
Celui qui veut donner bataille , doit regarder
à. fept chofes principales. La p rem iè re d e ne fe.
laifler. jamais forcer au cômbat contre fa volonté.
La fécondé , de choifir un champ de bataille
propre pour la qualité Ôc le nombre des gens de
guerre qu’il aura. Car , s’il craint d’être en clos-par
le grand nombre , il doit couvrir fes flancs , cm
pour le moins , l’un diceux , de la nature du lieu ,
comme d’une rivière , d’un bois , ôc- autre chofe
équipollente : & s’il eft foible de cavalerie , il
doit fuir les plaines ; comme les lieux étroits, s’il
y eft le plus fort. La troifième , de ranger ion
armée en bataille ; en forte que , félon la qualité
des foldats , elle foit dans fon avantagé, couvrant
fa cavalerie par fon infanterie , s’il en' eft' plus'
foible ; Sc, fi c’eft le-contraire , fon infanterie par
la cavalerie : difpofer touts les gens de guerre en
tel ordre , qu’ils puiffent combattre diverfes fois,
avant qu’être entièrement défaits. Si nousobfervons
bien aux petites troupes de gens de guerre , déme
les faire combattre touts à la fois ; ô c , fi' nous,
croyons que cent chevaux en deux troupes , en
doivent battre deux cents touts en une ; ôc fi
nous avons remarqué en nos jours que diverfes
batailles fe font gagnées par celui qui avo.it fait
une troupe de réferve , qui nalloit • au .combat I
qu’après que toutes les autres avoient combattu ; I
combién plus grand effet fera 'un fécond ordre
de bataille, qui- viendra à la charge, après que j
toute l’armée ennemie aura combattu contre le
premier ordre ; & encore plus un troifième , à
Limitation des Romains, fi les- deux premiers font
défaits. C ’eft une maxime que toute tjroupe ,
quelque groflë qu’elle foit, fi elle a combattu ,
eft en tel défordre , que la moindre qui furyient,
eft capable de la défaire, tellement que . lé chef '■
d’armée qui peut tonfèrver . le dernier quelques
troupes, fans avoir combattu , doit avec icelles
emporter la viétoire. Et c’eft une chofe longue &
difficile, de vouloir remettre en bon ordre une
armée qui a combattu, pour combattre dé nouveau.
Les uns s’amufent au pillage, les autres fe fichent
de retourner au péril j . ÔC tquts „enfemble étant
tellement émus , qu’ils n’entendent, o.u ne v.éulént
entendre nul commandement. Au contraire , ceux
qui n’ont pas encore combat,tu... font ^dans-i’qbgif-
fance, & prêts à faire tout, ce que leurcHef leur
cômmande. C ’eft pourquoi là fçiençe du général
d’armée n’eft tant à rallier des troupes en défordre,
ôc éperdues ; ( qui n’eft proprement qu’une j
aftion de courage) ; connue à faire combattre fes
troupes bien à propos les unes après- les autres ,
ôc non toutes à la fois. Car il doit confidérer
qu’il ne peut être bien obéi de fes gens que
jufqu’à l’heure qu’il les envoie au combat. Après,
cela toutes les harangues du monde ne les arrêtent
pas, quand ils fuient ; mais fi fait bien une troupe 1
en bon ordre. La qua.rième , d’avpir plufieurs ;
bons chefs ; étant impoffible qu’un chef général
puiffe fuffire par-tout. Après avoir bien choifi fon
champ de bataille,' ôc mis en bon ordre fon armée
il lui eft clu tout impoffible , quand on vient au
combat, d.e pouvoir donner ordre que du côté où
il eft : tellement que , s’il n’eft bien affifté par-tout,
tant dans la cavalerie qiie dans l’infanterie , quand
il feroit des merveilles où il fé trouve , il ne peut
répondre dè l’ignorance des chefs qui commandent
les autres endroits .de fon. armée. Il faut donc au
moins cinq principaux chefs, pour bien faire com-x
battre une armée ; à fçavoir, trois , pour les trois
corps d'infanterie , diftitiguéspar avant-gardé ,
bataille , & arrière-garde , ôc deux, pour la cavalerie,
qui eft aux deux ailes. La cinquième , d’ob-
ferver en votre ordre de bataille fi bien vos dif-
tances, que les premières troupes, étant renvërfées,
ne fe jettent pas fur. celles qui les doivent foutenir,
ni lès fécondés fur les troifièmes. La fixieme ,-de
mettre les plus vaillants foldats aux ailes de l’armée ,
ÔC commencer la bataille par le coté où vous vous
fentez le -plus fort. Car , fi une fois vous rompez
une des ailes dés 'ennemis , vous, les prenez en
flanc, & en queue, & il eft impoffible qu'ils vous
puiffent réfifter. La feptième ôc dernière e ft, de
ne permettre la pourfuite ni le pillage , jufqu’à ce
que l’ennemi foit rompu de touts côtés ; Ôc,, encore
qu’il foit bon de pourfuivre chaudement, il
faut pourtant avoir toujours des troupes en qidre ,
qui ne fe débandent point, afin d’éviter tout inconvénient,
Je ne parlerai point des avantages qui
le peuvent rencontrer dans un champ de bataille ,
delquels un bon capitaine fe fert bien fouyent avec
grande utilité ; pour ce qu’il ne s’en peut donner
aucune règle certaine , à caufe que la diyerfité
des fituaticns eft telle , qu’il ne s’en 'trouvera jamais
deux toutes femblables. ».
