
ôc oblige également touts les princes 6c toutes
les nations les unes epvers les autres. C’eft l'allia
n ce humaine, univerfelle , ôc on peut lui donner
ce nom.
Une autre efpèce d'a llia n ce , que je nommerai
particulière j eft cette convention publique ftipulée
entre fouverains , foit peuples, loit monarques ,
dont l’objet eft de fe fournir des fecours mutuels
contre une puiffance agreffive , ou en général
contre tout agreffeur : celle-ci fait partie du droit
militaire. 3
Cette allian c e eft un contrat dont la bafe doit
être l’intérêt général de l’humanité, ôc dont l’objet
fpécial doit être l’intérêt commun des parties, ou
nations contrariantes. Quoique la tranfaélion foit
ftipulée par les princes, ils n’y ont part que comme
tuteurs des peuples. Affujétis à la même loi uni-
Vêrfelle . qui règle les contrats particuliers , ils
doivent chercher d’abord l’intérêt commun, parce
qu’il eft toujours le plus grand, ÔC ne jamais tendre
a faire un contrat infidieux, qui peut, il eft vrai,
produire un bien paffager, mais illicite ôc honteux ;
ôc qui, au lieu de faire, d’un prince ôc d’un peuple
etranger un allié , un ami, en fera pour toujours
peut-être un ennemi implacable. Si on exige plus
de droiture & d ’honneur dans un homme dont la
raifon a été plus cultivée par l’éducation, que ne
l’eft celle du commun des hommes, que ne doit-on
pas attendre d’un prince,, d’un fénat, d’un aréopage?
La foi qu’ils doivent montrer dans leurs engagements
doit être fublime comme leur rang,
éclatante & pure comme la majefté royale ôc nationale.
Loin d’eux les rufes cachées , les mots captieux,,
des bas artifices. Les petites jouiffances fe-
crettes de la fourberie ne peuvent s’allier avec la
grandeur publique des fouverains ôc des peuples.
Plus ils font élevés, moins long-temps les pièges
qu’ils ont voulu tendre peuvent être dérobés. S’ils
ont trompé leurs alliés, qui voudra l’être ? S’ils manquent
à la foi donnée , que deviendront le crédit
ôc la confiance publique, qui font leurs principales
forces? L’un ÔC l’autre s’affpiblira, s’anéantira
peut-être ; les reffources du fouverain ÔC de l’état
diminueront; le fouverain, foit peuple, foit roi,
perdra fes tréfors , fes villes , fes provinces, peut-
être même l’empire. Lorfque l’ambaffadeur de
François Ier. preffa Charles-Quint de déclarer s’il
n’ayoit pas promis le Milanois pour le duc d’Orléans
, ôc que l’empereur lui répondit n’avoir fait
cette promeffe qu’à des conditions impoffibles au
roi de France ; les hommes qui connoiffent la foi-
bleffe d’une grandeur fondée fur l’impofture pourraient
prévoir que celle de Charles ne ferait pas
durable.
Le peuple Romain ayant accordé aux Carthaginois,
avec la liberté, l’ufage de leurs loix, de
leurs terres Ôc de leurs biens., à condition que
dans trente jours trois cents ôtages, fils de féna-
teurs , ou des principaux citoyens, feroient envoyés
à Lifybée, ôc que la république exécuterait
les ordres que lui porterait le conful; Carthage
remplit ces conditions ; ôc les ôtages furent livrés.
Alors Marcus Cenforius demanda les armes des
Carthaginois, ôc ordonna, de la part du fénat Ôc
du peuple Romain, que touts les citoyens de Carthage
, abandonnant :leur ville, allafient en bâtir
une autre à quatre-vingts ftades, ( trois lieues ) , au
moins de la mer. Il ajouta que, par le mot Carthage
énoncé dans le traité, le fénat ôc le peuple
avoient prétendu exprimer les Carthaginois ôc non
pas leur ville. Qui ne voit ici que le temps des
Fabricius étoitpaffé, que la gloire ôc la majefté du
peuple Romain alloient perdre leur éclat, que l’inimitié
des peuples étrangers commençoit pour-ne
plus finir, ôc que déjà le formoient les germes des
fiecles de Tibère, de Néron, de Caligula. Telles
fpnt 9 dans touts les temps, les fuites de l’injuftice :
il n’y a de folide puiffance ôc de grandeur durable,
que dans la raifon , l’ordre ÔC la vertu.
Mais, comme les efprits les plus éclairés font
fujets à l’erreur, elle peut fe gliffer, à l’infçu
des deux parties, dans les elaufes d’une allian c e.
