Lorfqu’un canal rencontre la furface du terrein 1
pour fon fond, & qu’il faut par conféquent faire
des levées, on évitera de les faire avec les terres
du dehors : il faut en prendre dans le dedans du.
canal, en lui donnant plus de profondeur ; parce
que cette plus grande profondeur s’atterrit toujours
auez, & que les levées font moins hautes par-
dehors. Si on les prenoit de-là , il fe- formeroit des
foffés dont la profondeur, jointe à la hauteur de la
le vé e , formeroit une élévation double ; au lieu
qu’en prenant les terres en-dedans, le terrein extérieur
eft fans excavation , & les levées ne paroiffent
qu’avec leurs hauteurs naturelles.
Seroit-il avantageux de difpofer la route d’un
canal, de forte qu’il eût toujours fon fond au niveau
du terrein ? alors une excavation de trois pieds
fuffiroit par-tout pour faire, par l’élévation des
bords , une profondeur de fix pieds d’eau.
Lorfque les terres tranfportées fur ^es bords
doivent fervir à la retenue des eaux , il faut qu’elles
foient battues ; & , avant le premier dépôt fur le
terrein, il faut en arracher les herbes , & le gratte
r , afin que la nouvelle terre adhère mieux à
l’ancienne.
Quand on doit franchir un ruilfeau dans un
fond où il faut qu’un aqueduc traverfe ce fond,
on tâchera de comprendre une éclufe dans la longueur
de cet aqueduc : elle eft de néceffité en
quelque endroit qu’on la place, & il eft avantageux
pour l’ceconomie de la placer dans ce fond :
alors fes bajoyers font partie de l’aqueduc, ou
l’aqueduc entier, fi le fond a peu dé largeur ». (K),
La grande dépenfe de l’exécution l’a fait différer
long-temps. Ces délais engagèrent M. Antoine ,
un des fous - ingénieurs de la province de Bourgogne
, à propoler un autre projet propre à vivifier
la navigation & le commerce de cette province.
Il l’a développé dans fes Mémoires fur la
navigation dans la Bourgogne. Son fyftême eft
principalement combiné fur les intérêts du pays.
.Voici les principes d’après lefquels il l’établit.
L’objet de la navigation riveraine eft de diminuer
les frais énormes des tranfports par terre ; mais
touts ces frais ne font pas également à charge : ils
ne font préjudiciables que pour les marchandifes du
crû du pays, qu’il convient de vendre au-dehors ,
ou pour celles du dehors, qui doivent être con-
fommées au-dedans. Les frais du tranfit des marchandifes
qui paffent debout dans une province,
loin d’y faire du mal, y font du bien, & d’autant
plus qu’ils font plus confidérables &. caufés par une
grande multitude de voitures de toute efpèce, qui
laiffent néceffairement, dans le pays qu’elles tra-
yerfent, environ 20 fols par millier pefant de
marchandifes pour chaque lieue de voiturage. Ce
bénéfice pour la Bourgogne eft un objet très con-
fidérable. La conftruâion du grand canal feroit
perdre à la province ce bénéfice fur le paffage debout
; & c’eft pour le conferver & pour bénéficier
fur le trapfport des fruits du pays, & fur ceux deftinés
à y être confommés, que M. Antoine a ima^
giné le projet qu’il propofe.
La Bourgogne eft traverfée du nord au midi par
une chaîne de montagnes, d’où il fort au couchant
un grand nombre de fôurces qui toutes vont porter
leurs eaux à l’Océan par la Loire, la'Seine & la
Meufe. Ces montagnes à l’eft donnent également
naiffance à beaucoup de ruiffeaux qui le jettent
dans la Saône, & communiquent à la Méditerranée
par le Rhône. Ces ruiffeaux, fe réunifiant
les uns aux autres, forment, à des diftances affez
petites du l'ommet de la chaîne des montagnes, des
rivières qui font aller un grand nombre d’ufines, &
vont arrofer des vallées qui pourroient ,être extrêmement
fécondes en toutes fortes de denrées , fi
les frais prodigieux qu’il en coûte pour conduire
ces denrées fur les premiers ports des rivières navigables
, en diminuant les produits de la culture , ne
s’oppofoient pas à la fécondité de ces vallons.
