
Breiig, « propofé la jonâion du Rhin avec le
Rhône par le lac de Neufchâtel, comme très-
importante pour la France , la Suiffe, 8c la Hollande.
L’idée en avoit été conçue dès le temps de
Néron ; mais l’ufage des éclufes, que l’on employé
aujourd’h ui, rendroit ce canal bien plus facile.
M. Aubry a donc commencé à niveler les bords
du Rhône , depuis Verfoix jufqu’à Seyffel. Il a
reconnu en même temps qu’il y avoit plus d’eau
qu’il n’en falloit pour alimenter ce canal, fads fe
fervir du Rhône, dont le cours eft trop rapide,
& le lit trop dangereux, pour qu’on puiffe entreprendre
de le rendre navigable entre Genève
& Seyffel. 5
C e canal commenceroit au-deffus de Verfoix,
la rivière étant prife trois milles plus haut vers
le moulin de Sauverny : il pafferoit à Ferney ,
puis au-deffous de Colonges , fous le fort de la
Clufe , foixante-deux pieds au-deffus du Rhône ;
"la au pont de Bellegarde, vers l’endroit où le
Rhône fe perd , & tomberoit dans le Rhône fous
Genifliat, fix milles au-deffus de Seyffel, à vingt-
quatre milles de la tête du canal ou de Sauverny.
L a chpte du cote de Verfoix leroit de deux cents-
cinquante pieds fur trois milles de longueur ;
& du ‘côté de Genifliat, de fur cents fept pieds
fur une diftance de vingt-quatre milles. Le devis
eft d environ huit millions , à caufe de la quantité
«le rochers qu’il faudroit efcarper , & qu’on évalue
a iooo liv. la toife courante. Le Rhône a cent
quatorze pieds de pente depuis le fort de la Clufe
jufqu’au port G en ifliatfur une longueur de trois
lieues trois cents cinquante-fept pieds , 8c depuis
Geneve jufqu a Genifliat, fur une longueur -de
vingt-deux milles. Ce Canal auroit environ cent
éclufes, partie du côté du lac de Genève , au
fud-éft, 8c le refte du côté de Genifliat, aufud-
oueft de Verfoix. ( La Lande, hiß, des canaux. ).
C A N A L D E B O U R G O G N E .
La Bourgogne eft fi heureufement fituée que fes
eaux fe divifent & coulent affez également vers
les deux mers. Elle a même un avantage unique ;
e’eft que fes eaux fe partagent entre les quatre
grands fleuves qui arrolent la France , le Rhône,
la Loire , la Seine , & la Meufe. Si l’art fe joint à
la nature, pour achever ce qu’elle a fi bien commence
, la Bourgogne fera le centre d’aéfivité du
commerce de la F r a n c e & en partie de l’Europe.
François Ier s’occupa de la jonâion des deux
mers par cette province, & Henri le Grand, adoptant
ce projet, voulut en commencer l’exécution
en 1606. L arrêt de fon confeil ne fait mention
que de l’établiffement de la navigation de Dijon
a Saint-Jean-de-Lône d’une part, par le moyen
de l’Ouche fur fix lieues de longueur, & de l’autre ,
depuis Rougemont jufqu a l’Yonne , parle moyen
de 1 Armançon, fur une longueur de quinze lieues :
difpofition qui auroit iaiffé entre Dijon 8c Rougemont
un intervalle de quinze lieues 9 que les tnar-
chandifes auroient fait par terre , en attendant qu’il
fût pofiîble de diminuer ce trajet , en pouffant la
navigation au-deffus de Rougemont'& de Dijon.
Henri ne put exécuter Ion projet. Son fuc-
ceffeur le reprit, & en 1612., 1631 8c 1642»
forma de nouveau celui de la jonâion des deux
mers. On fit même alors quelques marchés : mais
Louis XIII ne fuivoit pas le plan d’Henri IV.
Comme le canal de Briare étoit fait ou du moins
avance, & qu’on vouloit procurer par ce canal
le plus grand commerce qu’il étoit poflible , Louis
XIII s’étoit décidé pour la réunion de la Loire
à la Saône par l’étang de Long-Pendu. Les facilités
que l’on croyoit voir , pour former le
point de partage à cet étang , attachèrent encore
ce prince à l’exécution de fon projet, qui cependant
ne put avoir îieu.
