
568 C A V
- tions Sl des manoeuvres pour pafler de trois rangs
fur quatre. Elles peuvent être employées avec
fuccès dans les exercices. Il eft bon d’y faire exécuter
certaines manoeuvres un peu plus çompli-
quéès & plus difficiles que celles dont il eft pof-
lible de faire ufage à la guerre , comme on donne
des femelles de plomb a ceux qu’on exerce à la
courfe : mais , quelque ingénieufes , quelque
fimples que l'oient ces manoeuvres pour un exercice
, elles ne font pas telles pour un champ de
bataille.
J’ai dit que l’épée eft l’arme de la cavalerie.
Le cavalier, en chargeant, ne doit frapper que
de pointe & au vifage. C’eft depuis longtemps
la méthode de là cavalerie frânçoife. M. le maré-
chaL de Puyfegur, ÇArt de la guerre. Tom^l. p, 252, )
rapporte » qu’au commencement de la guerre de
1670, quand les efcadrons fe chargeoienj, c’étoit
le plus louvent à coups de moufqueton : puis
ils faifoient un caracoi ; & , après avoir tourné >
revenoient à la charge , foit pour tirçr de nouveau,
ou pour charger l’épée à la main : mais ,
depuis ce temps-là cp qui s’eft le plus pratiqué
ajoute-1-il ; ç’eft que , quand des troupes de
cavalerie marchent l’une contre l’autre , les efcadrons
fe choquent de front, & à coups d’épées
cherchent à fe rpnverfer ; & il y pu a fprt peu
qui tirent, fur-tout les nôtres ».
M. de Puyfegur blâme l ’ancienne méthode ;
mais il veut que les cavaliers , avant de charger
l ’épée à la main, tirent de fort près. Il cite 4 ce
fujet l’exemple d’une ligne de cavalerie ennemie ,
qui voyant là nôtre marcher a u pas , pour la charger
l’épée àla main , fans fe fervir d’aucune arme à fep ,
« p r it, dit - il, tant officiers que cavaliers , le rqouf-
que ton de la main droite , quç de cçtte feule
main ils couchèrent çn joue. Dès que le coup
ffit parti, ijs laifsèrent tomber je moufqueton ,
qui étoit attaché à la bandoulière ; 6c f empoignant
leurs épées , ils reçurent notre cavalerie l’épée à
la main, & combattirent très bien, Par çe feu
tiré de près il tomba bien de nos gens : néanmoins
, malgré cela , comme qotre corps de cavalerie
étoit’ tout ce que nous avions de meilleur;
celle de l’ennemi ? quoiqu’elle fût encore plus •
nombreufe que la nôtre, fut battue. Mais ce ne
fut pas les armes £ feu dont il§ fe^fervirent qui j
.en furent caufe ; car , s?ils n’avoient pas tire , '&
tué des hommes de notre premier rang , ils au*
roient été plutôt renverfés. J’ai reconnu même que,
fi notre cavalerie qui renverfa cette lignç des’ennemis
avoit tiré , célle-ci n’auroit pas tiré avec la
même affurance qu’elle a pp faire *> & ? comme
nos troupes étoient un corps diftingué , il aurpit
commencé par mettre bien dçs horhrriçs hors dé
combat. A in fi, quand on dit que des efcadrons,
pour avoir tiré, ont été battus, je réponds que,
«|uand ils Sauraient pas tiré , ils ne Peùffent pas
feté moins. Dé pareillès raifons font fouvent un
prétexte pour né pas ayouer qu’on ç, iqal cgiq- ;
e a v
battu. Cela peut encore venir de ce que les officiers
6e les cavaliers ne font ni in fruits ni exercés.
».
On voit dans ce récit qu’alors la cavalerie mar-
choit au pas jufqu’à une petite, diftance de l’ennemi
, 6c que celui-ci , attendant la charge fars
s’ébranler ; ou , marchant de même au pas , faifoit
halte pour tirer, Dans une pareille charge , il étoit
poftîble que la cavalerie fît ufage du moufqueton.
Cependant il paroît que dès-lors fon feu avoit
peu d’effet. Les efcadrons qui nç tiroient point
battoient fouvent ceux qui tiroient, Prefque touts
les officiers regardoient ce feu comme inutile ; & ,
fi cette vérité netoit pas encore démontrée, c’eft ,
comme le dit dans un autre fens M. le maréchal,
parce que les officiers & les cavaliers n étoient ni
infruits ni exercés. Aujourd’hui cé feu feroit im-
poffibje. Quel fçu poprroit faire une troupe qui
s’ébranle au trot à mille ou huit cents pas de celle
qu’elle va charger ? & prepd le galop à quatre ou
cinq cents pas ?
