nances qui l’en excluoient, une grêle de coups que
touts les chevaliers, & peut-être les dames elles-
mêmes , faifoiéht tomber fur lui, le puniffoit de fa
témérité , ôc lui apprenoit àrefpeâer l’honneur des
dames & les loix de la chevalerie. La merci des
dames, qu’il devoit réclamer à haute voix , étoit
feule capable de mettre des bornes au reffentiment
des chevaliers & au châtiment du coupable.
Je ne ferai point la description des lices pour le
tournoi, ni des tentes & des pavillons fuperbes dont
toute la campagne -étoit couverte aux environs , ni
des hours ; c’eft-à-dire des échaffauds dreffés autour
de la carrière où tant de braves &. de nobles
perfonnages dévoient lé fignaler. Je ne diftinguerai
point les différentes efpèces dé combats qui s’y
donn-oient ; joutes, caftilles, pas d’armes, & combats
à la foule. 11 me luffit de faire remarquer que ces
échaffauds , fouvent conftruits en forme de tours,
étoient partagés en loges & en gradins, décorés
avec toute la magnificence poflihle de riches tapis ,
de pavillons, de bannières , de banderolles, & d’é*
cuflons. Audi les deftinbit-on à placer les rois , les
reines , les princes & princeffes , & tout ce qui
eompofoit leur cour , les dames & les demoifelles ;
x enfin , les anciens chevaliers, qu’une longue expérience
au .maniement des armes avoit rendus les
juges les plus compétents. Ces refpeéfables vieillards
, à qui leur grand âge ne permettoit plus de
s’y diftinguer encore, touchés d’une tendreffe
pleine d’emme_pour cette jeunèfTe valeureufe ,
qui leur rappelloit le fbuvenir de leurs propres
exploits, voyoient avec plaifir leur antique valeur
renaître dans ces effains de jeunes guerriers.
La richeffe des étoffes & des pierreries rele-
voit l’éclat du fpeélacle. Des juges nommés exprès
, des maréchaux du camp , des confeillers ou
aftifta’nts , avoient en divers lieux des places marquées
pour maintenir dans le champ de bataille
les loix de la chevalerie & des tournois, & pour
donner leurs avis & leurs fecours à ceux qui pour-
roient en avoir befoin. Une multitude de rois ,
héraults , & pourfuivants d’armes, répandus de
toutes parts , avoient les yeux fixés fur touts les
combattants , pour faire un rapport fidèle des
coups qui fer oie nt portés & reçus. Ils avertifîoif-
foient d’avance les jeunes chevaliers, qui faifoient
leur première entrée dans les tournois de ce qu’ils
dévoient à la nobleffe de leurs ancêtres : « Sou-
viens-toi, s’écrioient-ils , de qui tu es fils , & ne
forligne pas ». Une foule de menefirrers , avec
toutes fortes d’inftruments d’une mufique guerrière
, étoient prêts à célébrer les proueffes qui
dévoient éclater dans cette grande journée. Des
valets ou des fergents prompts & aéiifs , avoient
ordre de fe porter de touts les cotés ou le fer vice
des lices-les appellerbit, foit pour donner des
armes aux combattants , foit pour contenir le
peuple dans le filence & le refpe’éh
Le bruit des fanfares annonçoit l’arrivée des
chevaliers fiaperbement armés & équipés , fiiivis
de leurs écuyers touts à cheval ; ils .s’avançoient
à pas lents, avec une contenance grave &. ma-
jeftueufe, Des dames & des demoifelles ame-
noient quelquefois fur les_rangs ces fiers efclaves
attachés avec des chaînes qu’elles leur ôtoient feulement,
lorfqu’entrés dans l’enceinte des lices ou
barrières, ils étoient prêts à s’élancer. Le titre
d’efclave , ou de ferviteur de la dame que
chacun nommoit hautement en entrant au tournoi
, étoit un titre d’honneur qui ne pouvoit
être acheté par de trop nobles exploits ; il etoit
regardé par celui qui le portoit comme un gage
gifluré de la viéioire, comme un engagement à
ne rien faire qui ne fût digne d’une qualité li
diffinguée. Servants d?amour , leur dit un de nos
poètes , dans une ballade qu’il cdmpola pour le
tournoi fait à Saint-Denis-, fous Charles V I , .au
commencement de mai 1389.
Servants d’Araour, regardés doucement
Aux échaffauts Anges de Paradis:
Lors jouterez fort & joyeufement,
Et vous ferez honorés & chéris.
