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les ordonna .fmvant la difpofition du terre! n ex-
h'orta le ibldat à faire Ion devoir, & marcha contre
l ’ennemi. Les armées s’étant jointes , le combat
fut très v if 6c très longtemps difputé : mais les
Celtibériens voyant qu’ils ne loutenoient plus
qu’avec peine l'effort des foldats légionnaires, bien
plus exercés qu’eux à combattre en ligi^e , le formèrent
tout-à-çoup en coin , 8c fondirent fur les
Romains avec la plus grande Jmpétuofité. Ces
peuples , ajoute Tite-Live , font fi terribles dans
ce genre d'attaque, qu’en quelque endroit qu’ils
la dirigent , il eft prelqu împolïible d en foutenir
la violence : en effet, ils mirent tant de trouble
de confufion dans les rangs des Romains que
leur- ligne fut fur le point d’être enfoncée à l’afpeâ
du danger , Flanus eut recours à fa cavalerie , qui
feule • pouvoit déformais empêcher l’entière défaite
de fon armée ; joignant enlemble plufieurs turmes,
il doubla fes efcadrons qui s’abandonnèrent à la
fois des deux ailes fur le coin , le prirent en flanc
& en queue, l’énveioppèrent , le percerent , y
firent un carnage horrible , 8c diffiperent cette
tniffe formidable, la dernière reffoürce des Ef-
pagnols. a *
Une évolution militaire^ne peut être mieux décrite
dans une hiftoire générale que le coin 1 eft
dans cet endroit on y reconnou toutes les propriétés
qui le cara&èrifent dansVégèce. La rapidité
de 1a manoeuvre, la force de fon impreflion,
le rifque qu’il court- contre une cavalerie qui l’attaque
en flanc , tandis que fa tête eft encore engagée
dans le choc, y font dépeints avec beaucoup
de clarté. . ,
Dira-t-on que touts ces traits appartiennent egalement
à la colonne , & que les expreftions latines
ne déterminant point ici de figure triangulaire,
rien ne prouve que la troupe elpagnole forma
un triangle plutôt qu’un quarré long?
' Quelques réflexions fuffifent , ce me femble ,
pour ôter toute incertitude à cet égard. Les Cel-
tibériens s’étoient mis d’abord en ligne vis-à-vis
des Romains , apparemment fur un tront à-peu- -
près égal au leur, & ils commencèrent de combat
dans cette difpofition. Ils ne prirent le parti de
changer leur première ordonnance que lorfqu’ils,
le virent extrêmement prefles par les légionnaires,
& fur le point d’être forces de plier. Pour former
une colonne , il faut ouvrir les rangs , les doubler,
quadrupler, & à chaque mouvement fe refferrer
fur le centre : cela demande du temps 8c beaucoup
de précifion. D’ailleurs on n’exécute cette manoeuvre
qu’en ouvrant à plufieurs reprîtes , fur-
tout le front de fa ligne , de nouveaux intervalles.
Elle eft donc très dangereufe en préfence d’un
ennemi vigilant, a&if , habile a laifir les occafions
d’augmenter fes avantages : que fera-ce fi un tel
mouvement fe fait tandis qu’on eft aux mains avec
lui ? Tel étoit cependant la lituation des Espagnols
contre les Romains : quelle apparence qu ils euffent
ofé le tenter fi près d’eux ? Le coin, au contraire,
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avec des foldats bien exercés , ne demande qu’un
inftant ; 6c. nous verrons qu’on peut meme le
former tout en marchant, fans qu’il foit préalablement
néceffaire de rien changer dans 1 ordonnance
de la troupe. Avant que le yuide qu’elle
laiffe , en fe détachant du front de la ligne , vienne
à paroître, la tête du coin eft à portée d’agir ; 8c
l’ennemi, prévenu par ce brufque mouvement ,
fe voit contraint de faire ferme, pour oppofer à
la violente impreflion du coin une plus folide ré-,
fiftanee. *
On peut encore appliquer ici la réflexion^ que
nous avons déjà laite au fujet de Xenophon. S il eft ^
vrai que T ite -L iv e , dans les deux aéfions que
nous venons de rapporter, n’ait eu en vue qu un
quarré long 8c plein , pourquoi ne lui a-t-il pas
i confeçvé la dénomination qu’il lui donne en vingt
ï endroits de fon hiftoire ? Pourquoi ne fe fert - il
du mot cuneus que lorfqu’il s’agit de defigner cette
évolution particulière aux Efpagnols, ou qu’il veut
reoréfenter la difpofition d’une troupe qui cherche,
par un effort extraordinaire, a fe faire jour a travers
les rangs ennemis en réunifiant contre un.leul endroit
toute fa violence 8c fon impetuofite ?