Celui du grand canal ne faifoit pas perdre de
vue les avantages de la navigation fur les petites
rivières de l ’intérieur de la province. Les habitants
de Louhans, qui avoient fait en 1603 , près
des états du comté d’Auxonne, plufieurs tentatives
pour obtenir de rendre la Seille plus navigable
, firent de nouveaux efforts en 1648. M. le
comte de Maille fe mit à la tête de l’entreprifé ,
& obtint un arrêt du confeil qui l’autorifoit à faire
conftruire les éclufes 8c autres ouvrages que l’éta-
bliffement de la navigation demandoit , avec la
faculté de faire percevoir un droit au paffage des
éclufes , pour l’indemnifer des frais de conftru&ion
& de ceux d’entretien : quelques difcuflions d’intérêts
particuliers firent encore échouer cette tentative.
M. de Choifeul, muni d’un- arrêt du confeil
à-peu-près pareil à celui qu’avoit obtenu M. de
Maille, fit ce qu’il put 8c fans fucçès en 1665 ,
pour établir la navigation fur la rivière de Seine ,
depuis Polifot jufqu’à Nogent-fur-Seine , par une
longueur de vingt-cinq lieues.
Dans la même année , Louis X IV fit expédier
des lettres patentes, par lefqueUes il paroît qu’il
vouloit exécuter le canal de Bourgogne par l’étang
de Long-Pendu. Mais, en 1699, de nouvelles lettres
autorisèrent M. le comte de Roufti à former la
jonâion des mers par le moyen de la Saône 6c
de l’Yonne. Dans ce projet,*le point de partage
étoit vers Trouhant : on defeendoit de- là à
Dijon par la rivière de Suzon , 8c à Rougemont
fur l’Armançon par celle de Loze.
Il fembloit que l’exécution du canal de Languedoc
avoit fait perdre de vue celui de Bourgogne
; lorfque en 1718 M. de la Jonchère mit
au jour fur ce dernier canal un ouvrage qui
réveilla l’attention publique. C ’étoit par la réunion
de la Saône à l’Yonne qu’il vouloit opérer la
jonélion des mers, & il plaçoit fon point de partage
à Sombernon : il efpéroit parvenir à la Saône
par le ruifleau d’Agey Sc la rivière d’Ouchè, &.
à l’Yonne par la Brenne 8c l’Arhiançon. M. de
ta Loge de Chatellenot fit un mémoire en faveur
de ce projet; mais il vouloit qu’on portât le point
de partage à Pouilly ; à eaufe. du voifinage de la
four ce de l’Arroux , 6c de la facilité que Ion auroit
d’établir par le moyen de cette rivière une communication
avec la Loire 8c la Saône. Cette idée
de M. de Chatellenot parut préférable , parce que
la conftruétion du point de partage à Pouilly
devoit entraîner moins de dépenfe qu’à Sombernon
8c à Trouhant. M. de la Jonchère , par un nouvel^
ouvrage qu’il publia en 172.4, tenta de détruire les
raifons qu’on avoit données contre fon projet,
mais.fans y réuflir.
M. le maréchal de Vauban s’occupa aufli^ du
canal de Bourgogne : il s’attacha a déterminer
lequel des piojets proppfés conviendroit le mieux
aux intérêts de la province ; 8c M. le regent, fur
fa recommandation , chargea M. Thomaflîn , ingénieur
du r o i , de faire à ce fujet toutes les opérations
qui exigeoient des détails. M. de Vauban
étantmort, M. Thomaflin préfenta fes projets fous
fon nom en 1726 : il adopta celui des étangs de
Long-Pendu, 8c mit beaucoup d’aigreur dans les
critiqués qu’il fit des projets qui avoient déjà
paru. (A A .) .] .
On avoit donc penfé dans touts les temps qu un
canal qui joindroit la Saône 8c la Seine feroit très
avantageux à la France , 8c cette première idée
. b ’avoit par elle-même que peu de mérite : il fuffit
de jetter les yeux fur une carte géographique pour
imaginer un ccCnal entre deux rivières ; mais , entre
cette vue générale 8c la découverte de la pofiibilité
d’un canal tiré dé la Saône à la Seine , il y a un
intervalle immenfe, qui ne pouvait être franchi
que par un homme de génie, cbnfommé dans la
fcience des, mathématiques , 8c fur - tout dans
l’hydraulique.
