
Eugène réuffit au liège de Lille par l’incapacité du
général la Mothe ; mais il manqua celui de Lan-
arecies , parce que le maréchal de Villars l'çut lui
dérober une marche, & battre le corps pofté à
Denain fur l’Efcaut, avant qu’il pût être lecouru.
X. 11 paroît plus prudent d’aller pied-à-pied,
en ne laiffant point de places importantes derrière
foi. Il ne faut pas cependant en garder un trop
grand nombre quand on les a conquifes. On affoi-
blit fon armée, & l’ennemi venant à fe renforcer
par les fecours qu’il reçoit, on fe trouve réduit à
la détenfive : c’en: ce que Louis X IV éprouva dans
la guerre de Hollande en 1672.
XI. Dans les entreprifes que l’on forme , il eft
toujours avantageux d’être maître d’une rivière navigable
, fur-tout fi elle coule du côté de l’ennemi ;
elle facilite le tranfport des munitions &. des fub-
fiftances, & fert auffi de points d’appui. Guftave
Adolphe avoit pour maxime de ne point trop s’éloigner
des grandes rivières.
XII. « Une armée ne doit jamais entreprendre
fans avoir fes communications allurées avec les
places d’où elle tire fes convois. Les corps qu’elle
détache doivent les conferver avec elle ; & , dans
toute occafion , il ne faut pas détacher ou avancer
une troupe qu’elle ne puiffe être, foutenue par une
autre , & qu’on n’ait prévu la retraite, fi l’on y
eft forcé ». ( May^eroy Tatf. max. 9. ).
XIII. Lorfqu’ on entre dans un pays , on doit
faire enforte d’y répandre la terreur , en publiant
fes forces plus grandes qu’elles ne font, en partageant
fon armée en autant de corps qu’on le peut
faire fans rifque , & en entreprenant plufieurs
chofes à la fois. La pratique de cette maxime peut
être d’un grand effet , fur-tout après une bataille
gagnée , ou la prife de quelque place importance.
■ XIV. Il faut s’établir & s’affermir dans quelque
pofte qui foit comme un centre fixe , & d’où l’on
puiffe foutenir touts les mouvements qu’on fait en-
fuite fe rendre maître des grandes rivières , des
paffages, & bien former la ligne de communication
& de correfpondance.
X V . « Un général doit s’étudier à connoîtrele
degré de courage & de talent des officiers & foldats
de fon armée, pour les employer où ils peuvent
rendre le plus de fervice ». ( Léon , lnflit. XX . ).
Il ne doit confier des commandements qu’à des
officiers dont il cormoiffe la bonne volonté, le zèle
& la capacité. « Il y a un art de connoître les
hommes , & de les mettre chacun au pofte qui lui
convient. Un officier d’un caraéfère v if & impé- i
tueux, plein d’ambition, eft excellent pour un coup j
de main , une attaque de vive force ; mais , fi on i
I emploie pour une occafion où il faut beaucoup '
de prudence & de retenue , il ne pourra fe modérer
, il paffera les bornes qui lui feront prefcrites,
& déconcértera touts les projets du général. L’armée
angloife , fauvée du coupe - gorge où elle s’étoit
jettée à Doettingen, en eft un exemple ». ( Maize-
roy. TacL ).
X V I . Il eft effentiel de donner fes ordres le plus
clairement & le plus fuccin&ement qu’il eftpoffible,
& toujours par écrit, à moins que l’occafion & le
temps ne le permettent point.
XVII. « Il faut que les foldats trouvent leur vie
agréable , qu’ils rempliffent leur devoiravec gaité ,
& qu’ils ayent de la patience dans les travaux. Ceci
eft l’augure le plus certain des bons fuccès.
La prefence du général, fon air g a i, quelques
mots flatteurs & perfuafifs, infpirentde l’ardeur aux
officiers & aux foldats. ( Léon. ). Maxime admirable,
dit le traduéleur, dont les généraux ne fçau-
roient trop fe pénétrer. Combien y en a-t-il qui
appefantiffent le joug inutilement, &. rendent le
fervice dur & fâcheux » ?
XVIII. On fera obferver la difcipline la plus
exaéfe & la plus févère ; on maintiendra les troupes
dans un exercice continuel : une armée fe fortifie
par le travail, & s’énerve parl’oifiveté.
