
pour y féjourner encore. Louvois haïffoit Tu-
renne : il blâma fa conduite. Il prétendoif que ce
general ne devoit pas abandonner ainfiTAlface à
i ennemi, & lui laiffer la voie ouverte pour pénétrer
dans la campagne prochaine au centre de
la France. Le public même, furpris de la retraite
de ce général, mais cependant plus. circonfpeél,
le plaignoit de ce que fes grands talents n’étoient
pas fécondés par la fortune. Ces murmures, que
1 électeur pouvoit ne pas ignorer , dévoient faire
plaifir a Turenne, en ce qu’ils étoient capables
«augmenter la paix dont jouiffoit pleinement
1 armée "ennemie. On y crut en effet que les François
s’étoient entièrement retirés. On s’y mit plus
a fon aife ; on s’étendit encore ; oh fe difperfa ;
on fe garda plus négligemment.
Au mois de décembre Turenne prend les dix
mille hommes de Saux, les divife en petites troupes
, ainlî que les corps qu’il avoit ramenés d’A l-
la c e , met de vieux omciers à la tête de ‘chacune,
& donne a chacun de ces chefs des ordres particuliers.
Touts partent fans que chacun d’eux fçache
ou les autres vont. Leurs routes 8c leurs logements
font combinés de manière qu’ils peuvent
le raffembler dans vingt-quatre heures.
Ils marchent ainli à peu de diftance les uns
des autres, fans le fçavoir, & Tans que les habitants
du pays euffent connoiffance du mouvement
de l’armée entière : il n’étoit connu que
du général. La rigueur de la faifon contribuoit à
le dérober. En ce temps de l’année les voyages
font plus rares, les travaux de la campagne prefque
fufpendus, les hommes plus retirés dans leurs mai-
fons. Ceux qui voyoient un détachement paffer
dans un village , _croyoient qu’il fe rendoit à fon
quartier.
Ces différentes troupes marchèrent troisfemaines
au milieu des neiges, des torrents débordés , des
pluies abondantesdes vents glacés, par des chemins
prefque impraticables. Elles ne fçavoient pas
■ encore l’objet de cette marche extraordinaire,
mais elles connoiffoient la fageffe 8c la profondeur
de leur général. Elles étoient bien certaines qu’il
ne les expofoit pas fans un grand deffein à tant
de fatigues : elles les furmontèrent.
Le rendez-vous général étoit Béfort, à l’extrémité
de la haute Allâce. Chacun, en y arrivant,
fut rempli d’étonnement, de confiance, & de jo ie ,
en y voyant l’armée entière. Turenne, fans perdre
un inftant, marche au delà de Béfort, diflipe les
troupes de Munfter qui s’étoient raffemblées 8c
alloient vers Mulhaufen, les oblige à fuir vers
Bafle pour y paffer le Rhin, 8c s’avance rapidement
fur Colmar ou les quartiers ennemis s’étoient
raffemblés. Leur gauche étoit à Colmar 8c
à l’I l l , leur droite à la Fèche dont un bras cou-
vroit leur front ; ils y avoient fait des retranchements
: cette pofition paroiffoit inattaquable. Tu- .
renne l’ayant reconnue fuivit fa méthode ordi- !
paire, celle d’épargner le fang du fpldat. 11 tenta
de les forcer à quitter leur pofte fans engager une
a&ion générale. Dans cette réfolution, il déploie
toute fon armée en leur préfence , 8c fe porte fur
fa droite du côté* de la v ille , comme s’il vouloit
y faire fa principale attaque. Ce mouvement fixa
de ce côté l’attention des ennemis : toutes leurs
forces y furent portées.
