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importe a l’etat, à ceux qui fournifTeiit le logement,
& a ceux qui font logés, que les troupes foient
toujours calernées.
C e que nous venons de dire du foldat eft en
partie applicable à ceux qui le commandent. Quand
l’officier eft logé chez le bourgeois , il a un appartement
plus commode & mieux meublé que celui
qu’il pourrait avoir dans un quartier ; mais cette
augmentation de meubles & cette multiplicité
d’appartements eft-elie un bien ? Loin de là; elle eft
un v ic e , puifqu’elle augmente les dépenfes ; objet
qu’on ne peut trop borner , puifque le furcroît eft
de lu xe, & que le luxe eft un des» grands fléaux
de l’état militaire. Enfin la permiflion que l’on
accorde a l’officier de loger chez le bourgeois eft
eflentiellement contraire au bien du fervice, puifqu’elle
éloigne l’officier de fa troupe , le chef de
fes officiers , & l’officier de l’officier.
Quand l’officier eft logé loin de fes foldats , il les
voit rarement, & ne peut guère furveiller fes
bas - officiers ; les uns & les autres boivent ..le
jour , courent la nuit ; l’infubordination & le libertinage
naiflent, & produifent une infinité de maux
phyfiques & moraux, également nuifibles au bien
de l’état.
Quand le chef eft logé loin des officiers de fon
segiment, il ne peut veiller fur leur conduite civile
&. militaire ; alors le défordre dans les moeurs,
& la négligence dans le fervice ne tardent pas à
paraître, Quand touts les officiers du même corps
ne font pas raffemblés' dans le même édifice , la
jeuneffe fe dérobe ai.fément à l’oeil jfévère de fes
mentors : elle échappe à la cenfure des anciens
officiers , & évite avec facilité les fages remontrances
de fes amis. Ce n’eft pas tout encore :
l ’amitié, ce fentiment qui eft aufli fouvent l’effet
de l’habitude que des impreflions que le coeur a
reçues ; l’amitie , qui fait le bonheur , & qui confti-
tue la force des corps militaires; l’amitié eft détruite
, ou s’affoiblit du moins , quand l’officier,
logé loin de fon camarade , le voit très rarement.
En logeant les foldats dans les maifons des particuliers
, qu’on a louées en entier pour cet effet,
on obvie , fans doute , à une partie des inconvénients
que nous venons de décrire; mais., pour
atteindre au bien, il refte encore beaucoup d’obf-
tacles difficiles à furmonter. I c i , le foin de trouver
les cafernes fera confié à des officiers municipaux,
q u i, pour épargner les revenus des villes , choisiront
les maifons dont lè loyer fera le moins cher.
Peu leur importe qu’elles foient faines , propres au
logement, & commodes ; pourvu qu’on puifle y
faire entrer le nombre de lits qui eft prefcrit par
l ’ordonnance , & qui eft porté par la revue ; voilà
tout ce qu’ils cherchent, voilà tout ce qu’on peut
ftri&ement exiger d’eux. Ces maifons font ordinairement
ou trop nouvellement conftruites pour
être habitées par des citoyens aifés, ou trop anciennement
bâties pour qu’ils ofent y faire leur demeure
;* ou bien elles font fituées dans quelque
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emplacement trop mal fain, trop infeéf, pour (}ue
le menu peuple même veuille s’y loger : aufli
l’état perd-il beaucoup plus de foldats dans les
cafernes de cette efpèce que dans les quartiers
ordinaires.
Pour fe mettre à l’abri des reproches qu’on pourroit
leur faire, les prépôfés aux logements objeftent
toujours que leur ville n’eft pas riche : « on ne
peut, difent-ils , forcer les propriétaires d’abandonner
leurs maifons ;. on ne peut déloger une
quantité de malheureux locataires qui ne fçauroient
oii fe réfugier. Acceptez, ajoutent-ils, en s’adreflant
aux chefs des régiments , acceptez dans ce moment
ci ce que nous vous offrons ; bien-tôt nous
aurons quelque chofe de meilleur à vous donner.