XIX. Quand on a des troupes nouvelles , le
moyen de les aguerrir eft de ne faire avec elles que
des démarches fûres, & d e les accoutumer peu-à-
peu à voir l’ennemi, a Si on peut faire un fiège ,
elles s’habitueront au péril : finon, l ’on formera
diverfes entreprifes de peu d’importance ; mais il
faut prendre garde de s’y faire battre. Cela n’èft
indifférent que pour une puiffance qui a un grand
nombre d’hommes , comme le czar Pierre 1 , qui
coroptoit les pertes pour rien , pourvu qu’il aguerrît
fes Mofcovites. Il ne faut jamais, dit Végèce *
mener des foldats au combat qu’on ne les ait
éprouvés auparavant. Il eft fort différent d’avoir
de vieilles troupes ou des milices ; des foldats qui
viennent de faire la guerre , ou des gens qui font
depuis quelques années fans rien faire : on peut
compter pour nouveaux foldats touts ceux qui
n’ont pas fait la guerre depuis longtemps.
XX. Il eft bon de tâter fon ennemi pour tâcher
de connoître fon cara&ère : s’il eft audacieux, faire
enforte de l ’irriter & de l’engager à quelque mouvement
harfardeux dont on le puniffe : s’iléft timidé
& craintif, l’étonner par des attaques vives & inopinées
». ( Maiçeroy. Tail. ).
XX. Il ne fuffit pas de faire des mouvements avec
une armée , pour obliger l’ennemi d’en faire auffi.
Ce n’eft pas le mouvement feul qui l’y forcera ; mais
l’objet de ce mouvement, & la manière dont il fera
fait. Des mouvements fpécieux, comme l’obferve
le roi de Pruffe , ne feront pas prendre le change à
un ennemi fçavant ; il faut prendre des pofitions
folides qui l’engagent à faire des réflexions , & le
réduifent à la néceffité. de quitter fon pofte ; fe
camper fur un de fes flancs , s’approcher de la
province d’où il tire fes fubftances , fe mettre entre
lui & fes places , menacer fa capitale, lui retrancher
les vivres, &c. ; ou faire quelque 'diverfion
importante qui le force de marcher avec toute fon
armee. On ne doit jamais faire de mouvement fans
en avoir de bonnes raifons.
XXII, Il ne faut jamais confier la fureté de toute
une armée à la feule vigilance des gardes. Les partis '.Y
& les patrouilles qu’on envoie aux nouvelles &
pour reconnoître ne doivent être regardées que
comme des précautions acceffoires. Il faut prendre
toutes les connoiffances que l’on peut , par foi-
même , par fes efpions, par des déferteurs , des
prisonniers , par quelqu’un d’adroit & d’intelligent,
q u i, a la faveur au terrein, fe gliffe dans un lieu
d ou il puiffe découvrir & obferver ce qui fe paffe
chez les ennemis : on ne peut fur-tout trop fe
mener des transfuges : fouvent ils font envoyés
exprès pour tromper par leurs rapports , ou pour
quelque objet dangereux.
XXIII. On jugera du nombre des ennemis , non
par l’etendue de leur armée, mais en examinant
avec attention leur profondeur ; en diftinguant la
véritable de celle qui ne fera qu’apparente au
moyen des valets , des bagages qu’il aura mis derrière
, ou de quelqu’autre rufe.
XXIV. « Un général expérimenté prévoit les ]
deffeins & les ftratagêmes de fon adverfaire ; il le
juge d’après ce que lui-même auroit imaginé, s’il
eut été à fa place. L’expérience de ce qu’on
tente touts les jours contre l’ennemi doit faire
çonjeéhirer ce que lui-même eft capable d’entreprendre.
X X V . 11 ne feroit pas fûr de fe fervir toujours 1
des mêmes manoeuvres & des mêmes rufes, quoiqu’elles
ayent réuffi. L’ènnemi qui en verroit
prendre l’habitude ne manqueroit pas de s’en prévaloir
, pour tendre un piège où Ton donneroit.
Une conduite uniforme eft bientôt connue celui
qui varie fon jeu embarraffe fon adverfaire , & le
tient toujours dans l’incertitude.
XXVI. Vouloir tout faire par foi-même eft d’un
homme mal-habile on confumeroit tout fon temps
dans les détails : il'né faut donc pas fe mêler des^
fonéfions de ceux qui font à fes ordres , mais
veiller à ce qu’ils les rempliffent exactement ».
( Léon. ).