Mais le général François faifoit paffer un gros
corps de troupes à couvert de haies 8c de ravins
qui étoient fur fa gauche, pour fe porter fur le
flanc droit des ennemis 8c s’emparer de la petite
ville 8c des hauteurs de Turkeim, que l’éleélèur
avoit fait la faute de ne pas occuper ; celui - ci
s’en apperçut. Auffi-tôt il détacha douze bataillons
. avec fix pièces de canon 8c un grand corps de
cavalerie, pour s’oppofer au détachement françpis*
Turenne nt avancer des troupes fous les ordres
du général Foucaut, pour attaquer ce corps ennemi
pofté le long de la Fèche. Il lui ordonna
de n’attaquer qu’une heure avant le coucher du
foleil, & de ne pas fuivre l’ennemi quand il l’au- '
roit dépofté, afin de ne point engager Üaiïfon
générale. Çet officier exécuta les ordres qu’il avoit
reçus. Le détachement ennemi fut repouffé, les
François entrèrent dans Turkeim, & occupèrent
les hauteurs. L’éleéteur voyant fon flanc droit
tourné, fe retira pendant la nuit. Contraint d’abandonner'la
haute Alface , ne pouvant fubfifter
dans la baffe, pays ruiné, où il auroit eu derrière
lui deux places ennemies, il repaffa le Rhin à
Strasbourg; 8c Turenne ayant pourvu à la fureté
de cette province , vint recevoir ~le prix dû à
fon génie 8c à fes vertus , les applaudiffements
de fa nation & les témoignages publics de fa
’ reconnoiffance.
Prévenir la retraite de fes alliés.
Vous devez encore livrer bataille , lorfque
vous avez un grand nombre de troupes alliées
qui doivent bientôt fe retirais .Leur retraite vous
mettroit hors d’état de réfifter, fi vous ne vous
empariez de la fupériorité par un grand avantage;
6c fuppofé que vous puimez tenir la campagne
après leur retraite , vos. propres troupes ne lou-
tiendront pas le danger entier ; vos alliés l’auront
partagé.
Le maréchal de Lautrec, commandant de l’armée
françoife en Italie, cherchoit une occafion favorable
pour attaquer Profper Colonne 6c les Impériaux
: il avoit attiré fes ennemis près de Pavie ,
dont il avoit formé le fiège. Un affaut donné fans
fuccès, un fecours de deux mille Efpagnols entrés
dans la place à la faveur d’une nuit obfcure, 6t
.la préfence de Colonne occupant un pofte d’où
il pouvoit fecourir la ville 6c en et. e fe couru ,
força Lautrec à s’éloigner. Il s’approcha de Milan
qu’il fçavoit être prefque fans défenfe, dans l’efpé-
rance d’y prévenir l’ennemi ou de l’engager au
/combat* Colonne le prévint lui-même par dçs
- marches «forcées, & vint camper à la Bicoque, à
trois milles de Milan. La Bicoque étoit un châ-
' teau fttué.dans un parc, environné de foffés pro-
| fonds , & fi vaftes que vingt mille hommes pou-
i voient s’y mettre en bataille. Le général des Impériaux
fit réparer les foffés, conftruire un grand
nombre de batteries, & rendit ce pofte. très ref-
peélable. Le deffein de Lautrec étoit de forcer
Colonne, fans combat, à fortir de ce camp, &
de l’attirer en quelque lieu moins avantageux ;
mais les Suiffes, qui faifoient une partie de fon
armée , l’obligèrent à combattre, mécontents de
n’avoir touche depuis long-temps qu’une petite
partie de leur folde. Ils repréfentèrent qu’aucun
intérêt perfonnelne lesengageoit dans cette guerre,
qu’ils n’avoient quitté leur patrie & leurs familles
que par attachement pour la France, qu’ils efpé-
roient depuis long-temps leur payement, finon
dans fon entier, du moins en partie fuffifante pour
les mettre à l’abri du befoin, 6c qu’on ne les
payoit qu’en paroles : que , pour montrer à toute
l ’Europe que ce n’étoit ni crainte ni mauvaife
volonté qui les faifoit penfer à fe retirer, le maréchal
pouvoit encore difpofer d’eux pour un jour,
les mener à l’ennemi, & voir ce qu’ils fçavoient
faire ; mais qu’ils étoient réfolus à fe retirer dès
' le lendemain.
