
la Roque, un peu au-deffous de Cadenet, à fix
lieues de Ton embouchure dans le Rhône, étoit
de beaucoup fupérieure à la plaine de la C rau ,
en fit dériver en 1 55 8 le vallat ou canal qui porte i
fon nom, le fit palier par les campagnes de Salon ;
fa patrie, de Crau , d’Iftres, & c . Ce canal, après .
avoir arrofé les territoires de Cabanne & de Noves,
traverle fur un aqueduc le territoire d’Arles, Ôc
vient aboutir dans le Rhône à un quart de lieue de
la partie méridionale de cette ville, après avoir
fait tourner plufieurs moulins. C e qui paroît allez
curieux, c’eft de voir qu’au-deffous de ce canal
d’arrofage, à l’endroit de l’aqueduc , paffe un autre
canal pour l’écoulement des eaux du pays.
Le canal de Craponne n’eft point navigable ; il
n’a que deux à trois pieds de largeur fur trois de
profondeur : mais , tout petit qu’il eft , il produit
des richeffes confidérables fur une étendue de douze
lieues de longueur. On eft parvenu, par un grand
nombre de rigoles tranfverfales, à faire naître
l’abondance dans un canton qui n’en paroiffoit pas
fufceptible. On y a femé du bled dans les endroits
les plus favorables, Ôc les autres produifent entre
les cailloux de l’herbe excellente, qui fert à nourrir
un grand nombre de troupeaux. Depuis l’exiftence
de ce canal, on a vu des lieux déferts 8c incultes,
couverts de belles habitations, convertis en prairies,
en vignobles, er^hamps plantés d’oliviers. On
a obfervé que les fréquents arrofements enfoncent
les cailloux dans la terre, 8c que , celle-ci prenant le
deffus, on en tire le parti le plus avantageux. Mal-
heureufement ce canal ne donne pas autant d’eau
qu’on le defireroit ; mais il feroit facile de lui en
fournir beaucoup plus , & d’en tirer enfuite beaucoup
d’autres canaux plus petits, qui arroféroient
6c fertiliferoient toute la Crau. On pourroit alors y
bâtir des villages, pour les habitants de la haute
Provence , auxquels les moyens de fubfiftance ont
manqué, depuis que le défrichement des bois y a oc-
cafionné des éboulements de terres emportées par
la force & la continuité des pluies. ( V. Expilly, art.
P r o v en c e .) .
Le même Adam de Craponne, qui mérita fi
bien de fa patrie, avoit encore tracé le plan d’un
autre canal d’arrofage 8c de navigation, que le
fameux Peyrefc, ce Mécène de fon fiècle, voulut
exécuter foixante ans après. Il s’agiffoit de conduire
à A ix , de la Durance ou du Verdon qui fe jette
dans cette rivière , un canal qui eût rendu la capitale
plus floriffante & plus riche par la facilité de la
communication qu’il lui auroit procurée, tant avec
la haute Provence, qu’avecl a mer. Peyrefc écrivit
en Flandre l’an 1628, pour avoir un des ingénieurs
qui avoient conftruit des canaux dans ce pays, 8c
qui méditoient alors le projet de joindre l’Efcaut
avec la Meufe. Le canal eût été exécuté aux frais de
Peyre fc, fi la pefte qui furvint l’année fuivànte ,
6c les troubles de l’état, ne l’euffent fait évanouir.
Puiffent de tels exemples infpirer le defirde les
imiter 1
Peu de temps après Peyrefc, on fît, en 1645 »
un nouveau nivellement des eaux, mais fans aucune
fuite. Louis X IV , peu après fon voyage de Provence
en 1662, accorda, pour le même objet, des
lettres - patentes au fieur Colomby, qui fit l’année
fuivànte un nouveau nivellement. Ces lettres font
rapportées au tome II de l’hiftoire de Provence ,
par Bouche. Autre opération femblable en 1702 6c
en 1740. Ce dernier nivellement fut fait en con-
féquence du defir 6c des réponfes de MM. les procureurs
du pays, qui depuis longtemps, Ôc particulièrement
en 1724 6c 17.37 » faifoient tout ce
qui étoit en leur pouvoir pour engager à former
une entreprife qui a fait & fera toujours le voeu de la
Provence , comme le plus grand bien & le plus folide
qu’on puiffe lui faire. Ce font les termes dont ils fe
fer voient en 1724.