On doit dire la même chofe d’un partage des
commentaires de Csefar, qui n’eft pas moins favorable
au coin triangulaire que les precedents.
Lorfque les foldats romains lortirent du camp
où commandoit Cicéron , près de Tongres, pour
ram aller dufourage & du bled, fe trouvèrent coupés
à leur retour par deux mille cayaliers Sicambres 5
; les uns furent d’avis que formant le coin , ils fe
fillent un partage l’épée à la main ; puifque, quand
même quelques-uns d’entre eux feroient interceptes
par l’ennemi, le plus grand nombre , à caufe de
la proximité du camp , pourroit du moins fe fauver.
Les autres, au contraire , vouloient qu’on fe retirât
fur une hauteur voifine , 8c que 'chacun y
courût la même fortune. Trois cents vieux légionnaires
, ayant à leur tête un chevalier romain ,
nommé Trébonius, ne purent approuver ce deffein ;
. & , préférant le premier, ils fe précipitèrent au
travers des rangs ennemis , les percèrent ôc arrivèrent
au camp fans avoir perdu un feul homme.
11 faut bien qu’il s’agiffe en cet endroit d’un
arrangement qui ne fût pas celui dans lequel une
cohorte avoit accoutumé de fe former autrement,
pourquoi en avertir ? Qui ne -fçait qu une -troupe
qui va s’ouvrir de force un chemin à travers une
, autre doit fe mettre en ordre, marcher 8c attaquer
de même ? Le coin deiigne donc ici une ordonnance
particulière, appliquahle fur-tout a 1 extrémité
où les foldats romains fe trouvoient.
En effet, toute ordonnance eft diftinguée par une
certaine propriété qui la rend , fuivant les conjonctures
, plus ou moins avantageufe qu’une autre. Les
Romains, par exemple , ont cru que le rond étoit
excellent pour fe défendre de pied ferme contre des
forces fopérieures. Nous fommes perfuadés que le
quarté lo n g , ou la colonne, » le même avantage,
quand
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quand on eft obligé de fe défendre en marchant ;
de même le coin l’emporte , je crois, pour une
attaque brufque & prompte. Les faits que j’ai cités
& qui fe rapportent touts à ce qu’Ælien 6c Végèce
en ont dit, piouvent combien il étoit propre à
fondre rapidement fur l’ennemi, à l’ouvrir, l’enfoncer
, 8c fe faire jour en peu d’inftants au travers
de fes rangs.
Dans Tacite , le mot cuneus fignifie quelquefois
une cohorte, même un corps plus confidérable ;
jmais c’eft en des endroits où il n’eft queftion d’aucune
manoeuvre , 8c on ne peut nullement en
conclure qu’il ait employé -ce terme exprès pour
défigner une troupe ferrée & mife fur beaucoup
de hauteur. Dans touts ces cas, il fe fert des ex-
preflions fuivantes : denfum agmen aretis 3 d en jîs
ordinibus agmen confertum , actes denfa armis vj-rif-
que 3 frequens ordinibus.
Une preuve qu’il entendoit quelque chofe de
plus par cuneus, en tant qu’ordonnance , c’eft qu’a-
près avoir dit, en décrivant la bataille gagnée par
Suétonius contre les Bretons, que ce général forma
fes légionnaires fur une très grande profondeur,
ayant à droite 8c à gauche les armés à la légère ,
& la cavalerie fur. les ailes : il ajoute qu’aufiî-tôt
que les Romains eurent épuifé touts leurs traits ,
ils fondirent brufquement fur lès Bretons , 8c
comme par autant de coins. Sélon lui K le cuneus n’é-
toit donc pas feulement un corps ferré 8c profond,
une colonne ; car chaque cohorte de la légion en
formoit une ici. Tacite ne fait du premier un
objet de comparaifon que pour dorftier une plus
forte idée de l’ordre condenfé dans lequel cette
légion fit fon attaque ; parce que c’étoit-là l’effence
du coin.
