
chevalerie , elle fe loutenoit à la faveur d’une ancienne
léputation /fondée fur la fagëfle de fes loix,
& fur la gloire de quelques-uns de fes héros. Peut-
être même , avec touts les abus qui fembloient
tendre à fa deftruélion, elle auroit fubfifté longtemps
, fi d’autres caufes n’avoient enfin produit
fa décadence & fa chûte.
Notre hiftoire nous préfente fur le trône plufieurs
princes qui furent à la fois les modèles & les pro-
teâeurs de la chevalerie : mais , de touts ces il-
lufiresmonarques, les plus propres, ce me femble,
à la faire fleurir furent Charles V I , Charles V I I ,
& François Ier. Charles V I ne refpiroit que la
guerre. Au fortir de fon enfance , une viétoire
éclatante avoit fignalé fes premières armes ; & fa
paflion pour les tournois lui attira fouvent des reproches
très férieux dans un temps où les tournois
étoient le plus en honneur. Contre l’ufage ordinaire
des princes, & fur-tout des rois , il .s’y me-
furoitavec les plus braves & les plus adroits jouteurs
, fans examiner s’ils n’étoîent point d’une
naiflance trop difproportionnée à fon rang ; il
compromettoit fa dignité ; il expofoït témérairement
fa vie en fe mêlant avec eux. Jufqu’à la
fin de fon règne , en 14 14 , malgré l’état déplorable
» de fa fanté , Charles V I ranimoit les reftes
d’une vigueur prefque éteinte pour fe montrer encore
les armes à la main. Il voyoit avec complai-
fance, dans le duc de Guyenne, fon fils, un digne
émule de fon adreffejk de fon amour pour les exercices
de la chevalerie. Perfonne n’ignore ce que fit
fon fuccefleur Charles V I I , pour arracher aux An-
glois les plus belles provinces de la monarchie.
Cette époque eft gravée en caractères ineffaçables
dans l’efprit & dans le coeur d’une nation tendrement
attachée à ceux de fes fouverains qui
fe font montrés dignes de la conduire.
François 1e r , vainqueur à Marignan d’une nation
jufque - là regardée comme invincible , pafla
prefque toute fa vie dans les camps & dans les
■ armées. Sa bravoure , fa probité , fa franchife , fa
générofité, fa galanterie ; tout, jufqu’à fa taille,
à fa phyfionnomie ouverte & martiale , l’eût fait
choifir .par l’antiquité romanefque pour le chef de
fes paladins , & fon nom infcrit dans la lifte dès
neuf preux ne l’auroit point déparée. Qui croiroit
que , fous trois règnes qui dévoient être fi favorables
à la chevalerie , elle dût éprouver les^chan-
gements qui opérèrent enfin fa ruine.
Les divifions furvenues entre les princes du
quelques intervalles lucides, l’infortuné monarque
reprenoit fur eux le pouvoir abfolu dont ils s’é-
toient rendus les maîtres, ce n’étoit que pour l’abandonner
•fane ro y a l, pendant les accès de la maladie du
roi Charles V I , causèrent dans toutes les parties
du gouvernement une infinité de défordres , &.
ceux qui s’introduifirent dans la chevalerie , ne
furent pas les moîas pernicieux. Ces princes ne
regardèrent l’autorité prefque fouveraine , qu’on J
vit fouvent paffer dans leurs mains , & qu’ils s’ar- j
rachoient fans celle , que comme un infiniment |
propre à fervir leur ambition, leur cupidité', &
la haine mutuelle dont ils étoient dévorés. S i, dans 1
à des favoris qui n’en firent pas un
meilleur ufage. Elevés alternativement fur la ruine
les uns des autres, les chefs d.e ces différents partis
crurent ne pouvoir fe foutenîr que par le fecours
de la. chevalerie ; & , ne fongeant point que c’étoit
la bonne conftitution de cet ordre, & non la multitude
des chevaliers qui faifoit la force des états,
ils cherchèrent à fe procurer un grand nombre de
créatures par de fréquentes promotions , faites fans
difcernement. On n’exigeoit plus dans les candidats
ni la force , ni l’expérience ; on prodiguoit la che*
valerie à de jeunes gens , dont l’âge n’égaloit point
les années que les écuyers des temps antérieur^
avoient coutume de confommer dans un exercice
continuel des armes : elle fut conférée à des én-
fans de dix ans & même de.fept. On ne s’infor-
moit plus de la probité ni des moeurs :• des hommes,
nouveaux enrichis des dépouilles de l’état, en des
places où ils n’étoient parvenus que par l’intrigue
& ne fe maintenoient que par de lâches complai-
fances, obtinrent ce qui jufqu’alors avoit été la
récompenfe deftinée aux défenfeurs de l’état. La
chevalerie ainfi multipliée & profanée ne pouvoit
que tomber dans le difcrédit , & prefque dans
l’aviliflement. Elle fut néanmoins retenue fur lé
penchant de fa ruine par les efforts de Charles VII :
il n’avoit plus d’autres reffources pour conferver
fa couronne & une maîtrefle en qui regnoient
encore les fentiments de gloire que la chevalerie
avoit anciennement infpirés aux dames. S’il fit de
fréquentes promotions , ce fut pour exciter & ré-
compenfer la valeur de fes fujets /dans les occa-,
fions continuelles que la guerre lui fourniffoit.