Le P. Pézenas, célèbre mathématicien 6c directeur.
de l’oblervatoire de Marfeille,chargé de faire ce
nivellement en 1740, s’affocia dans ce travail long
6c délicat le fieur Floquet, ingénieur très verfé dans
l'hydraulique. Celui-ci, après avoir fait les principales
obfervations préparatoires, en préfenta au
public l’efquiffe 6c le plan dans un traité imprimé à
Marfeille en 1742. L’année fuivànte, il publia un
autre écrit dédié à M. de V ence, dans lequel il
répond à diverfes obje&iôns, prétend démontrer
la pofîibilité, la facilité de ce canal, 6c préfente les
moyens de l’exécutër..Nous allons donner l’analyfo
de ce dernier imprimé.
i° . La première preuve que l’auteur allègue
confiftè dans les divers nivellements antérieurs aux
fiens.
La fécondé eft l’exiftence du canal de Marius
quiportoit de Jouques à A i i les eaux de la Durance.
( Pithon, hifl. d’A ix ,p . 54 & 6yy. ).
La troisième, ce font les operations faites d’abord
par le fieur Floquet avec toute l’attention
poffible, 6c renouvellées fous fes yeux par MM»
d’Allemant 8c de Château-neuf, ingénieurs du ro i,
6c le fieur Gérard l’aîné, archite&e 6c mathématicien
très expert dans cette partie. »
20. Le plan ou projet confiftè à dériver les eaux
depuis le roc de Canteperdrix, territoire de Jouques
au-deffous du bac de Mirabeau, 6c de les conduire
jufqu’à Aix ôc Marfeille , par un canal d’arrofage ÔC
de navigation, du moins en defcendant, pendant
près de trente lieues, à caufe des montagnes qu’il
eft plus fûr de contourner que de percer pour donner
au canal un cours plus dire# ; d’autant que ces
contours rendront un jour plus facile la communication
avec le Rhône, en établiffant un baffin de
partage au Vernège, pour diriger cette nouvelle
branche un peu au-deffous de Tarafcon, en traver-
fant les plus belles plaines de ces cantons.
30. Moyens d’exécution. Le fië'ur Floquet, en!
, qualité de propriétaire de toutes les eaux de 1s
Durance par la celîion que lui en avoit faite lè
fieur baron de Forbin d’Oppède, à qui le roi les
1 ayoit données, eft le maître de prendre, avec le
public
b lic , tels arrangements qu’il voudra ; 8c il prtfpofe
trois moyens de s’intéreffer à l’exécution : le premier
, en achetant par foufcription telle portion
d’eau qu’on voudra'à tant par denier d’eau ou fix
lignes, payable lors de la jouiffance paifiblele^
deuxième , en fourniffant les fonds néceffaires pour
la conftruéfion du canal, d’après le plan commun
& les conditions du traité admifes;le troifième,
en acquérant du fieur Floquet une portion d’intérêt
6c des actions fur la propriété 6c le revenu dudit
canal ; lefquelles aéfions ferviront à commencer 6c
parachever une entreprife auffi utile.
Viennent enfuite les détails de ces trois moyens
dont il eft inutile de parler. ( Voyeç l’ouvrage imprimé
à Aix en 1743.). Le même auteur fit paraître
en 1746 le nivellement ôc devis eftimatif du
canal, in-40. de 150 pages, imprimé à Marfeille.
I l contient en détail touts les décomptes des différents
travaux à exécuter pour l’entier achèvement
du canal, ôc devoit fervir de bafe aux divers traités
qu’on auroit pu faire avec les entrepreneurs.
Il ne feroit pas polfible de fuivre tous les détails
de cét ouvrage, qui eft fait avec le plus grand foin ;
il fuffit d’offrir les réfultats principaux.
1®. La longueur du cours du canal fera de
68,455 cannes plus fortes que la toife; c’eft-à-dire,
près de 23 lieues de Provence.
2°. La pente ou l ’inclinaifon du terrein dans cet
efpace eft de 617 pieds 4 pouces 6c demi, ou de
près de 103 toifes.
3°. La dépenfe totale eft eftimée 4,800,000 liv.
içavoir, 2,900,000 liv. pour la valeur des différents
ouvrages, parmi lefquels, outre touts les creu-
fements , murs, chauffées, digues, 8cc. on compte
quatre-vingt-fept épanchoirs pour la furverfe des
eaux fuperflues du canal, foixante-cinq ponts pour
rétablir autant de chemins coupés par le canal,
dont un entr’autres pour le paffage des eaux fur la
rivière d’A r c , eftimé 120,000 livres, en deux cents
quatre-vingts aqueducs à une 6c plufieurs arcades ,
6c c. 800,000 liv. pour l’achat du terrein où le canal
paffera, 6c autres frais; enfin un million pour les cas
imprévus. ,
4°* Le nombre de toutes les différentes efpèces
d’ouvriers néceffaires pour la conftruétion , fçavoir,
maçons ÔC tailleurs de pierre, manoeuvres pour le
treufage , roqueteurs, pionniers, 8cc. Ôcc. fera de
2,557,125 journées pour l’exécution du devis; lef-
dites journées évaluées féparément, fuivant l’ef-
pèce d’ouvriers, les mâçons à 35 fols par jour,
(aujourd’hui on payeroit au moins 45 fols), les
pionniers à 20 fols par jour, 6c les manoeuvres à
12, fols.