Montécuculi n’a donn é , comme Henri de Rohan ,
que dés préceptes généraux, mais avëg plus d’é.--
tèïidue , d’ordre, ôc de méthode. Né à Modène
en 1 6 0 8 , élevé près de fes deux oncles , Jérome
Erneft, l’un imniftre dans le Tirol l’autre
grand-maître de l’artillerie dè fa majefté impériale,
il parvint par touts les grades militaires* à celui de
généràliffimè des troupes de l’empereur. 11 fit la
guerre contre les Suédois avec fuccès , contint,
en 1 6 6 3 , avec fix mille hommes , une armée
de cent mille Turcs , ôc les défit l’année fuivante à
Saint-Gothard. On vint lui dire, au commencement
de l’aéHon , que” quelques régiments plioient : «e
vous allarme^pas, répondit-il, je n’ai pas encore tiré
l’épée. Dans la gueire de Hollande, il fit la jonéUon'
de- fes troupes avec celles du prince d’Orangé ,
malgré toutes lés forcés de la France, & termina
'glorieufement fa carrière militaire, en fe montrant
le digne rival du plus grand des hommes de guerre
qui parurent avec tant d’éclat dans le fiècle de
Louis XIV. Il faut conferver, répéter, lire, étudier,
relire avec foin ce que de tels généraux ont
fait ôc écrit. Voici ce que Montécuculi a écrit fur
les batailles: On a reétifié ici fur l’original la traduction
imprimée.
«Il faut y confidérer ce qui précède l’àétion, ce
qui l’accompagne , ôc qui la luit,
I. Pour ce qui précède
i° . Invoquer le Dieu des armées.
2°. Réunir le plus de forces que l’on peut.
30. Examiner les avantages; du ter-rein, du vent,
du foleil, choifir un champ de bataille proportionné
nu nombre ôc à l’efpèce de fes troupes.
40. Prévenir l’ennemi.
" 5°. Animer les foldats ; le courage doit leur être
infpiré par le vifage -, les mouvements, les habits ,
les difcours du chef , qui leur met devant les yeux
la viétoire , lé devoir , la néceffité , la gloire , le
butin , les récompenses, la fin des iatigues , & rétablir
quelquefois leurs forces en leur failant donner,
médiocrement à bojrè , en feignant le, prefage heureux
d'un fonge, d’une révélation, ou d’autre chofe
fèmblable.
6°. Diftribiîer les munitions , donner le mot. >
7°, Former l’ordre dè bataille, en plaçant chaque
armé. a.fon avantage , ôc en lieu où elfes ne foient^
pas inutiles ; en, fe mettant en état de combattre'de
front Ôc en flanc ; en ayant fous fa main toutes fortes
d’armes pour les employer au béfoin , fans rompre
ni démembrer les efcadrons , quoique la pofition
devienne différente , que l’ennemi change fori ordonnance,.
Ôc qu’il naiffe des accidents imprévus ;
en diftinguant le chef par quelque' marque.ou en-'
feigne ; en réunifiant, ou entremêlant l’infanterie ,
la cavalerie, Ôc l’artillerie ,'deforte qu’elles s’entre-
feçourent réciproquement , ôc que l’ennemi ne
puiffe envelopper la cavalerie , fans effuyer le feu
des moufquetaires, ni joindre l’infanterie fans avoir
à foutenir le choc de la cavalerie.