En attendant, nous ferons faire toutes les réparations
que vous jugerez convenables ». L’officier ,
féduit par cet air de franchife, & par cette apparence
d’humanité, accepte ce qu’on lui offre, &.
fait entrer la troupe dans les quartiers. Cependant,
le temps prefcrit s’écoule ; le changement n’arrive
pas ; les réparations ne Vont même pas faites ;
les pfficiers fupérieurs font de nouvelles repréfenta-
tions , & les officiers municipaux font naître de
nouvelles difficultés. Au milieu de ces débats ,
l’ordre de changer de garnifon arrive; un nouveau
régiment remplace celui qui vient de partir, ÔC
il éprouve à fon tour le même traitement.
Quand les militaires, repréfentent que les lits
qu’on leur a fournis font mauvais , les officiers
municipaux répondent : « cela eft vrai ; mais nos
concitoyens font pauvres; ce font des malheureux ,
qui font obligés de fe priver de ce qu’on les contraint
de porter aux cafernes ». O u i, fans doute ,
ceux qui fourniffent les meubles font dans cette
fituation fâcheufe ; mais, c’eft parce que , fous le
droit le moins apparent, fous le prétexte le plus
léger, & fouvent le moins jufte ,. on a exempté
de cette contribution une foule de riches négociants
& de citoyens aifés. Comment un comrhif-
faire des guerres pourroit-il remédier à ces abus ?
Il ne connoît point les revenus des hôtels - de-
ville ; il ne peut aller difcuter les droits de chaque
citoyen ; l’injuftice fubfifte ; le pauvre eft foulé ,
.& le foldat mal logé. Ailleurs , les abus font différents
; les maifons font faines ; mais elles font fituées
aux extrémités des fauxbourgs les plus oppofés ; la
même compagnie occupe plufieurs maifons éloignées
les unes des autres ; les différents magafins,
les falles de difcipline, l’endroit où l’on fe réunit
pour les exercices journaliers , le logement des
chefs & des officiers ; touts ces objets , qui devraient
être réunis , font à une diftance fi grande
les uns des autres, que , pour rendre un compte ,
pour folliciter une permiflion, pour obtenir une
grâce , pour faire exécuter un ordre , on perd
en courfes inutiles un temps qu’on devroit employer
au maintien de la difcipline.
Ces abus, & mille autres qa’il feroit trop long
d’expofer, n’ont point échappé aux yeux du gouvernement,
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vernement. Pour les détruire, Louis X V voulut,
en 1 7 16 , que l’on conftruisît des cafernes dans
les principales villes de France. Par un édit de
1719 on ordonna de faire le plan , l’état, & le
devis de ces édifices ; & , pour fe procurer les
fonds qui étoient nécefïaires à leur conftruélion,
on impofa une fomme confidérable fur les vingt
généralités du royaume. L’exécution de ce projet
ayant éprouvé des difficultés , le roi révoqua, en
1724 les édits de 1716 & de 1719 , & le logement
des gens de guerre fut remis fur l’ancien pied. Sa
Majefté permit néanmoins le cafernement aux villes
qui le préféreraient au logement perfonnel, à condition
qu’elles en fupporteroient les frais. D ’après
ce que nous avons, dit plus haut, & d’après la permiflion
que le gouvernement a accordée de conf-
truire des cafernes , permiflion qui eft à nos yeux
une preuve inconteftable en faveur du cafernement,
nous nous croyons en droit de conclure qu’il importe
de caferner le plutôt qu’il fera poflible toutes les troupes
françoifes. Voyons comment on devroit le faire.
Lorfqu’on bâtit les premiers corps de cafernes ,
les architectes qui les dirigèrent, preffés par le be-
foin de foulager les citoyens du poids du logement
en nature, fe hâtèrent d’élever .des édifices,
dans lefquels ils entafsèrent, fans ordre & fans
plan, les foldats & les officiérs. Ils omirent une
infinité de chofes utiles, & s’occupèrent beaucoup
trop de quelques objets fuperflus. Les blâmer feroit
une injuftice ; leurs fautes furent celles des cir-
conftançes, & du temps où ils vivoient. Aujourd’hui
l’archite&ure a fait des progrès confidérables ;
une partie des troupes françoifes eft cafernée ; on
ferait donc inexcufable, fi, par trop de précipitation
, on commettoit des fautes femblables à
celles qu’on a commifes autrefois. Pour les éviter,
il feroit prudent de ne rien ftatuer à cet égard
qu’après avoir fait de mures réflexions ; qu’après
avoir confulté les académiesjrélèbres , & les corps
fçavants. Quand ces différentes lumières feront
raffemblées, elles répandront fur cette matière une
heureufe clarté , & faciliteront le moyen d’arrêter
un plan fixe •& invariable pour toutes les cafernes
que l’on doit bâtir encore dans le royaume. Mais , i
comme l’architefte, ( dit M. de Servan , dans fon
foldat citoyen , ouvrage bien écrit, & fortement
penfé, dont nous avons louvent emprunté les idées),
comme l’architeâe doit travailler ici de concert
avec le militaire , -comme ce dernier doit donner
des idées générales, propres à fixer le génie, &
à déterminer le goût du premier, nous allons pro-
pofer les nôtres fur l’emplacement que l ’on doit
choifir , fur les matériaux que l’on doit employer,
lur la forme, tant intérieure qu’extérieure, que
1 on doit donner aux édifices de ce genre. Pour
rendre plus fenfible ce que nous avons à dire
lur ces divers objets , nous fuppofons un étranger
qui arrive pour la première fois dans une ville de
France, ou nos idées ont été réalifées, & nous
le talions parler lui-même.