Lautrec leur repréfenta qu’il n’y avoit eu ni
négligence ni mauvaife volonté dans le retarde-
' mçnt de leur paye, que l’argent qui leur étoit dû
- etoit déjà prefque entier dans la caiffe militaire
d’Arone ; qu’il ne. l’avoit pas encore fait apporter
au camp, de crainte qu’il fût enlevé. « Il y en a,
leur dit-il, une partie en route ; T avis en eft
arrivé. Il ne faut, pour le recevoir 6c recueillir
le fruit de,vos travaux, que.quelques jours de
patience. Ce délai.nous mettra en état d’attaquer
les ennemis avec avantage. Il eft plus fage d’attendre
que la difette les ait forcés à quitter leur
camp,que l’art & la nature ont rendu inexpugnable,
même à votre courage. » Les Suiffes, trompés*
plufieurs fois par de fauffes efpérances, fe refu-
ierent l à celles qu’on leur préfentoit. Ils firent
cette réponfe £ Lacédémonienne : Demain argent ou
bataille ; apres demain congé ; c h o i f j f e Tout le
delai qu’ils accordèrent fut le temps de recon-
lîoître le camp ennemi. Ils faifoient la principale
i force de l’armée. Le maréchal fut donc obligé de
recevoir^ la loi de ces fiers républicains. Il fit le
'lendemain, 23 avril 1522, les difpofitions fui-
y antes :
L marechal de Foix fut chargé d’attaquer, à
:1a tête de la gendarmerie de l’avant-garde , un
pont de pierre par où l’on pouvoit entrer dans
Je camp ennemi. Montmorenci avec huit mille
oumes eut l’attaque du côté oppofé à ce pont-
lautrec eommandoit le corps de bataille ; les V é l
miens formoiem Parrière-garde aux ordres du
duc d Urbain ; Pierre de Navarre , à la tête d’un
forps de pionniers, fut chargé d’ouvrir ôc applanir
1 les chemins ; Pontdormi , avec fa compagnie de
cinquante hommes d armes ou deux cents hommes,
& les nouveaux chevaliers, eut ordre de précéder
-le maréchal de Foix , afin de s’oppofer aux forties
imprévues que l’ennemi pourroit tenter, 8c de
marcher aux endroits où le fecours feroit le plus
néceffaire : fa troupe étoit une efpèce de réferve.
Montmorenci marcha droit aux retranchements.
Il s arrêta dans un vallon où. fon corps étoit à
couvert de 1 artillerie ennemie. Son deffein étoit
d’attendre que le canon refté en arrière fut arrivé,
6c que le maréchal de Foix fe fût approché du
pont : alors les ennemis, occupés par deux attaques
, auroient divife leurs forces; mais aufli impatients
qu’opiniâtres, les Suiffes le contraignirent
de marcher. Dès qu’ils furent fortis du vallon ,
l’artillerie ennemie les foudroya tellement, que
mille furent emportés par les premières décharges.
Ils coururent.au folié dans l’efpoir de franchir
l’efcarpe : elle étoit fi élevée qu’ils pouvoient à
peine en atteindre le fommet du bout de leurs
piques. Alors, des parties du retranchement qui
les voyoient à revers , l’ennemi fit un feu de
canon Ôc d’arquebufes fi meurtrier, qu’en peu d’inf- ■
tants trois mille hommes périrent avec la plupart
de leurs capitaines 6c plufieurs jeunes feigneurs
françois qui accompagnoient Montmorenci. Celui-
ci fut renverfé 6c tiré avec peine de deffous un
monceau de morts.
Cependant le maréchal de Foix 8c les gendarmes,'
ayant forcé le paffage du pont, avoient jetté un
nSra,nd,déiol'are Parmi l’ennemi, qu’ils fe crurent
allures de la viftoire ; & ils l’étoient, fi les Suiffes
euffent attaqué plus tard ou n’euffent pas refiffé
de revenir a la charge, ou fi notre gendarmerie
eut été foutenue par de .nouvelles troupes, 8c
fécondée par les Vénitiens. Ceux-ci, poftés hors
de la portée du canon, reftèrent dans lma&ion
pendant le combat.
Les ennemis, tranquilles par-tout ailleurs, por-
* toutes leurs forces,; contre la gendarmerie:
“ e ; obligée de fe retirer par le pont très étroit
quelle avoit forcé. Ce paffage difficile auroit pu
lui etre funefte, fi le maréchal de Foix n’eut fou-
tenu avec fermeté les efforts des ennemis jufqu’à
ce que toute Ta troupe eut paffé le pont.
Prévenir Vinconfiance de fes alliés.
Il faut aufli chercher à combattre, fi on a des
aihes inconftants ou peu. attachés. Annibal, con-
noillant la légéreté des Gaulois, s’empreffa d’attirer
au combat l’impétueux Sempronius. Les Carthaginois
vainqueurs s applaudirent d’un fuccès qui
avoit coûté la vie â un petit nombre d’Efpagnols
oc d Africains : la plupart de ceux qu’ils avoient
perdus étoient Gaulois.
Si vos alliés veulent fe retirer parce qu’ils ont
nm le temps convenu de* leur fervice, il faut les
exciter à combattre par le défit de la globe #u