
qu’à l ’extrémité de la gauche , fois pour oblîgêr
l’ennemi à faire revenir à fon centre cette infanterie
qu’on le voyoit employer avec fupériorité
contre notre gauche, qui n’étoit dans les bois que
fur une ligne, pendant qu’elle étoit attaquée par
plufieurs colonnes, dont quelques unes paroiffoient
au-delà de l’extrémité de notre gauche : ce qui
nous devoit fuffifamment faire connoître qu’elle
étoit deftinée à prendre notre gauche en flanc &
par derrière.
Quoique, comme je viens de le dire , la dif-
pofition des ennemis dut nous faire changer la
nôtre, on demeura comme on étoit ; de forte que
l’infanterie de notre gauche , qui étoit dans le bois,
y fut forcée après une défenl'e longue & opiniâtre :
alors les ennemis, s’étendant avec facilité vers la
gauche de notre centre, qui tenoit au bois , en
déposèrent facilement notre infanterie.
Ce défordre obligea le maréchal à s’y porter lui-
même avec de nouvelles troupes tirées de notre
centre ; ce qui l’afFoiblit trop confidérablement. Ce
fut là qu’il fut bleffé , en faifant charger avec fuccès
les ennemis qui , maîtres du bois de la gauche
jufqu’à la gauche du .front de la trouée, ven oient
de faire faire un grand effort contre la gauche de
notre centre.
Dès que le prince Eugène fe vit maître du bois
de Blangies, il ne penfa qu’à faire de nouveaux
efforts contre notre droite , & même fucceflive-
ment contre notre centre , qu’il avoit vu dégarnir ,
pour fecourir la gauche, fans que les troupes de
la fécondé ligne d’infanterie Jfe fuffent avancées
pour remplir les vuides de la première. Celle-ci
n’étoit foutenue que par la mailon du roi & une
partie de la cavalerie de la droite.
Ces efforts contre notre droite lui réuflirent
en partie ; mais l’affaire y fut redreffée par quelques
brigades d’infanterie , qui fe portèrent en avafit,
& donnèrent à l’infanterie de la droite le temps
de fe rétablir. Ceux que ce prince fit faire contre
notre grand centre eurent un fuccès plus heiireux
pour lui. Notre infanterie n’y fit point fon devoir,
& abandonna ce retranchement, même avant que
l’ennemi fut à portée de l’aborder. Il y plaça-donc
fon infanterie » y fit avancer fon canon , & même
un corps confidérable de cavalerie , qui paffa
par les intervalles de notre retranchement. A
la vérité cette cavalerie ne put pas fe maintenir
devant la nôtre , qui la chargea, & lui fit
repaffer le retranchement ; mais aufli notre cavalerie
eut beaucoup à fouffrir du feu de l’infanterie
ennemie , qui occupoit notre retranchement :
abandonné comme je l’ai dit.
On fera peut-être furpris que jufqu’à ce moment
je n’aye rien dit de M. le maréchal de Bouliers. C ’eft
qu’il y étoit fans commandement, jufqu’à ce que
M. de Villars lui eût mandé que fa Llefïure- le
mettoit hors d’état d’agir. Ce nouveau général,
qui avoit feulement chargé plufieurs fois a la tête
de . la maifon du roi avec beaucoup de valeur &
qui àuroit pu connoître que l’ennemi, malgré fes
grands avantages , n’auroit ofé de tout ce jour
s’avancer pour paffer entièrement la trouée , ne
fongea point à faire revenir fon aile droite & fon
aile gauche devant le front de la trouée , & à
faire prendre à l’armée cette fécondé difpofition
dont j’ai parlé ci-deffus.
On rapporte qu’on lui vint dire que toute notre
aile gauche de cavalerie, & les brigades d’infanterie
de la gauche qui , comme je l’ai dit, avoient
été laiffées inutiles derrière le bois, fe retiroient
d’elles-mêmes par Keuvrain , fans que jufqu’à pré-
lent aucun des officiers généraux ait avoué qu’il
l’eût ordonné ; & que ce fut la connoiffance de
cette retraite fans ordre du général, qui l’obligea de
faire retirer toute la droite par Bavet’fous le Quefnoi.
