
& sûr, fut caufe que ce général négligea celui qui
fut donné par un partifan. Celui-ci lui mandoit que
touts les défilés qui féparoient les armées étoient
pleins d’infanterie , de cavalerie, & de canon.
Comme ce que lui marquoit ce partifan fe trouvoit ;
conforme à l’avis qu’il avoit reçu de fon efpion, i
il crut que ces troupes avancées dans les défilés i
n’étoient deftinées qu’aux furetés que , fuivant ce
faux avis, M. le prince d’Orange devoit prendre
pour fon fourrage.
Ainfi, ne pouvant troubler un fourrage pour la
fureté duquel l’ennemi prenoit de fi grandes précautions,
il demeura tranquille dans fon camp,
jufqu’à ce qu’il apprît tout-à-coup que l’armée ennemie
fortoit de toutes parts des défilés qui étoient
fort près de la tête de fon camp , qu’elle fe met-
toit en bataille, & que la brigade de Bourbon-
nois, qui étoit campée hors de la ligne pour
couvrir l’aile droite de cavalerie, étoit déjà attaquée
par un corps d’infanterie qui lui étoit fort
fupérieur. ■
Dans cette furprife générale fur tout le front de
l ’armée M- de Luxembourg eut befoin de toute fa
vivacité. Dans un moment l’armée eut pris les
armes & fe trouva en bàtaille à la tête de fon
camp. Le général porta même un fi prompt fe-
cours à la brigade de Bourbonnois , .qui, en perdant
fon camp, avoit abandonné quelques pièces
de canon placées à fa tête & que l’ennemi faifoit
déjà tirer contre l’armée du ro i, que cette brigade
, & les troupes qui avoient marché à fon
iecours , chafsèrent les ennemis de ce pofte qu’ils
venoient d’occuper, & reprirent notre canon.
Ainfi l’affaire commençoit à fe rétablir à la droite.
Le front de l’ennemi qui devoit attaquer le
nôtre trouva des difficultés à l’aborder, parce
qu’il y avoit en quelques endroits des haies,
affez claires pourtant, qui entouroient de petites,
prairies. Cette lenteur à charger la ligne par tout
fon front en même temps donna à nos troupes
celui de fe former. Lorfque l’ennemi, enflé du bon
fpccès de fa gauche contre la brigade de Bourbonnois
, voulut venir à la charge , il trouva une*
fi grande réfiftance que non-feulement il ne put
aborder notre front, mais même il fut contraint
de rétrograder , quand il vit que les troupes de
fa gauche avoiênt perdu le terrein du camp de la
brigade de Bourbonnois. Ce terrein abandonné
par tout le front donna le moyen à notre première
ligne de s’avancer & de laiffer à la fécondé
par ce mouvement un efpace fuffifant pour fe former
derrière la première : jufqu’alors nos deux
lignes avoient bien été fous les armés, mais feulement
à la tête de leur camp ; de forte que le camp
de la première fe trouvoit encore tout tendu
entre les deux lignes.
Enfin tout le front de l’armée , qui venoit de
fe faire un champ de bataille à la faveur de fon
v feu , s’avança fur l’ennemi déjà mis un peu en défor
dre par la perte d’hommes qu’il avoit faite , le
rejettaen confufion dans les défilés dont il étoit
forti pour combattre,& le contraignit d’abandonner
le canon qu’il avoit porté à fa tê te , & lé champ de
bataille couvert de dix à douze mille morts.
Il eft pourtant vraifemblable que, fi la droite de
l’ennemi , deftinée à attaquer \ Enghien & notre
gauche , ne s’étoit point égarée la nuit dans fa
I marche, & f i elle avoit attaqué la gauche en même
; temps que le combat avoit commencé à la droite
; & au centre, il auroit été bien plus difficile à
M. de Luxembourg de foutenir un effort général
depuis la droite jufqu’à la gauche, dans une cir-
conftance auffi imprévue.
Ce combat eft le plus fanglant qui ait été donné
de cette guerre. Le récit que je viens d’en faire me
fournira plùfieurs réflexions : les unes regarderont
M. le prince d’Orange, les autres M. de Luxembourg.
«Il eft certain qu’il.n’eft pas poffible à un général
de fe fervir plus avantageufement de la découverte
d’un elpion domeftique que M. le prince
d’Orange le fit en cette occafion. Il eft certain
même que le deffein de ce prince étoit grand Sc
devoit réuffir, s’il avoit été auffi vivement exécuté
qu’il avoit été judicieufement conduit.