De même alors qu’un contrat entre particulier
devient nul, fi une partie eft évidemment léfée ,
celui que deux puiffançes ont fait, l’eft auffi ; ÔC
l’équité demande qu’il foit refait ou interprêté de
bonne foi. Lorfqu’elles n’agiffent ni l’une ni l’autre
d’après des principes oppreffifs, ce qui paroît
difficile ôc compliqué à la politique infidieufe ÔC
fourde, s’applanit dans un inftant aux yeux de la
droiture : tout eft facile ôc doux entre les hommes
jüftes.
Les jurifoonfultes publiciftes ont examiné les cas
principaux où une allian c e peut devenir nulle ;
ôc, pour jetter plus de lumière fur cet objet, ils
divifent les allianc es en personnelles ou réelles. Les
perfonnelles, difent-ils, font celles que l’on fait
avec un roi confidéré perfonnellement, en forte
que le traité expire avec lui ; les réelles font celles
où l’on traite avec tout le corps de l’état, ôc qui
par conféquent fubfiftent après la mort du roi ou
des chefs dü peuple. Mais cette divifion, au lieu
, de mettre en un plus grand jour le fond de la
matière ÔC les principes primitifs, n’y—répand-elle
pas au contraire quelque obfcurité? Ne perdons
pas de vue que dans une allian c e le fouverain
agit comme tuteur du peuple. Ce n’eft jamais
perfonnellement qu’ils peuvent contra&er. tl y a
des a llia n c e s , dit Puffendorf, que les rois font
perfonnellement, dans l’intention qu’elles finiffent
avec eux. Qu’il me foit permis de demander
comment ils peuvent avoir cette intention, s’ils
croient le traité utile à leur peuple ? Ne doivent-
ils pas au contraire avoir celle de lui donner toute
la perpétuité dont les chofes humaines peuvent être
fufceptiblës ? S’ils ne l’ont pas jugé utile à leur
peuple, comment l’ont-ils fait? Et, s’ils n’ont eu
pour objet que leur intérêt, c’eft une tranfaélion
fimple qui rentre dans la claffe des contrats particuliers.
Cependant admettons avec Grôtiüs cette divifion,
ôc voyons à quels cara&eres bfi peut rë-
cohnoître , fuivant lui, fi une àlliân'ce cohtraélée
par un roi eft perfonnelle ou réelle;
« S’il y a , dit-il, uné claufe exprefle qui porte
que le traité eft fait à perpétuité , ou pour le bien
du royaume, ou avec le roi pour .lüi ôc fes fuC7
ceffeurs , ou pour un certain temps limité ; on
voit affez par-là que le traité eft r é e l, ôt quelquefois
la nature de Y a lliance autorife à lé fuppofer ».
Obfervons que touts les traités ont porté, portent,
ôc porteront, foit expreffénient, foit tacitement,
qu’ils font faits pour le bien du royaume : ainfi touts
feroient réels.
« S’il y a des préfomptions égales de part ôc
d’autre, il faut tenir pour réelles les alliances
dont l’objet eft favorable aux deux parties, ÔC pour
perfonnelles les allianc es faites fuivant des vues
dont l’avantage Ôc la juftice ne font pas biéh évi-
. dents. Ainfi on regardera comme très réelles celles
dont la paix eft l’objet, ou bien la défenfe légitime
de l’un des alliés contre une puiffance ârti-
bitieufe, qui ne voudrait faire la guerre que pour
fon agrandiffement. Au contraire , celles dont
l’ambition ôc l’agreffion font les feules Caufès ,
doivent être regardées comme perfonnelles , ÔC
mourir avec fambitieux ».
: Mais, fi on ramène ceci aux fources du droit,
une allian c e de feule ambition eft une léfion évidente
du peuple au nom duquel le fouverain a
contrarié. C’eft un abüs de tutelle qui r'éhd Y a llia
nce nulle. Ce cas ne doit donc pas être compris
dans l’énumération ôc la divifion des alliances.
Bodin veut que lès rois ne foient point obligés
de tenir lès traités faits par leürs prédéceffeurs,
Il fe fonde fur ce que la force du ferment, qui
intervient pour l'ordinaire dans ces fortes d’engagements
, né s’étend au-delà de la perfonne qui a
juré. Mais rien n’empêche qu’une promeffe n’oblige
l'héritier dü promettant, quoique l’obligation du
ferment ajouté à là praftiéffe foit purement pér-
fonnëlle ; ôc il ri’éft pas vrai, comme cet auteur le
fuppofé , que lé' ferment foit l’unique bafe dès
traités. Là promette à par élle-même affez de forcé.