Ainfi toute l ’armée du roi fe retira paifiblement
fans être fuivie , moitié-par Keuvrain fous Valenciennes
, & moitié par Bavet fous le Quefnoi.
Tout ce détail exaft , tant des difpofitions de
part & d’autre que des principaux mouvements
pendant l’aéfion, doit faire connoître ;
i ° . Que la difpofition de notre part n’étôit pas
bonne.
. 20. Que l’armée du roi avoit reçu un combat,
ayant marché de Keuvrain comme dans l’intention
de le donner.
3°. Que l’ennemi, par les avantages de fa difpofition
, ne s’engageoit à combattre qu’autant
qu’il verroit que fes différentes attaques lui réufli-
roient, fans qu’il nous fût poflible de profiter de
la grande perte d’hommes qu’il pourroit faire par
notre défenfe opiniâtre; parce que nous ne pouvions
plus nous avancer fur lui par un front contigu
, & plus étendu que celui que toute fon armée1
occupoit.
4°. Quoique , pendant tout le combat, l’avantage
ait paru être du coté de l’enne,mi, il eft
pourtant certain qu’il n’auroit eu que celui de fe
glorifier d’avoir déplacé notre front, en perdant
quatre fois plus d’hommes que nous , fi notre
armée avoit été mife dans la fécondé difpofition
dont j’ai parlé ci-deffus.
Il eft évident par le fait même que la preuve de
ce que j’avance ne peut fe contefter, puifqu’il eft
de notoriété publique que notre armée , qui s’eft
féparée en deux en fe retirant, & qui laifloit une
efpace de plus de trois lieues de vuide entre la
droite & la gauche , n’a point été fuivie par l’ennemi
a qui nous abandonnions le champ de b a ta ille ;
que même toute notre artillerie , qui s’eft retirée
par le pont de Hons fur l’Honneau, entre notre
droite & notre gauche, & qui n’avoit pour protection
dans fa retraite que le feul corps d’infanterie
attaché à fon fervice , n’a point aufli été
troublée dans fa retraite au travers d’une grande
plaine ; & qu’enfin l’ennemi n’a fçu qu’il avoit
gagné la bataille que le 12 au matin, lorfqu’il fe
vit maître du terrein fur lequel il nous croyoit
encore, & où en effet nous devions être.
On a v u , par la difcuflion que je viens de faire
des grandes aétions qui fe font paffées depuis que
je fers, qu’il n’y en a pas eu une feule qui ait eu
une reffemblance pai faite avec l’autre. Il faut en
conclure que prefque toùts les événements heureux
font dus à la bonne difpofition & à la fupériorité
de génie du général qui gagne une bataille;
comme prefque touts les événements malheureux
peuvent être attribués à la mauvaife difpofition ,
& au défaut de coeur ou de capacité du général
qui la perd.
C ’eft donc au prince à bien connoître la portée
de celui auquel il confie le commandement de fon
armée, & à ne point agir dans ce choix par goût ou
par,condefcendance pour les vues particulières des.
miniftres qui lui propofent des fujets. ( M . de Feuq. )
Après ces principes & ces réflexions de nos
meilleurs auteurs, je crois devoir dire quelques
mots des changements que l’augmentation des
armées y a introduits.
Le front en eft fi étendu qu’elles ne peuvent fe
charger dans touts leurs points. Quand cela feroit
paflible , le grand éloignement où le feu de la
moufqueterie les oblige de fe tenir l’une à l’égard
de l’autre facilite lâ retraite de celle qui abandonne ]
le champ de bataille. Cette retraite eft rarement j
dangereufe & meurtrière ; la perte faite dans l’action
eft ordinairement médiocre ; celle du vainqueur
eft quelquefois égale, ou peu inférieure à ‘
celle du Vaincu.- Ainfi une bataille eft rarement
decifive par elle-même , & deux armées ne fe
cherchent plus avec un deflein égal & déterminé
de fe combattre.
Une d’elles prend la pofition la meilleure, la
plus forte, la plus redoutable qu’elle peut trouver;
foit pour couvrir une place , une communication,
foit pour défendre une province & la mettre à l’abri
des incurfions qui pourroient s’y faire à deflein de
levër des contributions. L’armée ennemie s’approche
,& fe détermine à l’attaquer , pour la déporter,
lorfqu’elle n’a pu le faire par fes mouvements
& qu’elle défefpère d’y réuflir.