M. dé Luxembourg n’avoit -fait aucune attention
aux avis donnés par fon partifan. D ’ailleurs
tout ce que ce partifan lui envoya dire fe trouvoit
fi conforme au faux avis que M. le prince d’Orange
lui avoit fait donner par cet efpion découvert,
qu’il ne fervit qu’à lui confirmer la fidélité exaéte
de fon efpion , & ne put le mettre en aucune
défiance. Ceci paroiffoit d’autant plus raifonnable
que le partifan, qui ne pouvoit voir que ce qui
fe faifoit à la tête des défilés , & non ce qui fe
paffoit à la queue , n’étoit en état d’informer M. de
Luxembourg que de ce qu’il croyoit avoir déjà
appris par fon efpion.
A in fi, l’armée du roi ayant devant elle des défilés
fort longs & fort difficiles à paffer, & commandée
par un général vigilant, alloit être furj
prife dans fon camp & battue , .fi M. le prince
d’Orange avoit, comme je l’ai dit, auffi 'rivement
exécute que judicieufement penfé.
Ce prince n’auroit pas dû fe former & fe mettre
en bataille à la fortie des défilés. Comme il mar-
choit fur plufieurs colonnes, & débouchoit par
plufieurs défilés, toutes ces colonnes dévoient
attaquer le front du camp qui leur étoit oppofé,
afin de porter par-tout la difficulté de prendre les
armes & de former un front. Il lui fuffifoit que
ces colonnes pénétraffent ce camp, pour mettre
le défordre par-tout, & pour faîrè profpérer en un
moment les efforts qu’il faifoit faire en colonne
par les troupes dê fa première ligne.
Voilà comme il devoit fe conduire pour l’attaque
du camp avec les troupes de fa première ligne.
Celles de la fécondé auroient dû fe mettre en
bataille , tant pour foutenir la première , qui atta-
i quoit en colonne, que pour montrer 4 notre armée;
ce front prêt a agir, & lui ôter par cette démonf-
tration la penfée de fe former derrière le camp,
après l’avoir abandonné par l’impoffibilité d’en
conferver la tête.
L’attaque d’une armée entière furprife dans fon
camp doit être exécutée par des colonnes fortes ,
qui ouvrent, pénètrent,& féparent le camp. Cela
fuffit pour fa deftruéfion: un champ de bataille
fe trouve ordinairement à . la tête du camp, ÔC
prefque jamais à la queue.
> Il ne faut donc pas donner à une armée que
l ’on veut furprendre dans fon camp le temps de fe
mettre en bataille , & il faut l’aborder avec tant
de vivacité qu’on lui ôte la poffibilité de fe former
.à fa tête : cela feul force l’armée à une fuite
honteufe & en défordre, &. à l’abandon de touts
fes bagages.
Voilà quelle a été la principale faute commife
par M. lè prince d’Orange , dans l ’exécution d’un
projet d’ailleurs fort bien concerté & fort heureusement
conduit.
A l’égard de M. de Luxembourg, il doit être
loué de la vivacité avec laquelle il donna fes
ordres pour mettre fon armée en bataille, &
remédia au premier défordre de la droite; de la
hardieffe avec laquelle il fit prendre un champ de
bataille à fon armée , qui n’en avoit point au commencement
de l’a&ion ; & de la conduite avec laquelle
il profita du premier mouvement en-arrière
qu’il vit faire à l’ennemi, pour le mettre en défordre
& le rejetter dans fes défilés.
Cet exemple me fournit une réflexion générale,
utile à touts 'ceux qui fe trouvent chargés des
affaires , foit de guerre, foit de politique. C ’eft
qu’on doit toujours comparer touts les différents
avis que l’on reçoit fur un même fujet,fans crue
la prévention de la fureté de l’un faffe négliger la
moindre précaution pour fe garantir contre l’évènement
que pourroit annoncer celui qu’on aura
cru le moins sûr , en cas qu’il fe trouvât pourtant
le plus véritable.