D ’après ces remarques, M. Antoine propofe de
rendre navigables la plupart de ces petites rivières,
11 en compte fept à l’eft de la chaîne des montagnes,
& quatorze à l’oueft, fur lefquelles on peut
établir une navigation facile ; il fait voir que les
ports où elles aboutiroient, pouvant aifément cor-
refpondre par des chemins déjà faits en grande
partie, il n’y auroit entre les ports correfpondants
qu’une diftance de fept, huit, ou neuf lieiies au
plus , qui réduiroit à une journée le tranfport par
terre.
Comme ce trajet fe feroit dans la partie la plus
élevée de la Bourgogne, & qu’on êviteroit par ce
moyen la néceffité d’un point de partage, & l’oblb*
gation de faire une grande quantité d’éclufes que
la hauteur de la chûte d’eau rendroit très- difpem-
dieufe , il eft évident que l’exécution du projet de
M. Antoine entraîneroit beaucoup moins de dé^
penfe que celle du grand canal. Un autre objet,
qui paroît mériter beaucoup de confidération, c’eft
que la navigation fur le grand canal n’établiroit de
communication qu’avec un feul point de l’Océan ,
tandis que le fyftême de M. Antoine en établiroit,
non-feulement avec la Manche par la Seine, mais
encore avec l’Océan Atlantique par la Loire , ÔC
avec la mer du nord par la Meufe.
Les rivières que, dans le projet de M. Antoine
il faudroit rendre navigables, font à l’eft, le Salon ,
depuis le Fays-Biltot; la Vingeanne, depuis Saint-
Seine ; la T ille , depuis Is-fur-Tille ; l’Ouche , depuis
Dijon ; la Bourgeoife , depuis Beaune ; la
Dheune, depuis Saint-Léger; la Grofne, depuis
Cluny , qui toutes fe jettent dans la Saône ; & à
l’oueft, celles de Meufe, depuis Meury ; d’Aujon ,
depuis Arc en Barois ; d’O urce, depuis le bourg de
Récey ; de Seine, depuis Orrey ; de Brenne , depuis
Viteaux ; d’Armançon , depuis Sémur; de
Serein, depuis Aify-fous-Til ; du Coufin, depuis.
Avallon ; de Cure, depuis Châtelux; d’Y onne,
depuis Coulange-fur-Yonne ; d’Arroux, depuis
Arnay-le-Duc y de Bourbince, depuis Blanzi ; de
Réconce, depuis Charolles ; & de Sornain, depuis
Sordet, qui toutes vont à l’Océan : la première par
la Zélande dans la mer du Nord; les neuf fuivantes
par la Seine, à la mer de la Manche , & les quatre
dernières à la mer Océane , & aux canaux de Briare
& de Montargis.
Par les ports de Meuvy & de Fays-Biltot, on
iroit du midi au nord du continent, fur une ligne
à-peu-près droite, comprife entre les 22e & 23e
degrés de longitude. Il fe feroit fur cette ligne un
commerce prodigieux, qui fouffriroit un très léger
dommage du tranfport par terre qu’il faudroit faire
du Fays-Biltot à Meuvy, diftants l’un de l’autre de
huit petites lieues.
Le port de Saint-Seine-fur-Vigeanne correfpon-
droit avec celui d’Arc en Barois ; celui d’Is-fur-
T il le , avec ceux de Récey & d’O rrey ; celui de
Dijon, avec celui- de Viteaux: celui de Beaune
avec celui d’Arnay-le-Duc; celui de Saint-Léger-
fur-Dheune, avec ceux d’Autun & de Balanzi ; &
celui de Cluny, avec ceux de Charolles & de
Sordet. Touts ces ports, n’étant qu’à une journée
d’éloignement les uns des autres, établiroient
inconteftablement une communication d’une utilité
fenfible pour tout le royaume ; & la Bourgogne.,
fur laquelle rouleroient touts les frais de
l’entreprife , en feroit amplement dédommagée par
les avantages particuliers qui en réfulteroient.
Le royaume entier y trouveroit un tranfit pour
fes denrées & celles de l’étranger, un peu plus dispendieux
que par le canal, mais beaucoup moins
que dans l’état préfent, où il y a un trajet de près
de quarante lieues à faire par terre ; & les denrées
de la province feroient également exportées à
moindres frais.