XXVII. Celui qui penfe à tout, dit Montécu-
culi, ne fait rien ; celui qui penfe à trop peu de
chofe eft fouvent trompé. On doit tenir le milieu
entre le trop & le trop peu ; s’occuper des chofes
les' plus eflentielles à faire , des moyens à employer
, & des obftacles à lever pour en venir à
bout.
XXVIII. « Il faut dormir comme le lion, fans
fermer les yeux ;Jes avoir continuellement ouverts
pour prévoir les moindres inconvénients
qui peuvent arriver ». ( Tejlam. Politiq. du card.
de Richelieu. ).
XXIX. « Il faut aller en avant par des lièges I
& des batailles ; (s’imaginer dé faire de grandes I
conquêtes fans combattre , dit Montécuculi, c’eft
un projet chimérique ; ) ; couper les vivres à l’ennemi,
continue cet auteur ; enlever fes magafins ,
ou par furprife ou par force ; lui faire, tête de près
& le refferrer ; fe mettre entre lui & fes places de
communication ; mettre garnifon dans les lieux
d'alentour ; l’entourer avec des fortifications ; le
détruire peu-à-peu en battant fes partis , fes four-
rageurs , fes convois ; brûler fon camp & fes munitions
; ruiner les campagnes autour des villes ;
abattre les moulins , lemer des divifions entre fes
gens, &c. ; lever des contributions ; prendre des
otages dans les endroits qu’on ne peut garder ;
traiter bien ceux qui fe rendent, maltraiter ceux
qui réfiftent ; enlever les principaux du pays qui
peuvent être fufpe&s, en ufant avec eux des meilleurs
procédés ; ne perdre ni ne négliger aucune
occafion favorable ; donner quelque chofe au ha-
fard; mais, en tout, fe faire une loi fuprême du
falut de l’armée ».
XXX . ce II vaut mieux réduire l’ennemi par la
faim, par des rufes, par la terreur que par des
batailles, où la fortune a fouvent plus de part que
la valeur ». ( Végèce. ). Les téméraires , dit l’empereur
Lé on, qui réuffiffent par des coups de la
fortune, n’ont que l’admiration du vulgaire ; ceux
qui ne doivent leurs fuccès qu’à leur habileté méritent
feuls d’être loués.
XXXI. u Un général d’armée ne donnera jamais
bataille , s’il n’a pas quelque deffein important.
Lorfqu’il y fera forcé par l’ennemi , ce fera fure-
ment parce qu’il aura fait des fautes qui l’obligent
de recevoir la loi de fon adverfaire.
Les meilleures batailles font celles qu’on force
l’ennemi de recevoir ; c’èft une règle confiante
qu’il faut obliger l’ennemi à faire ce qu’il n’avoit
pas envie de faire ; & , comme votre intérêt eft
diamétralement oppofé au fien , il vous faut vouloir
ce que l’ennemi ne veut pas ». {Le roi de Prujfe s
art. X X I I I , InftruEl. milit. ). Il faut, dit Végèce ,
tout imaginer, tout effayer , tout entreprendre
avant que d’en venir à une affaire générale. C’eft
dans ces grandes occafions que les généraux doivent
prendre d’autant plus de mefures qu’une plus
grande gloire eft attachée à leur bonne conduite,
& un plus grand danger à leurs fautes. C ’eft le
moment où l’expérience , les talents , l’art de
combattre , & la prudence triomphent au grand
jour.
XXXII. 11 eft effentiel de cacher à l’ennemi, le
plus qu’on peut, la difpofition fur laquelle on va le
combattre , pour qu’il ne puiffe en faire perdre les
avantages p2r des mefures contraires.
XXXIII. Dès qu’on a bien pris fes mefures, fuivi
en tout les règles de l’art, qu’on s’eft convaincu
qu’on n’a ri'ën oublié de ce qui peut contribuer à
l’heureux fuccès d’une entreprife , & qu’on a préparé
fa retraite en cas qu’on ne réuffiffe pas ; il faut
être tranquille fur ce qui peut arriver , ufer de touts
fes talents & de toutes fes reffources pour fe procurer
la viâoire.
X XXIV . S’il arrive quelque chofe de fâcheux, fe
garder de le laiffer connoître : il eft de la prudence
du général de cacher aux troupes ce qui peut leur
abattre le courage.
XX X V . « Un jour d’aétion on encourage Ws