A ce titre les dames daignaient joindre ordinairement
ce qu’on appelloit faveur , joyau , nobleffe
, nobley , ou enfeigne : c’étoit une écharpe ,
un vpile , une coeffe , une manche, une mantille,
un braffelet, un noeud, ou une boucle ; en un mot
quelque pièce détachée de leur habillement ou de
leur parure ; quelquefois un ouvrage tiffu de leurs
mains , dont le chevalier favorifé ornoit le» haut
de fon heaume ou de fa lance , fon écu , fa cotte
d’armes , quelqu’autre partie de fon armure & de
fon vêtement : fouvent dans la chaleur de l’aâion,
le fort des armes faifoit pafler ces gages précieux
au pouvoir d’un ennemi vainqueur j ou divers accidents
en oecafionnoient la* perte. En ce cas la
dame en renyoyoit d’autres à fon chevalier , pour
le confoler & pour relever fon courage : aihfi elle
l’animoit à fe venger, & à conquérir à fon tour
les faveurs dont fes adverfaires étoient parés &
dont il devoit enfuite lui faire une offrande. Ne
regardons point ces préfents comme des marques
puériles de l’afieflion des dames ; c’étoit un moyen
imaginé pour fuppiéer aux banderolles dés lances
& des cafques , & aux armoiries des écus , des
cottes , & des' bouffes, par lequel les fpeélateurs
diflinguoient chaque chevalier dans la foule des
combattants. Lorfque toutes ces marques , fans
lef quelles on ne pouvoit démêler ceux qui fe figna-r
loient,1 avoient été rompues ou déchirées , ce qui
arrivoit fouvent par les coups qu’ils fe- portoient
en fe heurtant & fe froiffant les uns les autres ,
& s’arrachant à. l’envi leurs armes & leurs vêtements
; les nouvelles faveurs qu’cm leur portoit
fervoient d’enfeignes aux dames pour reconnaître
celui qu’elles ne vouloient point perdrë de vue s
&. dont la gloire devoit rejaillir fur elles. Quelques*
unes de ces circonftances font empruntées des récits
de nos romanciers ; mais l’accord de ces auteurs
avec
dvec lès relations hiftoriques de ces. tournois ,
juûi’fie la fincérité de leur defcription. Enfin on ne
peut douter que les dames , attentives à ces combats
, ne priffent un intérêt fenfiblé aux- fiiccès de.
leurs champions. L ’attention des autres fpe«Orateurs,
n’étoit guère moins capable d’encourager les.com-
battants : chaque coup.de lance ou d’épée extraordinaire
ou fingulier, tout avantage, remarquable;
que remportait quelqu’un des tournoyants ,ÿ étoit
célébré par les fons éclatants des meneftriers ,
& par les voix des hérauts. Mille cris perçants
faifoient retentir à plufieurs repaies le nom du
vainqueur : ufage qui , dans notre langue, a formé
le mot de renommée , comme celui de grido dans
celle des Italiens , qui difent un. cavalière di gran
grïdo , pour fignifier un gentilhomme de grande
réputation. Mais fouvent les hérauts ne défignbient
les vainqueurs que par cette acclamation : honneur
au fils des preux. On vouloit aufii leur rappeller.
N gloire de leurs ancêtres,, & les avertir qué ce
n etoit qu’au bout de la carrière d’une vie illüftre
& fans tache que le titre de preux les attendoit ;
que s’ils fe relâchoient un inftarit, ce feul inftant |
pouvoit leur faire perdre le fruit de tant de .travaux.
D ’autres fois on crioit : l- amour des dames ,
la mort des hèraux, louenge & pris aux chevaliers
qui foutiennent les griefs, faits , & armes par
valeur , hardement, & proueffe efl guaige en fang
mêlé de fueur. Aux- efcrimessou tournois de la
veille , où ’fe danger étoit moins grand , on fe contentait
de crier : l'amour aux dames, la mort aux
chevaux.
. proportion des criées & huées qu’avoient ex-i
titees les hérauts & les meneffriers,, ils étoient
paves par les champions. Leurs préfents étoient
reçus avec d’autres cris ;' les mots de largeffe ou
nobleffe, c eft-a-dire libéralité , fe répétoient à
chaque distribution. Une des vertus ■ les plus re-
tommandées aux chevaliers étoit la générofité ;
c eft aufii la vertu que les jongleurs, les poètes, &
les-romanciers ont le plus exaltée, dans leurs chansons
& dans leurs écrits : elle fe fignaloit encore
par la richeffe ,dés armes & des habillements. Les
«tebris qui totnboient dans la carrière , les éclats
aes armes , les paillettes d’or & d’argent dont le
champ de bataille était jonché-, tout lé partageoit
entre les hérauts.& les meneftriers. On vit une
elpèce d imitation de ; cette antique magnificence
chevalerefque a la cour de Louis X I I I , lorfque
le duc de Bukingham , allant à, l’audience de la
reine , parut avec un habit chargé de perles que
Ion avoit exprès mal attachées.; il s’étoit ménagé
ce prétexte honnête de les faire accepter à ceux
qui les ramaffoien't pour les lui remettre.