Quelque puiffantque fut le fecours des chevaliers
pour affermir le trône chancelant de Charles V I I ,
ce prince augmenta les forces de fon état par
un nouveau corps de milice ; il inftitua les, compagnies
d’ordonnance , connues fous le nom de
gendarmerie , ou du moins il en fut le reftaura-
teur. La ferveur fut toujours le caractère des nouveaux
établîflements : c’eft lefeul moyen qu’ils ayent
de s’égaler à ceux qui, par des fervices anciens,
ont acquis une forte de fupériorité. Peut - être
CharlesVII, foiten inftituant les gendarmes, foit en
les rétabliffant, s’étoit propofé d’accroître l’émulation
defes chevaliers : il vit fortir du feinde ces compagnies
des guerriers plus dociles & plus fournis
que leurs rivaux, dignes de lesremplacer, & même
capables de difputer & d’enlever un jour à la
chevalerie une gloire dont jufqu’alors elle avoit été
en poflfeflion.
Plus ces nouvelles levées montroient d’ardeur,
plus la noblefle françoife s’empreffa de fe faire
infcrire fur les régiftres de leurs montres ou revues.
Outre l’avantage qu’elle trouVoit dans un
fervice qui n’étoit jamais interrompu , elle avoit
encore dans ces compagnies un droit au comman»-
dement
dement des troupes , au lieu que la qualité de
barmeret & de che.valier n’en donnoit plus aucun ,
fuivant la remarque du père Daniel.
Cette continuité de fervices ne pouvoit manquer
de rendre les* gendarmes plus difciplinés &
plus aguerris, leurs chefs plus expérimentés & plus
habiles, les uns & les autres , par conféquent plus
utiles dans les armées. Si l’on regretta quelques
fois de ne point voir régner parmi ces guerriers
/ . îïl.oeiJrs »les vertus , cet efprit enfin quecarac-
terifoit 1 ancienne chevalerie, ils en confervèrent du
moins la valeur héroïque dans toute fa pureté, &
jamais ils ne l’ont perdue. Bientôt ils furpafsèrent,
oc dans la fuite ils éclipsèrent leurs concurrents par
le bon ordre , par la difcipline, & par une application
c o n t in u e llem é t ie r des armes & aux
exercices militaires que la chevalerie négligeoit depuis
longtemps.
On eut dit que le ciel avoit fait naître François
Ier pour reflufciter dans l’état militaire l’efprit de
chevalerie. On ne peut douter que l’élévation de
fon génie & de fon courage, aufli bien que fon
amour pour la guerre , ne lui en euffent infpiré
le defir. Nul de fes prédécefleurs n’avoit aufli bien
connu les généalogies de nos plus grandes & de
nos plus anciennes maifons, dont l ’hiftoire eft fi
étroitement liée avec celle de notre milice : plus
mtérefle qu’aucun autre à chérir , & faire valoir les
vertus guerrières , il avoit témoigné combien il les
eliimoit, lorfqu’a la journée de Marignan il avoit
voulu que Bayard l’armât chevalier. FrançoisI" ,
en s’abaiflant pour ainfi dire;, devant fon fujet,
en recevant de lui la colade , montroit que les
titres donnés par la valeur font fûpérieurs à ceux
du plus haut rang & de la plus haute naiflance.
Mais, de quelque fentiment qu’il fût pénétré pour
• Ja bravoure, il jugea qu’un grand roi doit également
fa prote&ion à toute efp’èce de mérite : il
crut ne pouvoir porter trop loin fon amour & fon
eftime pour ceux qui fe rendoient recommandables
par quelque talent que ce fut', dans quelque rang que
. \es eut fait naitre ; il ne vit entre eux d’autre
diftinélion , d’autre fupériorité que celle du mérite.