Le même auteur ajoute ; << malgré cette opinion
contre l’ufage de faire tirer la cavalerie, on
n’a pas laiffé depuis d’obliger, même par les ordonnances,
• • • • de porter cjçs. moufquetons ? voilà
ce qu’il difoiç ôç çe que nous difohs encore.
uittaquc de l'infanterie par la cavalerie.
L’attaque de la cavalerie ne le faifapt que par le
choc, if'faut fuppofer ici que l’infanterie attaquée
eft en plaine, qu’elle n’a devant elle ni ravins, nf
foffés , ni ruiffeaux , ni cheyaux de frife , qui l’em-
pêçhent d’être abordée , & qu’elle eft armée comme
çelle de notre temps ; réfervant à l’article infant
terie d’examiner fi d’autres armes ne lui feroient
pas plus avantageufes dans cette cffçonftance.
Plaçons Pne ligne d’infanterie dans l’ordre ordinaire
? & donnon§-lui feulement la furçté de fes
flancs.. L§ teul moyen de défenfe qu’elîç ait eft fon
feu. 5uppofon§ le fropt de la ligne de cavalerie
égal au lien. Cejlç-çi, lorfqu’elle a des troupes lé'-s "
gères ? doi|: les envoyer d’abord à l’efcarmouche ,
pour engager les bataillons à tirer, à fe dégarnir
d’une partie de leur fgju , ôç mafquer fes premiers
mouvements pour aller à la charge. Çe,
dernier objet fera mieux rempli fur un terrein fec ,
duquel pourront s’élever des nuaggs de pouffière.
Ces nuages çn même tç.mps mettront à couvert les
troupes légères : l’infanterie nç pourra tirer qu’aq
hafard fpr les efcarmoucheurs. Dans ce cas, afin
d’atteindre plus complètement à l’objet de rendre
le feu inutile ou moins dangereux ? on pourra
former de plus gros pelotons de troupes légères ;
q u i, s’approchant davantage des bataillons, pourront
être' pris pour les efcadrons même Sc attirer
tout lo ffiu dés bataillons , ou du moins d’une
partie..Alors toutes les troupes de cette efcarmouche
fe retirerqnt proprement par les intervalles de la
lign?:
Ces
C AV
Ces intervalles doivent être grands, & au moins
égaux au front d’un efcadron. Le mouvement dont
je vais parler donnera encore plus d efpace pour
la retraite des troupes légères. La grandeur^ de
ces intervalles peut être ici telle qu’on voudra,
parce que les- flancs des efcadrons n’ont pas befoin
de proteétion contre, l’infanterie : leur vîteffe les
met toujours à couvert. A la diftance d’environ
quatre ou cinq cents -pas , une moitié de chaque
elcadron prendra le galop , & à cent ou . cent
cinquante pas , s’abandonnera au grand galop
pour la charge : l’autre moitié fuivra au trot. L'infanterie
déjà inquiétée par l’efcarmouche, aveuglee
par.la pouffière & la fumée, incertaine & irre-
folue , croira ou que l’efcarmouche fe renouvelle ,
Si. elle ménagera fon feu ; ou qu’elle eft chargée
fur tout fon front, & alors elle fe dégarnira de
prefque tout fon feu, Dans le premier cas, les
demi-efeadrons qui précèdent éprouveront peu de
perte , & le fuccès de leur choc eft alluré. Dans
le fécond, ces mêmes troupes peuvent effuyer
une décharge très meurtrière : mais alors les demi-
efeadrons qui font au trot, prenant le galop, trouveront
leurs ennemis avec des fufils vuides &. par
conféquent fans défenfe. Si la cavalerie n’avoit pas
de troupes légères, on pourrôit fe fervir de pelotons
détachés pour la même manoeuvre.