Si on ÿ âj'oüté le ferment, ' c’ëft pour donner uné
plus grande affurance qu’on l’obforvera religieufë-
mertt. Ici Bodin ne voyoit que le fouverain , ôc
perdoit l’état entièrement de vue.
A cés ràifohnémehts, Puffendorf àjôute lés dédiions
fuivantés. <t Un füccëfféur doit garder toutes
les conventions légitimes par iéfqüëlles fon prédé-
ceffëur a conféré quelque droit à un tiers ». Il né
|feïa peut-être pas inutile d’obferver ici que la fuc-
ceffion d’un roi eft la tutelle , l’admimliration des
biens du peuple en corps ; ôc que , dans touts les
pays où le peuple n’eft point efclavë , il ne fait
pas partie de la fucceffion du princê : ainfi la
comparaifon n’eft pas exacte.
« 11 eft confiant. que, fi un allié ayant déjà
exécuté ce à quoi il éioit tenu eh vertu dü traité ,
le roi vient à mourir, avant que d’avoir effeélué
cé à quoi il s’étoit engagé, fon füeceffeur doit in-
difpenfablettient ÿ fuppléer. Car, ce que l’autre
allié a exécuté fous condition de recevoir l’équivalent
ayant tourné à l’avantagé dé Tétât, ou du
moins été fait dans cette vu e, il eft clair que, fi
on n’effe&ue pas ce qu’il âvbit ftipiilé -, il acquiert
alors le même droit qu’un homme qui à payé ce
qu’il ne devoit pas ■, ou qui a prêté , St qu’ainfi le
fuceeffeur eft tenu, oü de le dédommager entiè-
réfnént de ce qu’il a fait où donné, ou de tenir
lui-même ce à quoi fon prédécèffëur s’étoit engagé.
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Quant aux alliances dont lés conditions n’ont été
exécutées en aucune manière, départ ni d’autre,
ou ne lé font qù’en partie, mais dè forte que ca
qui a été.fait de part & d’autre eft égal, voici
xine réponfe générale poüi- en jü'gët fâinement. Si
le rai a conttaélé comme chef du peuplé, (quand
çoritra&e-t-il autrëiiiént, ën qualité dè roi ) ? ôc en
vue du bien de l’état ; ( quand né le protëfte-t-il
pas)? U allian c e doit paffer pour téëllë, ôc par
conféquent pour obligatoire à l’égafd même du
fuccefi’eur qui eft devenu le chef du peuple, avec
les mêmës droits ôc lés mêmes charges que fori
prédécèffëur, dont lé traité obîi'ge'ôit 'tout lë corps
du peuple. Mais ; lorfque Y a lliance tefiddiréifte-
riient à l’avantage du roi ou dè fà famillè, il eft
clair que, lbrfqu’il vient à mourir, ou qüë fa famille
eft éteinte ; Y a llia n c e s’éteint avec elle; Cependant
il eft paffé én coutume que les fucteffèurs
doivent renouveller , du moins en tétines généraux
, les allianc es reconnues mânifeftèment pour
réelles ; ufage que Ton a établi $ afin que le füc-
ceffeur né prétendît pas fe difpenfër dé garder
Y a llia n c e , fous prétexte qüë Tétât n’en a encore
retiré aucun avantagé ; d’àutànt mieux qué ie fuc-
ceffeur poüvant avoir d’autres idées touchant les
intérêts de fon royaume, qué n’en avoit fon pré-
déceffeur, il fe croiroit aifément ën droit de. renoncer
à une dllia'ncë qu’il ttbüvérbit h’être plus
avantàgeufe à l’état ». j
Qu’il me foit permis de hàfafder quelques réflexions
fur la difcuflion de cés deux célèbres jù-
riféOiifultes. Cëtte àdmiffion dés ‘a llia n c e s perfonnelles
me paroît Contraire au fondement des lociétés
politiques, en ce qü’elle fépare le roi de fon peuple.
Pùifqu’ils font la force- l’un de l’autre, ce ferait
affurément rendre à touts deux un mauvais fervicé,
que de les confidérer ôc de lëS füppofe'r en cëtte
défùnion, qui , dànS fordre politique, feroit un
monftre. Si on ràppor’te ce qué difertt cés deux
auteurs aux foüdeirtents primitifs du droit, ( ôc c’eft:
toujours à cëtte foùrce fatrèe qu’il faüt ramener les
hommes, les peuples, les rois) ; on verra qu’il n’exifte
véritàblemènt que des 'alliances juftes oü injuftes ,
réelles ou nùllés. Toutës celles qu’ils comprênnent
fous là dénomination dé perfonnelles font évidemment
abufivès, injuftes, ôc 'milles. Il me femble
qù’on obfcürçifa toüjours les matières de droit,