Les principaux réglements dés-tournois, appellés
«vec juftice ÿjécole Je proueffe , dans. le roman
de Perceforefi, confiftoient. à frappèr non de là
pointe , mais du tranchant de l’épée à- ne point
combattre hors de fon rang-.àmé: point bleffer. le '
cheval de fon adyerfaite■; à ne porter des,coups
A n militaire. Tome I.
de lance,qu'au yiiàge &.entre les quatre membres,
c’eft-à-dire au plaftron ; à ne plus frapper un che-.
valier dès qu’il avoit; ôté la yifière de fon cafque ,
ou qu’il s’étoit déhaumé ; à ne point fe réunir plufieurs
contre un feul dans certains combats , comme celui
qui, .étoit proprement appelle joute. Le juge de
paix, çhpifi-par .les dames , avec une attention feru-
pU]eufe; & l'appareil le plus curieux , mais dont le.
• détail m’écarteroit trop de. mon objet principal,
: étoit .toujours prêt d’interpofer fon miniftère pacifique
, lorfqu'un chevalier., ayant violé par inadvertance
les loix du combat, avoit attiré contre lui.
feul les armes de plufieurs combattants. Le champion
des dames, armé d’une longue pique, ou d’une
lance, furmontée d’une coèffe , n’avoit pas plutôt
; abaiffé fur le heaume de, ce. chevalier le figue de la
I clémence & de la fauve-gar.de des dames, que l’on
'« » P ou voit, plus toucher, au coupable. Il étoit ab-
’ fous de fa faute, loifqu’on la croyoit en quelque
façon involontaire : mais fi l’on s’appercevoit
qu’il, eût eu delfein de la commettre , on devoit
la lui faire expier par une rigoureufe punition. Il
étpit jufte que .celles qui ayoient été lame de ces.
combats s y fuffent célébrées d’une façon particulière.
Les chevaliers ne términoient aucune joute
de lance , 1 fans - faire a leur honneur une dernière
joute qu’ils.-.nommoient le coup ou la lance des,
dames; & cet hommage ou tribut fe répétoit en
combattant pour elles à l’épée., à la hache d’armes,
& à la dague c’étoit, de .toutes les joutes , celle
qù l’on s’excitoit à faire les plus nobles efforts.
, Le tournoi fini , ori s’occupoit du foin de dif-
; tribuer-, avec toute l ’équité & l’impartialité pofi
: fibles , le prix que l’on avoit prOpofé , luivancles
divers, genres de force ,& d’adreffe'par lefquels on
; s-‘étoit diftingué ; foit, pour avoir brillé le plus grand
nombre de lances, foit'pour âvoirfaitie plus! beau
coup de lance ou d’épée, foit pour être refié plus
longtemps à cheval , fans, être démonté ni défar-
ço.nné ; foit enfin pour .avoir tenu plus longtemps
de pied ferme dans la. foule du tournoi lans fe
déhaumer, ou fans lever la vifière pour reprendre
haleine.ou fe délalTer,
Les officiers d’armes, dont les regards avoient
été. continuellement fixés fur cette multitude de
combattants , pour obferver tout ce qui fe paffoit
en faifoient leur rapport devant les juges & les
autres chevaliers propofés aüx joutes ; on alloit
encore:dans toüts les rangs recueillir les voix : enfin ,
' «es princes fouverains , les anciens chevaliers &
les juges, nommés exprès avant le.tournoi, pro-
nonçoiènt lé . nom du vainqueur. Souvent on a vu
la quefiion portée au pied du tribunal des dames
ou des demoifelles, & ,fouvent elles ont adjugé le
prix , comme, fouverair.es du tournoi. S'il arrivoit
qtfil.'ne fût,j.point .accordé, au -héros, -quelles en
avoient eftimé le plus digne , elles lui décernoièm
un fécond prix , qui n’étoit guère moins .glorieux
que leprem ie r,. & fouvent. peut-être plus flatteur
pour celui qui le recèroit. j
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