Quoique, de touts les avis, ceux qui viennent
d’un correfpondant, ou d’un efpion dont oh a fou-
vent éprouvé la fidélité , paroiffent devoir être
les plus sûrs, il eft pourtant poffible que ce correfpondant
, ou cet efpion qu’on croit le plus fidèle,
puifle être double , ou avoir été découvert & forcé
à donner un faux avis. C ’eft pourquoi il eft toujours
prudent de comparer enfemble touts les avis que
l’on reçoit Tur un même fujet, & de chercher à
s’affurer de la vérité de plùfieurs manières.
B A T A I L L E D E N E R W I N D E .
Le 2.9 Juillet de l’année 1693 fe donna la bataille
de Nerwinde.
L’ennemi , à la première vue de la cavalerie
de 1’ armée du roi, auroit pu, s’il n’avoit point voulu i
combattre , quitter fon camp & mettre la Gèthe :
«levant lui. Il avoit plus de temps qu’il ne lui en
falloit pour faire ce mouvement avec fureté ; mais
il crut pouvoir rendre fon pofte fi bon que M. de
Luxembourg n’oferoit l’y attaquer.
Voici quelle fut la difpofition de M. le prince
d’Orange. U retrancha le front de fon camp, où il
le crut néceffaire ; il mit de l’infanterie dans le
village de Nerwinde, qui fut auffi retranché. Ce
village, fitué à fon centre, tenoit par derrière à
fa ligne d’infanterie, & par fes côtés au retranchement
; de forte qu’il ne pouvoit être embraffé.
M. le prince d’Orange occupa à fa gauche ie
village de Romsdorff, fur le bord du ruiffeau de
Landen: il retrancha auffi la tête de ce village,
qui par le flanc tenoit au retranchement. Sa droite
étoit appuyée à la Gèthe , & couverte depuis
cette rivière jufqu’à Nerwinde d’une forte haie,
qu’on ne pouvoit paffer qu’en défilant un à un.
Tout le front étoit couvert de plus de cent pièces
de canon.
La difpofition de M. de Luxembourg fut telle
que je vais le dire. Ce général, comme je l’ai déjà
fait remarquer, étoit arrivé à la vue du camp ennemi
, vers les trois heures après .midi, feulement
avec fon aile droite de cavalerie ; le refte de l’armée
ne put arriver que depuis ce temps - là jufqu’à
minuit. Cependant M. de Luxembourg s’avança
avec fa cavalerie jufqu’à la hauteur du village de
Sainte-Gertrude. Le front de la plaine étant affez
refferré, il y plaçoit les troupes fur plufieurs lignes , .
à mefure qu’elles arrivoient.
Les quatre premiers bataillons qui arrivèrent
furent employés à chaffer les détachements de
l’armée ennemie qui occupoient Landen. Ce village
étoit un peu à la tête de la gauche du. camp
de l’ennemi, & devoit le lendemain, jour de la
bataille, être à la droitè de l’armée du roi, lorf-
qu’elle marcheroit à l’ennemi.
Cette première faute que fit M. îe prince d’Orange
, en ne foutenant point ce pofte , & en
l’abandonnant trop facilement, dontïa le moyen à
M. de Luxembourg de placer pendant la nuit plus
de quarante bataillons entre Landen & Romsdorff,
& à la gauche de Lafrden, devant la gauche de
l’ennemi, dont la cavalerie de l’aile gauche n’ayant
pas affez de terrein fur le front, ni même de fond
pour fe placer derrière l’infanterie retranchée , fut
obligée de le mettre en potence , la droite au-
deffus de Romsdorff, & la gauche fur L o o , fai-
fant face au ruiffeau de Landen.
Cette difpofition particulière de la gauche de
l’ennemi, de laquelle je n’ai point parlé en difant
quelle étoit la générale pour fon front, rendit cette
aile inutile pendant la bataille , comme je le dirai
dans la fuite.
Voilà quelle fut îa difpofition de l’infanterie de
la droite de l’armée du roi pour l’attaque du lendemain.
La cavalerie de la droite étoit, comme je Fai
d it, >reftée à la hauteur du village de Sainte-
Gertrude, ÔUes feize efcadrons de dragons de la