” r “ ,P " " c‘Pe > §5 0 . outra peut-être , il décora
de lepee de chevalier les hommes célèbres par
la connoiffance des loix, des Iciences. &. des lettres.
En des temps plus anciens1 cette diftinâion avoit
.été accordée à quelques-uns d’entre eux ; mais
rrançois Ier, & Charles-Quint fon émule , la leur
prodiguèrent. Par cette conduite ils vouloient faire
comprendre a la nobleffe , prefque toute guerrière
alors , qu’elle devoit réferver une partie de
ion eflime à des qualités qui concourent avec les
talents militaires au bonheur comme à la gloire
d un état. Mais de tels exemples, devenus trop
irequents, ne produifirent point l’effet qu’ils s’étoient
propoie. On ne ferappella point que les chevaliers ,
tuivant les anciens préceptes de leur inftitution,
ne dévoient pas moins s’appliquer à l’étude des
Jf ttrgs qu aux exercices de la guerre : on n’écouta,
■ Art militaire. Tome. ' l%
fur-tout dans notre nation , que des préjugés pof-
térieurs, qui n’admettoient plus d’autre gloire pour
la noblefle françoife que la gloire acquife par les
armes.
Les chevaliers créés pour les fervices militaires ,
ou defcendus des premiers défenfeurs de la patrie ,
aimèrent mieux laifler décheoir la dignité de chevalier
que d’en partager l’honneur avec ceux qu’on
appelloit chevaliers ès loix , chevaliers lettrés ,
& de confentir à les regarder comme leurs égaux.
Par une jaloufie bifarre que l’ignorance pouvoit
feule infpirer , on en vint infenfiblement à négliger
de, fe faire armer chevalier fur la brèche , ou
lur le champ de bataille, parce que la chevalerie
avoit été conférée à des magiftrats & à des gens
de lettres.* Cependant rendre la juftice , c’étoit
remplir une des fondions eflentielles de l’antiquè
chevalerie. On ne fit pas réflexion que les magiftrats
combattaient fans ceffe les plus dangéreux
ennemis de l’état , les perturbateurs du repos public
: on ne prévoyoit pas que leurs fuccefleurs ,
n’ayant pour armes que les loix & leur propre
courage, dévoient un jour , fous les règnes de
Henri III & de Henri IV , expofer leurs têtes aux
efforts d’une populace mutinée, & aider le-légitime
héritier de la couronne à monter fur le trône qu’on
ofoit lui difputer: Il appartenoit à notre nobleffe.
de partager entre elle l’héritage commun de nos
anciens chevaliers : tandis qu’une partie étoit employée
à défendre la nation par la force des armes ,
pautre devoit s’appliquer fans relâche à faire régner
dans le gouvernement civil la paix & le bon ordre ,
par la fagefle de fes décifions. Si lùnefe dévouoit
à fervir le roi dans fes armées, comme nos anciens
chevaliers, l’autre fe confacroit comme eux
à le fervir dans fes cours de juftice & dans fes
confeils. On ne trouve, depuis François Ier. que
des exemples très rares de ces créations de chevaliers,'
auxquelles l’ancienne noblefle rapportoit
fon éclat & fon iuftre. Depuis cette époque nous
ne connoiflons prefque plus de chevaliers faits fur
le champ de bataille que le brave Montluc, qui
reçut la colade du duc d’Enguien, après la bataille
de; Cerifolles , en 1544.
Le fùnefte accident qui fit périr Henri II au
milieu de. fa cour, & fous les yeux de toute une
nation à laquelle il étoit cher, produifit dans les
efprits une nouvelle révolution qui acheva d’abolir
la chevalerie. Le coup mortel que reçut ce prince
éteignit dans le coeur des François l’ardeur qu’ils
avoient témoignée jufquê-ià pour les^joutes & les
tournois : on craignit de fe rappelle,r, à la vue de
ces fpeÛacles , l’idée d’un malheur qui avoit jette
la France dans la confternation , & peut-être d’en
attirer d autres femblables. Les tournois , ces
moyens fi puiflants pour animer les chevaliers ,
ayant cefie prefque totalement, entraînèrent par
leur chute celle de la chevalerie. La valeur françoife
, toujours bouillante dans le fein même dune
co.ur voluptueuie , «’étant plus occupée des exer-
L l i r