Suppofons maintenant l’infanterie marchant en
colonne, en plaine, & n’ayant aucun appui. Elle
forme un re&angle dont le long côté eft le* plus
fort" parce qu’il a plus de feu. Le plus petit côté
eft moins fo r t, & les quatre angles font doublement
foibles, en ce qu’ils font faciles à emporter,
& qu’ils ne font défendus par aucun feu. Il faut
donc attaquer les petits côtés & les angles. La
plus grande profondeur que l’on y trouve n’eft pas
'un obftacle : foit que l’on attaque le grand ou le
petit côté, il s’agit non de renverfer ou d’emporter
la totalité de la mafle, mais d’y faire des trouées ,
ÔL cela n’eft pas plus difficile par un côté que par
l’autre; mais il eft important d’expofer un moindre
nombre d’hommes. ,
La cavalerie fe préfentera fur un des petits côtés
ou fur les deux, fi elle eft nombreufe : & , lorsqu’elle
eft très fupérieure en nombre , elle entourera
la colonne , pour atirer fon attention de toutes
parts. On emploîra le moyen donné ci-deffus pour
dégarnir les premiers rangs de leur feu ; & , fi
l’on y réuffit, on chargera fubitement & vivement
, ce petit côté à front égal , en tâchant d’y
faire une trouée. En même temps , les deux ailes
de la divifion qui charge , fe dirigeant un peu obliquement
, tendront à emporter les deux angles ;
ce qui fera facile , vu leur foïbleffe ; & , dès qu’ils
le feront, deux pelotons de huit ou dix cavaliers
de front, placés en arrière à quelque diftance de
la divifion qui charge, viendront dire&ement,
Suivant la diagonale , charger ces angles émouffés.
Il eft difficile-que ces charges étant bien faites, ne
Jàffent pas quelque ouverture , 8ç le fuccès del’at--
Ârt militaire. Tome 1.
C- A V 56 9
taque ceffe alors d’être douteux. On attaquera de
même un bataillon rectangle à centre vuid e , ou un
quarré à centre plein ou vuide, avec cette différence
que pour 'ceux-ci le choix du côté eft in-,
. différent.
• M. le maréchal de Puyfegur, Sentant les dé-*
fauts de la colonne ou de l’ordre quarré , a pro-
pofé d’y fubftituer l’ordre circulaire. Quand un
homme.Seul , dit-il , fe voit attaqué par deux ou
trois ,. s’il trouve un arbre ou une muraille, il s’y
adoffe- pour qu’on ne le prenne pas par derrière.
S’ils Sont deux ou trois , & qu’ils ayent affaire à
un plus grand nombre,.ils fe mettent dos à dos,
afin de faire tête de touts côtés. S’ils étoient plu-
fieurs , mais fort inférieurs par le nombre r ils tâ-
cheroient de fe mettre en rond, pour n’avoir aucun
endroit plus foible que l’autre. Ce que font là les
hommes, la nature apprend aux bêtes même à le
pratiquer : elles s’attroupent, & cherchent à faire
face de touts côtés pour la défenfe commune,
cachant &. mettant à couvert ,1e plus qu’il eft pof-
fible , les parties les plus foibles qu’elles ayent.
Le principe qui fait agir ce petit nombre-
d’hommes, pour faire front par-tout, eft le même
pour un plus grand».
Non , il n’eft point le même , & c’eft ici.qu’eft
le paralogifme. La co.nclufton eft déduite du particulier
au général : ce qui convient à quelques
efpèces d’âniraaux peut ne pas convenir à d’autres :
ce qui convient au refte des animaux peut ne pas
convenir à l’homme : ce qui convient à un petit
nombre d’hommes peut ne pas convenir à un grand
nombre. Pafce qu’un homme s’adoffe à un arbre pour
fe défendre contre plufteurs, faut-il qu’une armée inférieure
en nombre s’adoffe à un marais ou à une rivière
? Difons encore que ce qui convient à, des
hommes armés de telle manière ne convient point à
d’autres hommes armés d’une autre manière. Parce
que cinq ou fix hommes fe mettent dos à dos pour fe
défendre l’épée à la main contre dix ou douze
fpadafïins , il ne s’enfuit pas qu’ils duffeut le faire ,
s’ils étoient armés de fufils , & attaqués avec cette
arme : ils auroient alors un grand défavantage en
ce qu’ils préfenteroient un groupe aux coups de
leurs adverfaires , & ne tireroient jamais que fur
un d’eux. Il ne s’enfuit pas de la même fuppofi-
tion , avec plus de jufteffe, qu’une troupe attaquée
par uhe troupe fupérieure en nombre , avec des
armes de je t , de choc , & de main , dirigées avec
. art & intelligence, doive fe mettre dos à dos dans
l’ordre tirculaire. Il ne conviendroit pas plus à de
l’infanterie attaquée par de l’infanterie , qu’à de
l’infanterie attaquée par de la cavalerie. L’infan--
terie qui prend cette ordonnance 13e peut plus faire
aucun mouvement : toute fa défenfe eft dans fon
feu. Mais elle en rend ainfi l’effet auffi peu dangereux
qu’il peut l’être, parce qu’il devient conti-
tinuellement divergent & s’expofe à tout celui d’un
ennemi fupérieur , parce que ce feu devient, :
I au contraire de l’autre , continuellement conyer-
C c c c