Dans les arméës. anciennes-, chaque régiment
d’infanterie foutenoit une certaine quantité de cavalerie
, ôc d’artillerie. Une partie des cavaliers
avoit des cuiraffes entières, les autres des demi-
cuiraffes ; quelques-uns étoient plus légèrement
armés. Pourquoi mêler enfemble plufieurs fortes
d’armes dans un même corps, finon pour faire voir
l’extrême befoin qu’elles ont l’une de l’autre , ôc le
fe cours qu’elles peuvent s’entre-donner ? Dans,les
ordres de bataille modernes, où toute l’infanterie
fe met ordinairement au centre , ôc la cavalerie fur
les ailes-, où elle s’étend à plufieurs milliers de pas ;
quel feçours. ces deux corps peuvent-ils recevoir
l’un de l’autre ? Il eft évident que les ailes étant
battues , l'infanterie , qui demeure abandonnée ôc
découverte à fes flancs , ne peut manquer d’être
défaite, du moins à coup de canon , fi ce n’eft
autrement : comme il arriva aux bataillons Suédois,
à Nordlinghen , l’an 1634. Les Suédois s’apper-
çufent de . la faute , quand leur cavalerie eut été
chaffée du champ de bataille ; ôc, pour y remédier ,
ils mirent des pelotons de moufquetaires,- Ôc quelques
petites pièces d!artillerie entre les efcadrons :
mais le remède îi’étoit pas fuffifant ; parce que ,
les efcadrons étant rompus, il falloit que les pelotons
fuffent paffés au fil de l’épée ; c’eft ce qu’ils
éprouvèrent encore à la bataille de. : ; ..............
l’an , . . parce qu’il n’y avoit point auprès d’eux
de corps vers lequel ils fe pufler.t retirer, ni de
piques qui les foutinffent. Comment auroient-ils
pu recourir à leur infanterie, fi éloignée d’eux ?
Mais , en faifant dans l’ordonnance l’union que
nous venons de dire , il.eft évident qu’on n’en peut
envelopper aucune partie , que celui qui attaque
n’aye premièrement à effuyer les falves de l’artillerie
, puis celles de la moufqpeterie , enfuite
celles du piftolet. Enfin il 'eft obligé, de foutenir
tout enfemble le choc de la pique , ôc celui des
chevaux. On n’a point cet avantage quand on fé-
pare , ôc qu’on éloigne ces fortes d’armes les unes
des autres.
8°. Difpofer fes troupes de manière qu’elles
puiffent combattre plufieurs fois ; car , ainfi qu’aux
échecs, celui qui a le plus de pièces à la fin gagne
la partie ; de même celui qui conferve le plus de
troupes entières gagne la bataille. Il faut donc
ranger l’armée fur trois lignes, dont la première
foit la plus forte , parce qu’elle a les plus grands
efforts à faire ôc à foutenir ; la fécondé un peu
moins forte , ôc la troifième ccmpofée feulement
de quelques réferves ; ou bien fur deux lignes ,
dont chacune, ait fa réferve .derrière elle.
90:. Affurer les. flancs de l’armée par la fituation ,
par une colline , un bois , une rivière, un précipice
, un- village, qui flanque ôc rafe le front comme
un baftion : où par le fecours de fa r t , en fe couvrant
de tranchées, de chariots, de chaînes , de
cordes, de paliffades , de chauffe-trapes , d’abattis,
ou de bataillons^
io°. Avoir foin que toutes les troupes fe piiiffent
entre - fecourir fans confufion , ÔC que celles qui
font rompues , ne ie jettent pas fur les autres :
pour cet effet, mettre les réferves derrière l’infanterie
, au centre, ôc fur les flancs , ou derrière une
colline ou un bois , ou vis - à - vis des intervalles ,
pour fecourir les premières lignes , courir fur l’enr-
nemi, retourner à leur pofte , ôc s’y remettre en
ordre fans heurter les autres troupes.
i i ° . Que la cavalerie légère foit en petit
nombre, ôc en lieu d’où étant pouffée, elle ne
puiffe , en fe retirant , caufer ni défordre ni
épouvante.
12°. Que les intervalles foient proportionnés
aux efcadrons ôc aux bataillons de réferve , ni
affez larges ni affez nombreux , pour que l’ennemi
puiffe y venir avec un grand front, ôc y faire
quelque vive attaque, ou obliger les réferves à
s’y jetter précipitamment pour remplir le vuide ;
parce qu’il arriveroit alors que l’ordonnance n’au-
roit qu’un front.
130. On compte qu’un fantaffin ,-pour être bien
en état de combattre , doit occuper , tant de front
que par derrière , un pas ôc demi , ÔC qu’un cavalier
en occupe deux de iro n t, ôc trois de hauteur»
Que la diftance entre la première ôc la fécondé
ligne foit de 150 à 200 pas ou environ, ôc celle