; cela convient à un amant indifcret : mais
je vous plains d’avoir été battu par une religieufe;
car, pour moi, vous y êtes accoutumé. Mais cet
évènement-là me fait naître des foupçons qui
vous feroient encore moins d’honneur. Je me doute
que , pendant votre prifon, vous avez abufé de la
liberté que je vous ai donnée de converfer avec
tout le monde, & que Vous avez corrompu quelqu’un
de la maifon ». L’échelle trouvée à la fenêtre
des femmes lui avoit donné ce foupçon ; il
l’approfondit, & les ayant trouvées complices , les
fit lier dans un fac, & jetter à la rivière.
Bertrand infpiroitfon courage à tout ce qui l’ap-
prochoit. Après le retour du roi Jean en Angleterre,
le dauphin, régent du royaume, fit fçavoir
à du Guefclin qu’il avoit befoin de fes fervices.
Celui-ci s’étoit retiré dans fon gouvernement de
Pontorfon, pour y prendre quelque repos. Il voulut
s’excufer ; mais Tiphaine fa femme lui dit avec
fermeté qu’il n’étoit pas temps pour lui d’être fans
emploi ; qu’il étoit encore à peine au milieu de fa
carrière , que le ciel, en lui donnant les plus grands
ta le n t s lu i avoit fait un devoir de lés employer
pour le repos de tout le. monde ; & , comme elle
vit que- la tendrefle & la profonde eftime qu’il
avoit pour elle le retenoit, elle lui propofa de le
fuivre au milieu des armées. « Il ne me convien-
droit pas, ajouta-t-elle, de priver notre patrie de
la gloire que vous répandez fur elle , touts les
François des efpérances qu’ils ont fondées fur
vous, 8c vous-même des honneurs qui vous attendent
». Que du Guefclin fut heureux d’avoir
une telle femme, & Tiphaine un tel mari !
La Bretagne a été le théâtre d’une autre héroïne
Jeanne de Flandres, comtefle de Montfort. « Cette
princefle, dit d’Argentré, était vertueufe outre tout
naturel de fon fexe, vaillante de fa perfonne autant
que nul homme. Elle montait à cheval ; elle
le manioit mieux que nul écuyer ; elle combattait
à la main ; elle couroit , donnoit parmi une troupe
d’hommes d’armes comme vle plus vaillant capitaine
; elle combattait par mer & par terre tout de
même aflùrance : & , quant au confeil, elle favoit
drefler une bataille, garder une place, traiter avec
les princes, avifer aux chofes requifes, aflïéger
.& foutenir le fiège comme le plus vaillant des
hommes : elle ne ht rien moins de fa main & de
fon cônfeil que les plus zélés partifans de fon mari
& de fon fils ».
Lorfqu’elle apprit que Montfort, fait prifonnier
au château de Nantes, avoit été mené à Paris, 8c