- H eft extrêmement rare qu’un front très étendu
foit egalement fort dans touts fes points. Il y en a
toujours quelques-uns qui font plus foibles, &
parmi ceux - ci un feul dont les défauts peuvent
donner entrée à l’attaquant. L’habileté du général
cohfifte à le découvrir.
Lorfqu’il croit avoir trouvé ce point foible, il
fait fes difpofitions, pour l’attaquer , en fe conformant
aux principes expofés précédemment, relativement
à la nature du terrein , & des différentes
armes, en tenant le refte de fes lignes à l’abri d’une
entreprife de la part de l’ennemi, mais cependant
en fituation de féconder l’attaque fi elle réuflit ,
ou de protéger la retraite du corps attaquant, s’il
eft repouffe , & d’infpïrer de la crainte à l'ennemi
pour d’autres points de fa ligne.
L attaque fe dirige ordinairement contre une des
ailes, comme étant une partie foible par elle-même.
Le général doit faire fa difpofition , autant qu’il
eft poflible, hors de la vue de l’ennemi, de nuit
& non de jour, à couvert de quelques hauteurs,
montagnes ou bois, inquiéter l’ennemi d’un autre
côté , porter fes plus grandes forces vis-à-vis du
point par lequel il veut pénétrer , faire accompagner
les troupes deftinées à l’attaque par d autres
corps de toute efpèce , qui puiffent les remplacer,
les loutenir , continuer leurs fuccès, diminuer leurs
pertes , profiter des fautes que l’ennemi pourra
faire. En même-temps le refte des lignes fe mon-
trera par-tout, & attirera çà & là l’attention de
l’ennemi par de feintes démonftrations, afin d'empêcher
qu il ne porte a l’attaque principale des
lecours allez puiiïants pour en arrêter le fuccès.
Si elle réuflit & que les troupes attaquées foient
pliees & mifes en défordre , il faut pourfuivre ce
premier avantage avec toute la vivacité poflible ,
en y employant les troupes fraîches qu’on aura
difpofées de manière à pouvoir fouter.ir l’attaque ,
fi les premières qui ont chargé font elles - mêmes
dans quelque défordre. 11 faut donc, lorfqu’on eft
parvenu à gagner le flanc de l’ennemi , ne pas
cefler de prefler deffus , de le charger, de prendre
“ “ nc & à dos, s’il eft poflible , les troupes qui
renflent, d attaquer avec audace, & même à forces
inégalés, les corps qui feront amenés au fecours
de l’aile pliée.
Si l’armée ennemie étoit pénétrée à fon centre ,
on rnanoeuvreroit de même fur les flancs des deux
parties déparées, & de même encore, fi on avoit
fait reculer.par une attaque faite dans un autre
point une partie de fa ligne. Alors on chargeroit
en flanc la partie féparee & reftée en avant de
cellé qu’on a forcé de reculer. Si on a formé plufieurs
attaques, feintes ou réelles fur plufieurs points
de ion front, & qu’il ait l’imprudence de rompre
lui-meme fa ligne pour fuivre les troupes qu’il a
repouflees'ou qui feignent de l’être , il faut profiter
promptement de cette faute , jetter des troupes
dans le vuide , fuffent-elles en petit nombre
charger avec elles en flanc lapartie féparée, les faire
fuivre par de nouvelles troupes qui les fécondent ou
soppofent à celles qui viennent au fecours, continuer
ou augmenter le troublé & la confufion que
répand une attaque imprévue. C ’eft alors que la
jufteffe du coup d’oeil, l’audace , la préfence d’el-
prit, dans les officiers généraux, fécondent mer-
veflleufement la fcience du général dans les difpofitions
primitives, & contribuent-efficacement
au gain de la bataillé. Le général ne peut pas être
a touts les points d’une ligne aufli étendue : il ne
peut meme pas les voir. Quelques foient la fcien ce
ol la prévoyance qu’il ait employées à fes difpo-
iitions, elles pourront lui être inutiles , s’il n’a pas
des officiers généraux capables de le féconder , &
de bien juger par eux-mêmes des mouvements importants
& décififs que prefcrivent les cir confiances;.
Qn peut établir en axiome que plus les armées
font nombreuses, plus les officiers généraux qu’on