Mais la Bourgogne feroit, par cette navigation ,
vivifiée dans toutes fes parties, tandis que le
canal ne feroit profitable qu’à fes riverains. En effet,
ce canal fera mieux vendre les denrées du pays
qu’il parcourra ; mais les vingt-cinq premiers ports
ouverts à la tête des canaux particuliers, & la multitude
des autres rendroit plus facile & plus avan-
tageufe la vente des denrées du crû de toutes les
communautés de la province. Le canal diminuera
un peu le prix des marchandifes & des denrées de
l’étranger, qui feront confommées dans le pays
qu’il parcourra ; mais la navigation fur les vingt-
cinq rivières mettroit toutes les communautés de
la province à portée de jouir de cette diminution.
Le canal augmentera la population de quatre
ou cinq villes , où il y aura des magafins & des entrepôts
pour exportation & pour importation ; mais
les vingt-cinq rivières, portant bateau fous les
murs de vingt ou vingt-cinq villes de leurs environs,
& produifant un effet analogue, favoriferont la
population de ces vingt-cinq villes & de leurs environs.
De plus, toutes les marchandifes venant
de l’étranger , qui par le canal pafferoient debout,
étant néceffairement dépofées, voiturées par terre,
rembarquées, multiplieroient les reffources des
journaliers, des voituriers, des aubergiftes, & vivi-
fieroient le centre de la province. Le canal produira
à deux ou trois cents villages la vente de
leurs denrées, fans fupporter aucun frais d’entrepôts;
mais la nouvelle navigation mettra les dix-
huit cents paroiffes qui compofent le duché de
Bourgogne , à portée de verler toutes fleurs denrées
dans les bateaux, au moyen dun fimple
voituragé^es greniers au port le plus voifin. Par
le canal, l’efprit de commerce , qui n’eft prefque
pas connu dans la province, prendra un peu de
faveur; mais, par l’exécution du fyftême projette ,
touts les Bourguignons, aujourd’huifimpies cultivateurs,
joindront à cette qualité celle de marchands ,
parce qu’ils auront touts à leur portée le lieu du
débit pour vendre, & les magafins pour acheter.
Par le canal, l’étendue des eaux navigables ne fera
que doublée en Bourgogne; & la profpérite, devant
être en proportion de l’accroiffement de la
navigation, ne feroit que doublée ; tandis que les
deux cents huit lieues de rivières navigables, en
quadruplant la navigation aâuelle de la Bourgogne,
quadruplerôient auffi fa prefpérité.
Le fyftême des eaux navigables doit être fem-
blable à celui des grandes routes. Si on avoit pris
le parti de ne faire qu’une feule route en Bourgogne
, avec une grande magnificence, en y portant
toute la dépenfe qui auroit luffi pour en faire trente
autres , l’avantage n’auroit pas été bien grand : ce
projet auroit même été préjudiciable aux pays éloignés
de la pompeufe route , qui cependant au-
roient fupporté une partie des frais, fans pouvoir
en efpérer le moindre avantage pour leurs débouchés.
On a donc fait fagement en multipliant les
routes & en procurant par ce moyen, &. autant
que des routes le peuvent faire, les débouchés
néceffaires pour la vente des denrées fuperflue^, &
l’achat de celles dont onabefoin. Il paroît que la
même conféquence eft applicable a la navigation
projettée en Bourgogne, & que les mêmes motifs
doivent engager a préférer celle que l’on propofe
de-faire fur les vingt- cinq rivières défignees.
Le mémoire de M. Antoine, dont cet article eft
prefque entièrement extrait, préfente enfuite un
coup-d’oeil général fur les moyens d’exécuter fon
projet, &. l’on voit que fon exécution entraîneroit
infiniment moins de dépenfes que celui du projet
du grand canal. Il fe propofe d’entrer dans touts les
détails néceffaires par de nouveaux mémoires , &
à cette occafion expofe ceux qui ont rapport a la
navigation de la Seille, que M. Amelot, alors intendant
de Bourgogne , fur la requifition des habitants
de Louhans , devoit faire entreprendre.
On a vu précédemment que l’on avoit déjà
tenté de rendre cette rivière navigable , & que différents
obftacles s’y opposèrent. Cette rivière,
qui fe jette dans la Saône au-deffous de Toumus ,
ne feroit que favorifer le débouché des denrées de
la Breffe chalonnoife ; mais un des avantages du
projet de M. Antoine eft de multiplier ces débou