Il n’a jamais confondu la colonne avec le coin ;
mais il a regardé celui-ci comme une ordonnancé
toute différente , 8c même , quoiqu’on en dife ,
comme une évolution qui de fon temps étoit très
familière aux Romains : il remarque ailleurs que
les Bataves qui furent attaqués près de Bonn par
trois mille légionnaires , mettant en ufage ce qu’ils
avoient appris des manoeuvres de guerre en fervant
dans les armées romaines , formèrent plufieurs
coins y & percèrent dans cet ordre la ligne peu
epaille qu’on leur avoit oppofée.
Quand T acite d it , dans fa Germanie , que l’infanterie
des Germains fe met en bataille , divilèe
en plufieuts coins , il ne veut nullement défigner
par-la autant de cohortes , mais la difpofition aftèc-
tee a ces troupes ; 8c ce qui prouve que le mot
cuneus te rapporte précifémeht à la figure de leur
ordonnance, c’eft que, dans fes annales & dans
fon hiftoire, quand il n’eft queftion en général que
de troupes ou cohortes allemandes, il les appelle
catervoe. : mais , dès qu’elles font en ordre de combat
, il revient aufli-tôt à les nommer cunei. Les
Sutres preuves que l’on a-de cet arrangement particulier
aux nations germaniques donnent un nouveau
degre de force au raifonnement précédent.
Art militaire. Tome 1.
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U eft bon d’obferver aufli que, malgré les différentes
lignifications données au mot cuneus dans
les hiftoriens , les occafions où il s’agit d’une manoeuvre
extraordinaire y font fouvent caraéférifées
par cette expreflion, ils firent le coin ; ce qui met
une extrême différence entre l’évolution 8c les endroits
où il n’eft queftion que- d’une troupe , d’une
cohorte , &c.
Frontin n’a point dit , à la vérité , que le coin
fût un triangle mais il a_dit que Paulus Æmilius
oppofa à-la Phalange de Perfée fon infanterie pe-
fante , divifée en plufieurs coins. O r , Tite-Live 8c
Plutarque marquant expreffément que le général
romain diftribua fes foldats par petites troupes ,
afin qu’ils puffent d’autant mieux s’infinuer dans
les moindres ouvertures qui fe feroient au front
de la phalangè, rien n’empêche que nous ne re-
connoiflions ici l’effet du coin triangulaire , dont
le propre eft de percer, divifer, 8c pénétrer aifé-
ment une ligne.
Arrien, Ammien Marcellin, Agathias, s’énoncent
plus clairement à l’égard du coin. Il eft vrai qu’on
a cru pouvoir éluder ce que les deux premiers en ont
dit ; mais le troifième s’eft exprimé en des termes fi
précis, que le pyrrhonifme le plus déclaré n’a ‘pu
lui rien oppofer, & qu’on s’eft contenté de raifon-
rier fur la conftruélion du corps triangulaire qu’il
a décrit, & dont la réalité a été reconnue , fans
qu’on en ait conçu la véritable forme.
Alexandre s’étant engagé , fans beaucoup de
précautions, dans un pays très difficile , les Tau-
lantiens vinrent Occuper tous les partages des montagnes
;==.& , diftribuant fur les hauteurs un grand
nombre de frondeurs 8c d’archers, dans les endroits
moins efearpés des foldats pefamment armés , 8c
Quelque cavalerie , ils ajoutèrent à la difficulté naturelle
des lieux les meilleures difpofitions qu’ils
purent imaginer , pour ôter toute efpérance de
retraite aux Macédoniens. Ma;s Alexandre, après
avoir reconnu la pofiticn des ennemis, & qu i) lui
falloir pafier un défilé'tellement refferré d’un côté
par la rivière de l’autre par les montagnes qu’il
pouvoit à peine y tenir quatre hommes de front,
mit fa phalange à cent-vingt hommes de hauteur,
en couvrit chaque flanc par deux cents cavaliers ,
5c leur ordonna d!exécuter fes commandements
avec le plus grand filence. D ’abord il leur fit mettre
la lance haute , enfuite, à un fécond fignal, ils la
baifsèrent, 6c faifant en même-temps à-droite 8c à-
gauche, marchèrent comme pour charger. Pendant
ces mouvements, Alexandre fit aufli marcher brusquement
fa phalange par les flancs, tantôt à droite,
& tantôt à gauche , en lui faifant prendre coup fur
coup plufieurs figures différentes ; 6c l’ayant enfin
formée en coin , il la porta rapidement contre la
gauche de l’ennemi. Les barbares, furpris de cette
variété de manoeuvres multipliées avec une promptitude
étonnante, ne purent foutenir le choc de la
phalange , 6c abandonnèrent leurs montagnes.
Un homme du métier , dit le chevalier Folard .
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