Sous François Ier, Henri I I I , Henri IV , ,8c
leurs fucceffeurs , les plus habiles ingénieurs du
royaume furent chargés de chercher la pofiibilité
du canâl de Bourgogne mais leurs recherches
furent inutiles. .Les travaux réitérés de Vauban
même, fes cinq projets, fes mémoires,; nepro-
duifirent que des conjectures ; 8c fous le règne de
fa majefté, les projets des fleurs Thomaflin 8c de
la Jonchère furent , jugés impraticables. [ Voye^
mémoire fur le canal de Bourgogne, qui a remporté
le prix de l’académie de Dijon en 1763 ,
jjag. 4 6c 40, imprimé avec permiflion, à Paris
chez Defprez 1764. Ce mémoire eft du fleur du
M o re y , ingénieur ordinaire du roi 8c en chef des
états de Bourgogne. M. le Jolivet fils, fous-ingé-
. nieur des ponts 8c chauffées de cette province ,
a concouru pour le prix 8c obtenu l’acceflit. Son
mémoire a été imprimé' à Dijon , chez Cauffe
1764.]. On cojnmen,çoit. à croire que ce grand
•ouvrage étoit au-deffus des efforts de l’art ; aucun
ingénieur n’avoit pu trouver le moyen ( de raf-
fembler les eaux néceffaires à la navigation.
Morifeigneur le duc de Bourbon premier miniftre,
informé' des connoiffances que M. Abeille
avoit acquifes en hydraulique , penfa que, fi- la
pofiibilité du canal de Bourgogne n’étoit pas une
chimère , cet habile ingénieur içauroit la découvrir
8c la démontrer : les efpérances de Monfeigneur
le duc étoient fondées fur les preuves démonf-
tratives du génie de M. Abeille.
Il avoit fait conftruire à Genève la belle machine
qui donne des eaux à cette v ille , 6c les
conduit tant aux fontaines publiques que chez les
particuliers. [ Le petit confeil de la république de
Genève a fait payer au fleur Abeille, pour le travail
de cette machine 30001., ( ce qui a été confirmé
par ordonnance du grand confeil ) , outre les
avances,fournies par la ville pendant le cours de
l’ouvrage. La république a enfuite acheté la machine
pour 104825 florins qui ont été payés en
1727 &. 1729 , à un fondé de procuration de
M. Abeille.]. Pendant fon féjour dans cette v ille ,
i f avoit obfervé que les eaux du lac , étant trop
baffes en certains temps , empêchoient les barques
d’entrer dans le port. Pour.remédier à cet inconvénient
, il imagina de jetter au travers du Rhône ,
rivière très-rapide, une digue q ui, lorfque lès
eaux feroienttrop baffes,les tînt élevées à certain
degré , 8c , lorfqu’elles feroient fort élevées, leur
laiffât une échappée libre. Il propofa, entreprit,
8c exécuta cet ouvrage , qui fembloit téméraire.
Il avoit inventé l’art de bâtir dans l’eau fans épui-
fement. 11 avoit auifi trouvé une efpèce de ciment,
non moins folide, peut-être, que celui des Romains
, qu’on a tant vanté. Sa digue fait encore
aujourd’hui l’admiration 8c l’avantage de la ville
de Genève, en foutenant toujours les eaux du lac
8c du Rhône à la hauteur néceffaire. [ Lesfyndics
8c confuls de Genève ont témoigné leur recoîi-
noiffance ' à cet égard par une atteftâtion du 20
novembre 1764.].
La ville de Touloufe, ayant eu connoiffance
de ce grand ouvrage , appella M. Abeille pour
rétablir une chauffée qui traverfe la Garonne 8t
. envoie des eaux aux moulins de cette ville. Cette
chauffée étoit rompue^depuis huit ou neuf années,
8c divers ingénieurs avoient entrepris inutilement
de la rétablir : la v ille , après avoir fait pour cèt
objet une dépenfe de 40000 écus, l’avoit abandonné.
M.‘ Abeille vint à Touloufe, 8c rebâtit en
entier la chauffée qui eft au-deffous du grand pont
de cette ville , l'un des plus beaux du royaume.
Quelque temps avant de la fermer , ilapperçut que
les eaux qui frappoient une des piles, fituée au
plus fort; courant de la rivière, n’avoient pas leur
mouvement naturel. 11 fonda la pile , trouva qu’elle
étoit creufë , 8c ne portoit plus que fur un pivot* ■
S’il eût fermé «fa chauffée , tandis que le pont étoit
dans cet état de foibleffe , les eaux plus refletrées
8c plus fortes l’auroient renverfé. Il informa auftùôt
les magiftrats de Touloufe 8c les états de Languedoc
de la ruine prochaine dont ce pont étoit
menacé ; les états le chargèrent de le réparer. Cet