5°. Enfin le temps néceffaire pour l’achèvement
du cassai eft ailé à déduire du précédent article. Si
les entrepreneurs emploient deux mille ouvriers
par jour, il leur faudra quatre ans 6c trois mois, en
comptant trois cents jours utiles par année ; cinq
ans, s’ils nont que 1705 ouvriers ; fix ans, en employant
1420 ouvriers Ôc fept ans à ia i8 ouvriers ;
Art militaire. Tome ï.
maïs fl n’eft pas polfible, à caufe des froids, despluies,
8cc. de compter trois cents jours utiles dans
l’année : ainfi l’on ne rifque rien de fuppofer huit
ans, à 1200 ouvriers employés journellement.
Malgré le zèle du fieur Floquet, entrepreneur,
6c touts les avantages que prélentoit fon plan ,
malgré même les fecours que les , actionnaires
avoient fournis, les dépenfes confidérables qui
furent employées fans fruit pour les premiers travaux,
depuis Canteperdrix jufqu’à une lieue environ
, ne laifsèrent entrevoir que les difficultés de
l’entreprife, Ôc ne fervirent qu’à augmenter la
défiance du public , 6c fur-tout des. François qui
ne fe livrent pas volontiers aux objets de longue haleine.
Pour ranimer la confiance des uns 6c ioutenir
le zèle des autres, on intéreffa M. le maréchal duc
de Richelieu à l’entreprife, & le projet du canal fut
repris en 1751 avec plus de vigueur que jamais. Le
18 avril de l’année fuivànte, les principaux inté—
reffés au canal s’affemblèrent à l’hôtel de M. le duc
acquéreur de mille aéfions ou portions d’intérêts
cédées pat le fieur Floquet, pour ftatqer définitivement
, 6c pour fuivre avec efficacité l’exécution
du canal, conformément à l’arrêt du confeil du
7 feptembre 1 7 5 1 , confirmatif de touts les anciens
privilèges accordés à la maifon d’O ppède, qui permet
au maréchal Ôc autres intérefles de faire conf-
truire un canal en Provence, fous le nom de Richelieu
, aux charges 6c conditions y énoncées. On y
ftatua que le canal d’A ix feroit appelié canal de
Richelieu, du nom de fon nouveau protecteur , &
que chaque aéfion feroit rappellée par une fomme
de 160 liv. On arrêta les dettes paffives, les frais de
régie, les bureaux de la compagnie , la nomination
des fyndics, les réferves du neuf Floquet, dont
une entr’autres porte que, dans le cas où le projet
ne pourroit avoir lieu, les actionnaires ne pourront
pas répéter le prix de leurs a&ions ; ( chacune fut
fixée à un 9600e de l’intérêt total ), ni aucune autre
indemnité ; parce que c’eft une loterie avantageufe
où l’efpoir d’un gros gain çompenfe le rifque d’une
foible mife. Il fut convenu d’un autre côté que le
fieur Floquet ne pourroit exiger une plus forte
fomme de fes ceffionnaires, fi ce n’eft de ceux q u i,
préférant à la précédente condition celle de ne rien
hafarder pour acquérir le droit d’affociation, feraient
convenus de ne payer qu’à mefurer qu’on
travaillerait au canal; 6c que dans le cas où les fui-
dits intéreffés ne voudraient pas payer les frais de
régie, de conftruéfion, 6t ceux qui feraient eftimés
néceffaires par la compagnie, outre 6c par-deffus
le premier prix convenu de leurs intérêts, la compagnie
feroit autorifée à aliéner, vendre, hypothéquer
telle portion de leurs intérêts en déduéfion du
profit à efpérer, 8c c.
On dreffa en conféquence un mémoire inftruéfif
qui comprend, outre les objets détaillés ci deffus ,
i° . tout ce qui concerne la nature, la fource &
la dérivation du canal de Richelieu , d’àprès la
carie levée par l’abbé d’Expilly ; 20. la preuve de
M m ni