Art militaire, Tome /,
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Au pied d’une colline peu élevée , au milieu d’une
campagne riante & fertile, auprès d’une-ville confidérable
, & d’une rivière bordée de vaftes prairies ,
j’apperçois un édifice , dont l’architefture Ample ,
mais noble , annonce un monument public. Entraîné
par un defir curieux,,je me hâte d’y arriver.
Quatre corps de logis environnent une grande
cour, plantée d’un double rang d’arbres : dans
fon milieu j'e vois une ftatue placée fur des trophées
militaires. C’eft Turenne, le modèle des
guerriers, la gloire de la nation fcançoife, la terreur
des ennemis. Je le reconnois à l’air d’humanité &
de bonté dont il femble parler à des foldats. Quatre
fontaines , chacune furmontée du bufte d’un grand
homme , occupent les angles de la cour : ici c’eft
Baïard mourant-; là du.Guefclin triomphant après
fa mort : ici Dunois , qui par fes hauts faits relève
la France abattue ; là c’eft Maurice qui combat
a Fontenoi. Au-deffus d’une des portes , je vois
briller le chiffre de Villars ; là eft fufpendu l’écu
de Barbazan ; i c i , dans un médaillon , eft l’image
d’un foldat valeureux, & c . Au pied des ftatues ,
fous les chiffres & fous les médaillons , eft gravé
fur un marbre noir le récit abrégé de la vie de
chacun de ces héros. Des places vuides attendent
encore des ftatues & des infcriptions . A ces traits
je reconnois la deftination de l’édifice : un grouppe
de foldats que j’apperçois me confirme dans mon
opinion ; ils entourent une des ftatues. Je m’approche
; un vieux militaire, courbé fous le poids
des ans & des travaux guerriers, eft au milieu
d’eux ; il leur détaille les aéHons qui ont mérité
au héros qu’ils contemplent le furnom qu’il porte ,
& la couronne dont fon front eft ceint. Ils l’écoutent
en filence ; on lit dans leurs yeux &
fur leurs fronts l’amour ardent de la gloire. Il leur
en applanit la route , en leur découvrant celle
qu’ont fuivie les guerriers dont il leur parle. Un
jeune citoyen, enflamé par fes difcours, enchanté
par ce fpeâacle, demande des armes ; il s’écrie :
& moi aufli je veux être foldat. A ce cri l’inftruc-
tion ceffe ; le vieux militaire s’approche » jeune
homme , lui d i t - i l , un moment d’enthoufiafme
t’égare peut-être. Avant de te faire infcrire dans
la lifte des défenfeurs de la patrie, parcours cette
habitation ; connois les devoirs que notre état im-
pofe. Suis-moi. Je demande à ce refpeâable vieillard
la permiflion de le fuivre aufli ; il me l’accorde
; nous marchons. Il nous fait voir d’abord
le rez-de-chauffée, occupé par les différents ma*
gafins, par les divers atteliers , où l’on fabrique
&. où l’on répare les vêtements &. les armes du
foldat. Plus loin eft une falle deftinée aux exercices
que doivent apprendre les jeunes militaires.
Aufli-tôt que les exercices font finis , nous dit
notre guide, cette falle fert de lieu de récréation :
pendant l’h iver, on s’y raflemble autour d’un grand
feu , & on s’y livre à des jeux tout militaires ;
que l’amitié rend plus vifs.
Nous parcourons enfuite avec lui les falles pù
V v y